
Si vous êtes déjà allés au musée de Grenoble, vous connaissez sans doute l’œuvre la plus étonnante qui est exposée parmi les objets antiques : la momie de la « Prophétesse d’Antinoë ». Qui était-elle ? Pourquoi cette momie est-elle remarquable ? Nous allons tenter de répondre à ces questions.
Descendez la pente douce qui mène au sous-sol du musée. Arrêtez-vous devant le premier objet que vous voyez. Non, pas celui-ci, celui qui est sur votre droite. La voilà, allongée le dos contre une planche de bois, ses pieds pointés vers vous. Des pieds nus encore recouverts de peau. Ses chevilles aussi dépassent de la longue tunique dont elle est vêtue. Ses bras sont posés le longs de son corps. Sa tête est tournée vers la gauche, orbites vides et bouche ouverte. Grâce à l’analyse d’un fragment d’os au radiocarbone, elle est datée entre 520 et 610 de notre ère. Elle est dans cette position depuis cette époque, sa tête reposée sur un bourrelet de tête.
Est-ce une momie ?
Ce n’est pas exactement une momie. Ce corps humain d’1m54 de long n’a pas été momifié, c’est-à-dire qu’il n’est pas entouré de bandes de tissu, il a simplement été desséché. Elle a été trouvée ainsi à Antinoë par l’archéologue Albert Gayet entre 1906 et 1907. D’abord passée par le musée du Louvre, elle a ensuite été donnée en 1907 au musée de Grenoble par Emile Guimet.

Mobilier funéraire
Mais cette défunte n’est pas seule. Comme vous le voyez, elle est entourée de son matériel funéraire. Celui-ci se compose d’un bourrelet de tête, d’un luth, d’une paire de sandales, d’une couronne et d’une guirlande végétale, de quatre vases et d’une statuette d’Isis-Déméter en terre cuite polychromée et enfin de deux flacons en verre. La couronne, la guirlande et le bourrelet de tête font partie de la parure et repose à même le corps, contrairement à la paire de sandales qui se trouve près de la défunte.
© musée de Grenoble
Les vêtements de la « Prophétesse » sont d’un raffinement remarquable. Elle est vêtue d’une sous-tunique en lin sans décoration qui lui arrive aux chevilles. Elle porte aussi une tunique en laine jaune décorée de six carrés brodés. On peut y voir des motifs d’oiseaux ou de corbeilles et le tout est bordé d’une frise de trèfles. De plus une ceinture tressée rouge et bleue et dont les extrémités se terminent par des pompons est nouée autour de sa taille. On connait d’autres ceintures similaires mais celle-ci est la seule à avoir été trouvée en place sur le corps. L’étude de ces vêtements démontre qu’ils ont été fabriqués peu de temps avant la mort de la « prophétesse », ce qui témoigne de l’importance de cette femme dans la société. Importance aussi mise en valeur par la provenance de certains matériaux, comme le lin d’Iran, et l’influence étrangère à l’Egypte de ses vêtements.
Quant aux sandales, elles sont faites de cuir et décorées d’éléments en métal. Même si elles étaient posées à côté de la défunte, elles n’ont pas eu une fonction uniquement funéraire car on peut y déceler des traces d’usure.

Mais de tous ces objets, les spécialistes s’accordent à dire que le plus remarquable est sans nul doute le luth de la « Prophétesse ». Le luth est un instrument à cordes constitué d’une caisse de résonance et d’un manche. Celui-ci est composé de perséa et de câprier, deux bois égyptiens, ainsi que de buis. Son analyse au carbone 14 révèle qu’il est contemporain de la défunte. C’est un objet d’une grande rareté, car il fait partie des sept seuls luths coptes connus à ce jour, c’est d’ailleurs le premier à avoir été découvert. A travers cet instrument, on peut s’interroger sur la façon dont on jouait du luth mais aussi sur la place qu’il occupait dans le paysage musical à l’époque byzantine.

De qui s’agissait-il ?
Ce que l’on sait avec certitude, grâce à l’étude au scanner du corps, c’est que cette femme est décédée à l’âge de 40 ans, ce qui est un âge assez avancé pour l’époque. Il est aussi possible d’affirmer qu’elle devait appartenir à une élite sociale compte tenu de la richesse de ses vêtements et de son mobilier funéraire.
De plus, si on la désigne sous le nom de « prophétesse », c’est en raison d’une inscription en langue copte sur son cercueil. Albert Gayet l’a traduite par « Prêtresse des images d’Osiris Antinoüs … chargée de rendre l’oracle au nom du dieu ». Néanmoins, cette fonction semble tout à fait improbable puisqu’aux VIe et VIIe siècles de notre ère, la religion chrétienne est largement pratiquée en Egypte. Il ne subsiste du cercueil que la planche en bois sur laquelle la défunte repose, il n’est donc pas possible de vérifier la traduction d’Albert Gayet.
La « Prophétesse d’Antinoë » est revenue dans les salles du musée de Grenoble après un demi-siècle d’absence et pourtant, elle n’a pas encore fini de livrer ses secrets.