Etel Adnan à l’Institut du Monde Arabe

Lors de votre prochaine visite à l’Institut du Monde Arabe ne vous laissez pas complètement happer par le joli bateau de l’exposition « Aventuriers de la mer », et descendez au sous sol du musée, vers la petite exposition monographique d’Etel Adnan, une artiste de 91 ans aux multiples talents.

Une artiste polyglotte multidisciplinaire

Libanaise, Etel Adnan naît en 1921 à Beyrouth, d’un père syrien et d’une mère grecque. Elle finit ses études de philosophie à Paris, puis part enseigner cette discipline aux États-Unis. Conquise par le pays, après quelques allers et retours entre la France et le Liban, elle s’installe en Californie.

En 1980 elle écrit « L’apocalypse arabe », un livre engagé contre la guerre du Liban, qui est son premier grand succès. Ce n’était ni son premier ni son dernier livre, elle est aujourd’hui reconnue comme l’une des représentantes majeures de la poésie américo-libanaise.

C’est à près de 40 ans que la peinture devient un de ses moyens d’expressions, et ce n’est qu’en 2012 qu’elle acquiert une renommée internationale, avec l’exposition dOCUMENTA à Cassel. Représentée par la galerie Lelong depuis de longues années, elle y est régulièrement exposée. On peut également la retrouver dans les collections du centre Pompidou ou dans des événements d’art contemporain comme la FIAC. L’exposition de l’Institut du Monde arabe constitue cependant sa première exposition monographique en France.

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Etel Adnan, Voyage au mont Tamalpaïs, 2008, Aquarelle et encre sur papier, Galerie Claude Lemand, Paris

Une organisation thématique efficace

L’exposition est organisée en quatre espaces thématiques qui donnent un bon aperçu de la diversité artistique d’Etel Adnan.

Nous découvrons d’abord son écriture, au travers de ses brouillons et le récit, diffusé en anglais, français et arabe, de l’Apocalypse Arabe. Cela met en exergue l’importance de ce travail de l’écrit au cours de sa vie et annonce l’influence qu’il aura dans sa production picturale.

La deuxième partie est consacrée à la figure du Mont Tamalpaïs, une montagne proche de chez elle en Californie. On y consacre un espace thématique entier car c’est le motif récurrent de sa peinture. Etel Adnan peint les lieux qui l’entoure et l’atmosphère de ce mont la touche particulièrement. Que ce soit sur les toiles ou sur les leporellos (des cahiers pliés en accordéon), on reconnaît en quelques touches de couleurs ou quelques coups de pinceaux les pans de la montagne.

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Etel Adnan, New York, 23 mai 1990, leporello © Etel Adnan

 « Ponts et exils », le troisième espace, aborde l’influence des nombreux déplacements qui ont rythmé sa vie. Se nourrissant des paysages autour d’elle, Etel Adnan a représenté le port de Beyrouth, des vues des fenêtres new-yorkaises, les ponts français et américains… Ils sont tracés à l’encre sur les leporellos ; et avec eux elle déroule en image le récit de ces voyages, souvent accompagnés de quelques notes ou poésies écrites.

La quatrième partie conclue sur quelques autres leporellos et sa nouvelle activité, la tapisserie. Ces œuvres sont l’expression la plus poussée du « monde de couleur et de sonorités » de son travail. On le percevait déjà en filigrane dans les espaces précédents ; ici la poésie est exacerbée sur le papier, elle est étroitement mêlée aux lavis d’encres de couleurs. Elle s’exprime plus discrètement sur les pièces tissées, qui sont au contraire des explosions de couleurs.

Un panel d’œuvres reflétant un style personnel et une vision philosophique de l’art

L’Institut du monde arabe a pu rassembler des œuvres qui n’avaient jusqu’alors jamais été exposée, certaines provenant directement de son appartement parisien.

On trouve par exemple de petites toiles aux couleurs posées en aplat au couteau, très vives, représentant des paysages sans l’ombre d’une figure humaine. Ce sont des formes géométriques simples juxtaposées mais qui évoquent beaucoup de choses (comme le mont Tamalpaïs dont on a fait mention précédemment).

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Etel Adnan, Acrobaties printanières, 1967-70 / 2015, Tapisserie basse lisse 100% laine, Ed 1/3 © Etel Adnan – Courtesy Galerie Lelong

 Les leporellos, ces cahiers pliés en accordéon évoqués plus tôt, sont des pièces d’une grande originalité où elle mêle habilement écriture et peinture, participant ainsi à un renouveau de la calligraphie. Elle passe de l’un à l’autre des médiums, ce sont pour elle deux modes d’expressions d’une même langue (l’un verbal, l’autre pictural). Ainsi elle nous livre des poésies colorées, visuelles ; à lire avec les yeux, les oreilles et l’esprit.

Etel Adnan n’est pas vraiment rattachée à un courant artistique. Elle ne donne clairement pas dans le figuratif mais ne peux pas non plus être classée dans la peinture abstraite. Sébastien Delot, commissaire de l’exposition, lui adresse une lettre dans le dossier de presse et décrit son travail en ces mots : « vous ne cherchez pas à reproduire le visible, mais à rendre visible ». En effet c’est avec une économie de moyens bien maîtrisé, quelques traits d’encre, des tâches de couleurs, qu’elle nous parle, qu’elle nous fait ressentir toute une atmosphère et une philosophie. « La peinture est une pensée », confie-t-elle à Léonore Chastagner dans une interview, mais cette pensée « n’est pas destinée à être traduite ». Elle explique qu’un tableau doit être vécu par son spectateur, et que chacun aura donc un ressenti et une interprétation différente. En somme il faut expérimenter personnellement sa peinture, et ne pas chercher à tout prix sa connaissance. Cela ne peut être que la meilleure des motivations pour aller voir l’exposition !

Pour résumer, l’Institut du Monde Arabe réussit à rendre dans ce (trop) petit espace une vision d’ensemble de l’œuvre d’Etel Adnan, qui n’a pas finit d’évoluer, puisque du haut de son grand âge elle est toujours bien active. L’exposition offre une ouverture sur son travail qui mérite d’être complété par la lecture des poésies de l’artiste et peut être de quelques interviews et essais qui permettront de mieux saisir sa vision philosophique de l’art, trop peu abordée dans les textes explicatifs.

 

Informations : l’exposition est ouverte jusqu’au 1er janvier 2017. L’entrée est payante (5€ ou 3€).
Une soirée « Etel Adnan : le poème visuel« , en présence de l’artiste et de familiers de son œuvre, sera animée le vendredi 25 novembre à 18h30 (entrée libre) à l’Institut du monde Arabe. Plus d’infos ici.

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