
Bas-relief dit de « la figure aux plumes », en calcaire, daté des Dynastiques Archaiques II, soit entre 2700 et 2600 avant J.-C., mesurant 15x18cm, trouvé au Tell K de Tello (anc. Girsu), Irak actuel, conservé au musée du Louvre de Paris.© Musée du Louvre, dist. RMN-GP / Philippe Fuzeau
Contexte de découverte
C’est lors des fouilles d’Ernest de Sarzec et Léon Heuzey à Tello, ancienne ville de Girsu, que cette plaque de calcaire, portant le relief d’une figure à l’étrange coiffe de plumes, fut découverte. Elle fut retrouvée dans les couches préparatoires du temple d’Ur-Nanshé (où fut retrouvée la célèbre plaque perforée éponyme). La masse d’arme de Mesilim, également mise au jour à proximité du temple, a aussi était exhumée dans ce même niveau antérieur, à 1,15m de profondeur du niveau actuel du temple.
Masse d’armes vouée par Mesilim, roi de Kish, en calcaire, datée des DA III (vers 2550 av. J.-C.), Tello (anc. Girsu), musée du Louvre de Paris. © 1998 RMN / Hervé Lewandowski
André Parrot, en 1948, propose alors l’hypothèse que le temple d’Ur-Nanshé ait été édifié sur les restes d’un ancien temple de la ville, situé exactement au même endroit et dédié à la divinité principale de la ville de Girsu, Ningirsu. Ainsi, la masse d’arme de Mesilim, notre relief de « la figure aux plumes » et d’autres éléments comme une stèle cintrée avec le même type d’écriture dateraient plutôt de ce bâtiment antérieur.
Les différents éléments du relief
Les deux faces sont travaillées : d’un côté une image en faible relief avec une inscription tout autour, de l’autre seulement du texte. On a deux éléments principaux sur cette iconographie : un personnage debout et de profil, portant une jupe longue, torse nu et les cheveux ramenés en arrière par un bandeau, ainsi que deux poteaux verticaux parallèles, surmontés d’éléments sphéroïdes et vers lesquels le personnage tend la main. Sur la droite, deux lignes verticales incisées qui s’arrêtent supposent que le morceau a été cassé. Les éléments constitutifs du relief ont fait l’objet de nombreuses hypothèses plus ou moins probables, à vous de décider…

La coiffe par exemple a été interprétée par les fouilleurs comme composée de 2 plumes dressées sur la tête, d’où son nom « figure aux plumes ». Mais dans les années 1990, Rita Dolce y voit plutôt une couronne à cornes agrémentée d’éléments végétaux. Les plumes, selon elle, seraient étrangères aux mondes royaux et divins tels qu’on les connait pour cette période en Mésopotamie. Or, par comparaison, le traitement en chevrons rapprochés de ces éléments se retrouve, sur l’aigle léontocéphale de la masse d’arme de Mesilim. De plus, sur la fameuse Stèle des Vautours, de Girsu également, deux déesses portent chacune une tiare à cornes entre lesquelles se trouve un aigle léontocéphale. Il est donc tout à fait possible que notre personnage puisse porter une coiffe à plume.

Le geste particulier du personnage, qui passe sa main entre les deux poteaux, témoigne de leur importance. Il faut y voir ici la tradition de l’encadrement, spécifique au monde mésopotamien. Je m’explique : un encadrement par deux poteaux symétriques et identiques est révélateur du monde divin qui s’ouvre entre eux. Seule leur figuration permet l’évocation du lieu de l’épiphanie divine. Comme sur le Vase d’Uruk, le domaine de la déesse Inanna est désigné par deux hampes derrière la prêtresse qui reçoit l’offrande. Sur notre relief, le personnage semble désigner cet espace, donc le monde de la divinité Ningirsu.
L’inscription nous éclaire – légèrement – davantage quant à la destination de cette plaque et sa datation. Au verso de la plaque, il est question de cession ou de transmission de terrains, comme le témoigne la longue liste de champs, de canaux ou encore de marais (jusque-là ça va). Au recto, la composition est plutôt de type épique ou littéraire, traitant de masse d’armes et d’enfantements d’animaux (oui oui, très spécial). Les traductions de Camille Lecomte et de Claus Wilcke nous permettent de comprendre à peu près que le texte traite de l’importance de la divinité Ningirsu comme dieu de Girsu. On y retrouve la première mention du nom de son temple : l’e-ninnu, « brillant ».
Interprétation de « la figure aux plumes »
Ce personnage masculin se rapproche très fortement de la figure des « rois-prêtres » de la période précédente d’Uruk (3300-2900 av. J.-C.). Les plumes de sa coiffe s’accordent au domaine du dieu Ningirsu puisque ce dieu est souvent représenté par l’aigle léontocéphale, aussi appelé le nuage d’orage. Puisque le texte fait mention de masses d’armes, les objets piriformes au-sommet des hampes seraient donc des masses d’armes. Ces objets sont bien connus dans le monde mésopotamien pour être associés au monde divin. Les hampes serviraient alors à délimiter le domaine du dieu Ningirsu sur terre. Les inscriptions au revers correspondraient alors aux territoires et au domaine du temple.
Comme le personnage désigne l’espace divin, le personnage ne peut être le dieu lui-même. il pourrait s’agir d’un représentant de la communauté. Le problème, c’est qu’on a très peu d’informations sur la royauté pour ces périodes-là… On peut simplement supposer que cette royauté avait un lien avec la divinité de la ville. Comme l’image sert à la propagande et que le pouvoir de la personne qui la commande doit s’affirmer, il pourrait très probablement s’agir du souverain lui-même. Son couvre-chef à plumes serait alors la plus ancienne coiffe royale connue.
Superbe article !
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