
Jusqu’au 15 janvier, le Carré Plantagenêt au Mans présente « Chasses magiques », exposition en résidence du Musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Une cinquantaine d’oeuvres africaines, américaines, asiatiques et océaniennes du musée parisien voyagent entre différents lieux, et se sont arrêtées au musée d’Histoire et d’archéologie du Mans, dans le cadre du fructueux partenariat entre ces deux institutions.
L’exposition donne à voir la pensée spirituelle et magique qui, pour de nombreuses sociétés, réside dans la pratique de la chasse. Des objets de prestige sont créés afin de montrer les réussites du chasseur, qui rejaillissent aussi sur son clan et sa famille. La chasse revêt des sens divers, les masques pouvant être perçus comme des manifestations des esprits. Les chasses menées par le chamane ou le sorcier ont ainsi pour but de repousser les mauvais esprits.
L’Homme et sa proie
Plusieurs objets présentés visent à aider l’Homme dans sa chasse. Utilisés comme figures rituelles et gardés dans des sanctuaires dans la société masculine du Kono, les boliw (Mali, XXe s) servent ainsi à capter l’énergie vitale (nyama) et à donner du pouvoir, grâce à des manipulations et à des incantations. Ces objets contiennent divers ingrédients, et ont plusieurs objectifs : rendre leur porteur invulnérable, amplifier son pouvoir pour la chasse, attirer les bonnes influences, et frapper les ennemis. De même, la tunique de Côte d’Ivoire (XXe s) devient une véritable « armure » grâce à l’accumulation d’amulettes, donc de charges magiques ; il est rare d’avoir une tunique complète comme celle-ci. Les talismans vietnamiens du XXe s répondent à un besoin similaire : ces tubes-étuis sont sacrés, car ils contiennent des pierres rituelles. Signes d’abondance et de richesse pour l’agriculture, l’élevage, le troc, la chasse et la pêche, ils sont transmis de père en fils.
Aux Etats-Unis, les fétiches Zuni (Etats-Unis, XXe s) associent des animaux à des pouvoirs particuliers, l’ours étant par exemple détenteur de la médecine, de la guérison et de l’introspection. Les représentations animales sont considérées comme des vecteurs des qualités prêtées aux animaux. Suivant cette croyance, la coiffure de la population Bobo Oule (Burkina Faso, XXe s) comporte des cornes de gazelle, censées maintenir l’esprit du chasseur en alerte.
Le chasseur entretient avec sa proie un rapport intime et ambigu, puisqu’il doit à la fois l’atteindre et s’en protéger. L’esprit du chasseur doit être en communication avec celui des animaux ; chaque chasseur est ainsi en relation avec un ou plusieurs esprits animaux.
Chasse et clan
La chasse a une importance dans l’organisation de la société. Les insignes de noblesse sont liés à la chasse, et notamment à la chasse aux têtes ; on trouve ainsi des éléments animaux dans les insignes. Chaque clan possède les siens, visibles sur leurs armes, qui sont le plus souvent des propulseurs. L’exposition présente plusieurs de ces armes de jet, ornées de figures d’animaux ou de figures claniques au niveau du crochet. En Malaisie, on trouve aussi des tuntun (population Iban, XXe s) : ces objets servent à mesurer le piège à détente destiné au sanglier, et sont perçus comme des attracteurs de gibier.
Plusieurs objets peuvent signifier le prestige du chasseur. Les objets en dents, comme les colliers, sont des symboles de courage et de valeur en tant que chasseur. Ce prestige rejaillit sur la famille. En Indonésie, les trophées de chasse comme celui-ci (population Mentawai, XXe s) sont placés sur une séparation ajourée dans les maisons ; ils sont complétés de bois et de métal, et de motifs magiques censés attirer le gibier.
Masques
De nombreuses cultures sont dites « sociétés des masques ». Les masques y sont le plus souvent conservés dans des sanctuaires, n’en sortant que pour des défilés dansés nommés masacarades. Le masque Komo Kun de la population Bamana (Mali, XXe s) mêle des éléments de l’antilope, du crocodile et du phacochère, associant ainsi leurs forces vitales. Le masque reçoit des offrandes de sang, noix de kola et bière de mil, ce qui lui donne cette patine particulière à l’aspect croûteux.
La société des masques Dogon, nommée Awa, est particulièrement liée à la chasse. Le chef de l’Awa est le maître du langage et de la brousse, et la légende autour de la création du premier masque associe fortement cette tradition à la chasse. Le premier masque serait Gomintogo, le cervidé. Un chasseur ayant tué un cerf aurait bâti un autel pour se protéger de son esprit, en y incluant le massacre (c’est-à-dire le trophée, le crâne de l’animal). Malgré ces précautions, son fils tombe malade ; on lui préconise alors de fabriquer un masque, afin d’y fixer l’esprit du cerf.
Chasse aux têtes
Cette chasse particulière, qui a souvent stimulé l’imaginaire occidental, est essentiellement pratiquée en Mélanésie, en Asie du Sud-Est et en Amazonie, mais également en Afrique. Malgré l’image de barbarie qui lui est fréquemment attribuée, il s’agit d’une pratique religieuse, rituelle ou politique, qui s’inscrit dans un système d’échanges, d’agressions réciproques et de réparations entre les différentes communautés. Cette tradition est aussi à mettre en lien avec la notion d’appropriation d’énergie.
La chasse aux têtes est perçue comme une perte d’humanité pour l’Homme, qui est le temps de sa chasse associé à un animal prédateur et reste impur pendant plusieurs semaines. En Papouasie – Nouvelle-Guinée, la chasse aux têtes s’accompagne d’une iconographie animale qui lui est propre. Le calao, oiseau mangeur de fruits, est ainsi associé à l’Homme mangeur et chasseur de têtes. Sur le bouclier yimbes réalisé par Irekas (population Asmat, Papouasie, milieu XXe s), trois ancêtres protecteurs sont représentés, dont deux à l’aide de mantes religieuses dos à dos. Cet insecte évoque la sauterelle et ainsi l’idée de bois vivant (les sauterelles sautent hors des herbes lorsque quelqu’un passe, animant le bois), mais aussi d’arbre-ancêtre et de chasseur de têtes (la mante décapite son mâle après l’accouplement). On trouve aussi sur cet objet un bipane, c’est-à-dire un symbole constitué de deux « C » dos à dos, qui sert de décor de nez pendant certaines cérémonies et symbolise le verrat, un prédateur associé aux chasseurs de têtes car lui-même chasse les hommes.
A l’image du fétiche à clous « Nkisi Nkondi » (XIXe s) présenté, les sculptures sont conçues comme des réceptacles de forces vitales. Elles font le lien vers des mondes non humains, qui sont les inframondes ou supramondes. A travers un corpus riche, l’exposition « Chasses magiques » permet d’aborder les aspects spirituels de la chasse pour ces cultures et populations, à travers les objets liés à cette pratique souvent centrale dans la société.
Images : © RMN / Musée du Quai Branly – Jacques Chirac
Image « à la une » : affiche de l’exposition