La Naissance de Vénus, Alexandre Cabanel

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La Naissance de Vénus, par Alexandre Cabanel (1823-1889), datée de 1863, huile sur toile, 2,25 x 1,3m, présentée au Salon de 1863, conservée au Musée d’Orsay de Paris.

La Naissance de Vénus, par Alexandre Cabanel, représente à elle seule toutes les tensions artistiques et sociales du XIXe siècle, en plein cœur du Second Empire. Par son opposition à l’Olympia de Manet peinte la même année, elle fut le symbole de la persistance du rôle de l’Académie des Beaux-Arts sur la scène artistique mais également celui de son déclin progressif.

Alexandre Cabanel

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Autoportrait, Alexandre Cabanel, 1852, musée Fabre, Montpellier

« De tous les peintres académistes, Cabanel fut à la fois le plus adulé du public et le plus critiqué » – Jean Nougaret

Après avoir suivi une première formation à l’école des Beaux-Arts de Montpellier, Cabanel reçoit une bourse pour monter à Paris en 1839. Il rentre alors à l’Académie des Beaux-Arts un an plus tard et suit les cours de François-Edouard Picot. En 1845, il réussit, après deux échecs, à obtenir un second Prix de Rome et va partir pour la Villa Médicis jusqu’en 1850.

Devenu membre de l’Académie des Beaux-Arts en 1863 puis professeur en 1864, il y enseigne le nu académique, prônant l’emploi de couleurs claires dans la palette et forme de nombreux naturalistes. Il devient également membre du jury du Salon officiel où il fait preuve d’une farouche opposition à l’égard de toute tendance novatrice. Il est ainsi régulièrement critiqué et mis en opposition avec les naturalistes et les impressionnistes en particulier avec Édouard Manet.

Une Vénus nue et un chef d’œuvre de l’académisme

La somptueuse déesse Vénus est langoureusement allongée sur la crête d’une vague, la chevelure flottant et se mélangeant à l’écume. Ses yeux mi-clos et son regard orienté vers le spectateur semblent l’appeler et le pousser à la contempler. Entourée de putti, elle semble sortir des flots dans une pose lascive et suggestive, montrant sa pleine conscience de ses charmes qu’elle dévoile au spectateur.

Il s’agit d’une scène mythologique, pourtant un thème traité à de nombreuses reprises, qui sert ici de prétexte pour peindre un nu voluptueux en mesure d’éveiller l’imagination du spectateur. Ainsi, la déesse est représentée toute en formes rondes et sensuelles, dans une torsion qui met en valeur ses formes féminines, ses hanches, ses seins… Se crée alors une tension très intéressante entre le caractère divin et idéalisé de son corps et son côté très réaliste et sensuel, presque palpable.

qed.GIFCabanel applique ici un langage très académique : cette peinture répond aux caractéristiques de la peinture d’histoire par le format, l’idéalisation du corps (pas de pilosité par exemple, la chance !), par le sujet mythologique et la touche finie lissée. L’enseignement de l’école des Beaux-Arts que suit Cabanel comporte l’étude de nus d’après modèles vivants et on assiste sous le Second Empire à un renouveau du genre. Le nu féminin n’est cependant légitime que lorsqu’il sert à peindre une scène mythologique, allégorique ou orientale (comme Le Bain Turc, Ingres, voir article ici). Cette absence d’alibi « académique » sera d’ailleurs une des raisons des virulentes oppositions quant à l’Olympia de Manet, peinte en 1863 également mais exposée en 1865.

Fortune critique

Le tableau est exposé au Salon officiel de l’Académie des Beaux-Arts en 1863. Sa réception va être duelle : certains furent subjugués par ce chef-d’œuvre d’académisme, d’autres indignés. Parmi les détracteurs les plus actifs, on retrouve notamment Emile Zola qui n’hésite pas à traiter la jeune femme représentée de « sorte de pâte d’amande blanche et rose »… Il y voit une Vénus caractéristique de l’époque du Second Empire, c’est-à-dire une courtisane parisienne bien entretenue, symbole de la décadence sociale actuelle et de la futilité de l’Empire.

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Olympia, Edouard Manet, 1863, Salon de 1865, musée d’Orsay, Paris

Ceci dit, la Vénus de Cabanel est donc un parfait exemple de l’art qui emportait alors l’adhésion du public et des instances officielles. Théophile Gautier se fait le porte-parole de ce goût impérial dans le Moniteur universel : « La fille des flots va devenir une femme. Il est impossible de rêver rien de plus frais, de plus jeune, de plus joli, que cette tête renversée sur le bras qui se replie. C’est l’idéal de la grâce enfantine et mignarde ».

L’année même de sa présentation au Salon, il fut acheté 20 000 francs par Napoléon III qui le fit mettre sur sa liste civile, révélant par la même occasion l’intérêt de l’empereur et de cette classe impériale pour ce genre de peinture révélant des corps nus idéalisés de déesses ou d’odalisques sans que la morale n’en soit offensée. Dès 1865, il fut accroché sur les murs de l’Elysée. C’est alors un grand succès pour Cabanel, à l’origine de sa fortune, d’autant plus qu’il va céder ses droits de reproduction à la maison Goupil, permettant la diffusion de nombreuses gravures de son œuvre et participant de sa renommée.

Les Salons en 1863

Organisé par l’Académie des Beaux-Arts, le Salon au XIXe siècle sert de tribune aux artistes désireux de se faire connaître du public. C’est un lieu de vente où l’Etat comme les particuliers peuvent acheter, mais également un lieu de débats artistiques, là où naissent et périssent les carrières des artistes. Vivier des critiques d’art, c’est un milieu qui se développe beaucoup au XIXe siècle. Pour exposer, les artistes devaient passer devant un jury, bien souvent contesté et jugé trop réactionnaire.

En 1863 s’opère une première volonté de rupture : le trop grand nombre d’artistes refusés au salon fut à l’origine de la mise en place du Salon des Refusés, ordonné par Napoléon III. Le public se presse donc à ce salon si polémique où est exposé, entre autres, Le Déjeuner sur l’herbe de Manet. L’attraction du salon non officiel suscita de nombreuses critiques et indignations : Manet a peint une femme nue provocatrice, au corps bien trop contemporain, inclue dans une scène jugée bien trop obscène et frivole, le spectateur prenant part à « une partie carrée »…

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Le Déjeuner sur l’herbe, Edouard Manet, 1863, Salon des Refusés 1863, musée d’Orsay, Paris

La même année se tiennent donc deux salons aux deux tendances bien différentes. Tout s’oppose entre le nu de Manet et la Vénus de Cabanel, l’un suivant un fort mouvement académique, l’autre davantage dans la modernité et la radicalité. Tous deux souhaitent néanmoins s’inscrire dans la tradition du passé, avec de grandes références aux Maîtres comme Titien, Raphaël, ou encore plus récemment, Ingres.

Peu à peu, les artistes vont essayer de se détacher des dures règles du Salon et vont créer des lieux d’exposition alternatifs avec notamment le Salon des Indépendants en 1884, les Salons Indépendants de Courbet, etc… Ils vont petit à petit arriver à se libérer du goût du jury pour exposer ce qu’ils veulent. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on assiste aussi au développement du métier de marchand, créant des galeries où les artistes pouvaient également exposer. Tout cela va participer du détachement de l’Académie des Beaux-Arts du Salon officiel en 1881 qui prendra alors le nom de Salon des Artistes Français.

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