L’éloquence de l’invisible. Cinq siècles de représentations de saint Paul (XIVème – XVIIIème siècles).

Cette année, l’Aumônerie de l’Ecole du Louvre propose un cycle de conférence sur l‘Au-delà du visible. La première a eu lieu la semaine dernière et était invitée Claire Barbillon, professeur à l’Université de Poitiers mais aussi coordinatrice de l’équipe de recherche à l’Ecole du Louvre. Le thème discuté pendant plus d’une heure était la représentation de saint Paul entre le XIVème et le XVIIIème siècles.

Paul de Tarse ou saint Paul, portant aussi le nom juif de Saul, né probablement à Tarse en Cilicie, autour du début du Ier siècle et mort en 67 – 68 à Rome, était un apôtre de Jésus-Christ. Il était citoyen romain de naissance et juif pharisien. Il est connu pour avoir eu un grand zèle pour le judaïsme jusqu’au point de persécuter les chrétiens jusqu’à sa conversion au christianisme après que Jésus lui fut apparu, vraisemblablement entre 32 et 36 ans. Dans les années 40, il devient un des auxiliaires de Barnabé, un personnage de rang quasi-apostolique, avec lequel il crée plusieurs églises, dans le territoire de la Turquie actuelle. Paul porte l’Evangile dans tous le monde romain. C’est l’apôtre des Gentils, c’est à dire des nations. L’iconographie paulinienne ne montre pas un homme jeune, mais le représente le front dégarni et la barbe longue. Paul est souvent représenté en pendant de Pierre : la complémentarité de leurs attributs apparaît au XIIIème siècle, avec l’épée et la clef.

Comment les artistes représentent-ils saint Paul ? Il convient de rappeler que les arts visuels ne sont pas illustratifs : ils n’ont pas vocation à être auxiliaires d’un texte. Il ne faut pas attendre un récit en images. Une image a sa propre grammaire, celle des formes. La peinture religieuse n’illustre pas le texte sacré. Nous verrons les représentations de la vie de saint Paul, dans l’ordre de sa vie et non par rapport à la chronologie de la peinture. Nous nous attacherons surtout à la conversion du saint épisode charnière qui est en un paradoxe pour les artistes : donner à voir ce qui a été entendu ou lu.

Saul présent lors de la lapidation de Saint Etienne : avant la conversion

Avant sa conversion, Paul est persécuteur des chrétiens. Durant cette période, le diacre Etienne, meurt lapidé en premier martyre, auquel Paul prendra part. Il s’agit de la seule scène de sa vie avant conversion retenue par les artistes. Sur les représentations, Saul porte les vêtements des hommes en train de lapider Etienne. Saul apparaît alors complice de la persécution. Cependant, on note une lecture en avance sur le texte, car Saul semble avoir déjà une attitude de supplication. Il y a un décalage emphatique. Cornelis Van Poelenburgh nous livre un tableau où l’on voit Saul, richement vêtu et jeune, mis en scène dans un dialogue avec un persécuteur. Cette image de Saul introduit une brèche entre les persécuteurs et le futur apôtre.

Le chemin de Jérusalem à Damas : la conversion

Selon les Ecritures, Paul ne voit pas le Christ, il l’entend. Cela est un défi pour la peinture, car il s’agit de représenter l’audible. Nous allons voir que le motif du cheval s’impose petit à petit.

Dans les Petite Heures de Jean de Berry, nous voyons qu’il s’agit ici d’un épisode où Paul est piéton et tombe de sa hauteur. On y voit la relation qui s’instaure entre Paul et Dieu.

Dans une miniature de Fra Angelico, on remarque que l’épisode qui évoque le domaine du sensoriel avec le son et la lumière. Cette dernière enveloppe Paul de sa clarté. Le personnage divin fait toucher par un rayon de sa lumière le personnage de Paul qui est frappé et se converti (étymologiquement, change son regard de direction). Il y a une anticipation de lecture de nouveau, car Paul porte déjà une auréole, or il n’est pas encore baptisé. Théologiquement, on assiste à la rencontre qui change l’homme immédiatement.

Dans le Bréviaire de Martin d’Aragon, apparait le cheval. Cependant, le texte biblique ne parle pas de cheval. L’iconographie l’a ajouté, car la représentation que l’on se fait du cheminement d’un homme aisé est à l’époque à cheval. C’est une appropriation intéressante, car il s’agit de celle des artistes de ce temps. On voit Paul ayant chuté lourdement, dans un caractère très humain. Seule l’auréole illustre la conversion, mais il n’y a pas de lumière.

