
Jeudi 6 octobre avait lieu en la mairie du Ve arrondissement une conférence de Caroline Bourlet (CNRS – Institut de recherche et d’histoire des textes) traitant de la vie sur la rive gauche dans le premier tiers du XIVe siècle. Les principales sources utilisées étaient les sources fiscales du règne de Philippe le Bel.
Cette présentation devait déterminer le poids numérique de la population travailleuse sur la rive gauche, comment elle est implantée dans l’espace urbain par rapport aux espaces occupés par les institutions universitaires et comment la présence universitaire impose sa marque sur les activités de cette rive.

Dans un premier temps Caroline Bourlet a montré comment il était possible de chiffrer approximativement la population bourgeoise (laïque et non noble). L’état des feux du royaume en 1328 dénombre 61 098 feux à Paris. Les sources fiscales des années 1300 sont beaucoup plus précises : il y a 1615 contribuables sur la rive gauche, mais tous les habitants ne sont pas concernés par l’impôt puisque seuls 25 à 30% des foyers y contribuent. On pourrait compter 5000 chefs de famille, et vu que chaque feu comporte en moyenne quatre personnes on arriverait à 20 000 habitants sur la rive gauche. La population universitaire s’élève quant à elle à 3500 personnes au maximum vers 1330 lorsque la faculté de médecine rejoint les autres universités parisiennes. Les nobles, officiers royaux et clercs doivent être beaucoup moins nombreux, mais ils occupent souvent une grosse emprise au sol (hôtels aristocratiques, abbayes…). La rive gauche comporterait alors au maximum 1/5e d’universitaires, et une majorité de bourgeois laïcs.
Les contribuables étant localisés précisément rue par rue dans ces sources fiscales, il a été possible de les géoréférencer précisément. L’emprise spatiale des différentes composantes de la rive gauche (et de Paris) est donc bien connue. Les bourgeois sont présents presque partout, surtout le long des grands axes. Ils sont absents de la rue de la Sorbonne et des quartiers nobles. Il y a une plus grosse densité urbaine près de la Seine, les couvents et hôtels aristocratiques s’installent quant à eux en périphérie (là où il y a de la place).
La population universitaire est soumise à des collectes perçues par l’université. La collecte de 1329-1330 donne une vision au moins partielle de leur implantation. La plupart des étudiants vivent en communauté et paient ensemble l’impôt (qu’ils se partagent en fonction de leurs revenus). On sait donc que 1500 universitaires étaient logés en communauté. Il y a évidement une plus forte attraction dans les rues proches des collèges, mais la mixité sociale entre étudiants et bourgeois et très forte car la population universitaire collabore avec les bourgeois en tant que copistes.

Il faut noter que les sources fiscales ne nous renseignent que sur les activités les plus rémunératrices. Les activités de la rive gauche sont principalement tournées vers la satisfaction des besoins quotidiens. 12 métiers sur 172 totalisent 50% de la population. La Cité présente un profil très différent : drapiers, merciers, bateliers. La rive droite, plus peuplée, a des activités plus variées, qui s’approchent parfois d’une activité industrielle notamment pour les tisserands.
Le plus gros contribuable de la rive gauche est Gilles de Courcelles, hôtelier (il devait certainement posséder plusieurs hôtels), puis on trouve un bûcher, un tavernier et un chandelier. Les métiers qui paient le plus d’impôt (et qui par conséquent gagnent le plus d’argent) sont les bûchers, marchands de chevaux, hôteliers, chandeliers et taverniers. Ils reflètent le paysage artisanal de la rive gauche. Sur la Cité et la rive droite ce sont les drapiers qui paient le plus.
Les métiers du livre sont très présents : libraires, parcheminiers (dans les années 1320 le papier ne se trouve que pour les archives, mais pas encore pour les livres), scribes, relieurs, encriers, enlumineurs. Ces métiers ne contribuent plus à l’impôt à partir de 1307. Les libraires possèdent des livres séparés en cahiers entre plusieurs copistes afin d’optimiser la production. Les métiers du livre sont implantés rue Notre-Dame (libraires), rue des parcheminiers et rue Erembourg de Brie (actuelle rue Boutebrie), près de la Sorbonne. Seuls les libraires sont dispersés sur toute la rive gauche. On observe une division du travail et un système de dépendance. C’est le libraire qui a la relation avec la clientèle et fait travailler les copistes, les relieurs et les enlumineurs.

Sur la rive gauche il n’y a pratiquement pas de représentants des métiers les plus honorables : pas de changeurs, de drapiers, de merciers et travailleurs de la soie. Les pelletiers sont mieux représentés mais beaucoup moins nombreux que sur la Cité et la rive droite.
La rive gauche est la partie de la ville qui a le plus de taverniers (17% des gens qui travaillent sur la rive gauche sont taverniers), installés le long des grands axes. On ignore par ailleurs s’il y avait des happy hours ou des prix pour les étudiants. Les hôteliers sont plus centrés sur l’axe nord-sud. Il y a seulement 9 boulangers sur l’ensemble de la rive gauche : la halle aux blés est sur l’île de la Cité, la plupart des boulangers sont dans cette zone car ils doivent aller y chercher le blé tous les jours. Les habitants de la rive gauche devaient donc aller s’approvisionner sur la Cité (le Petit-Pont n’était donc pas un obstacle infranchissable). Beaucoup d’activités de l’alimentation sont présentes, les tailleurs sont très nombreux. Ils travaillent pour les étudiants, pour les nobles et pour les établissements monastiques.
Dès le XIIIe siècle il y a une spécificité de la rive gauche, dominée par la présence des universités. On note cependant une proximité avec les métiers de la Cité car l’urbanisation de la ville s’est faite vers le sud à travers le Petit-Pont (les habitants de la Cité n’avaient pas d’autre choix que d’aller sur la rive gauche pour développer leurs activités).