Dans la Chute d’Orgueil, pendant de l’Humilité du portail de Notre-Dame de Paris, le cheval, au-delà de l’adaptation à son temps, porte un sens profond. Il relève de la psychomachie médiévale (c’est-à-dire les allégories qui s’opposent en vices et vertus). L’Orgueil chutant de son cheval est à mettre en parallèle avec Saul tombant lui aussi.

Sur un panneau d’un prédelle (il s’agit de la partie inférieure d’un retable polyptyque) de Saint Pierre Majeur, la composition est dominée une scène globale. Les personnages auxiliaires sont ici introduit en témoins. Ces derniers sont les compagnons de Saul. Dans un jeu d’identification, le spectateur est pris à parti. Le renversement de Paul et de sa monture atteint les autres. Le cheval se retrouve hors champs, les deux personnages au premier plan fuient de part et d’autre de la composition, terrifiés, sans visage apparent. Cette panique s’oppose au tableau de la lapidation d Etienne, qui était centripète. Dans une réthorique de l’effroi et de la solitude, la conversion de saint Paul est aussi marquée par un temps de cécité, pendant trois jours. Cela résonne analogiquement avec la résurrection du Christ.

Dans une fresque de la chapelle Pauline peinte par Michel Ange et commandée par Paul III au Vatican, nous voyons que le cheval est relevé et Paul est à terre, sous les traits d’un vieillard, dans une iconographie proche de Moïse. De plus, la caractère de blessé que l’artiste lui confère nous induit peut être une analogie visuelle. Dans le ciel, le Christ apparaît dans toute sa puissance, enveloppé par une nuée d’hommes nus. La composition circulaire distingue les mortels en bas bouleversés dans une composition éclatée.

Nous remarquons que dans un tableau de Parmesan datant du XVIème siècle, l’économie de la peinture est très différente. Problématique qui semble davantage être le son, la voix. On note une nuée lumineuse dans l’angle du tableau. Il s’agit d’une scène qui dépeint une intimité propre à la relation que Dieu entretien avec chacun. Il y a un raffinement maniériste de la composition. Le Christ n’est pas représenté, mais apparaît seulement dans la lumière.

Chez Einselmer, à la fin du XVIème siècle, le style est baroque avec des effets dramatiques. L’artiste fait le choix de représenter le cheval mort. On peut supposer que la foudre a atteint l’animalité du cheval, comme elle aurait atteint celle que l’homme a en lui. Est donc détruit quelque chose qui ne peut pas être converti. Il règne une atmosphère de peur et de désolation. Paul, au premier plan, reçoit un rayon de lumière. La fantasmagorie va jusqu’à la représentation d’un centaure. On voit ici l’espèce de cataclysme intérieur qu’est la conversion. Le tableau en assume la violence.

Caravage a peint deux tableaux pour une seule commande en 1600, sous Clément VIII. La première version sera refusée par le commanditaire, car le Christ y est considéré trop réaliste. La composition est donc reprise dans un second tableau. L’artiste est plus proche du texte, qui parle d’une voix et non d’une apparition. L’usage de la lumière est ici fascinant. C’est par elle que la conversion devient intelligible. On note le geste éloquent de saint Paul : les bras ouverts. Dans le premier tableau, Paul se protégeait mais dans le deuxième il est dans l’accueil de cet appel. On note de plus l’accentuation d’un réalisme sans concession, notamment dans la figure du palefrenier. La lumière trouve ici sa place dans une métaphore filée que l’on connaît bien.

Baptême de Paul par Ananie

Chez  Pierre de Cortone, Paul est peint lorsqu’il recouvre la vue. On y voit Paul aveugle, soutenu par un ami, étendant ses mains tâtonnantes. Le peintre met l’accent sur le vêtement romain de Paul. Il n’y a aucun écart illustratif, mais bien une remise en contexte. Le décor est ici peint dans un effort de réactualisation de l’époque de Paul. Apparait encore le cheval, plus discrètement. Paul aveugle est en train de devenir lui même, comme dans l’attende des catéchumènes. Ses mains d’aveugles ne savent pas encore vers où se diriger.

 

 

 

Compte-rendu rédigé par l’Aumônerie de l’Ecole du Louvre.

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