Conférence ciné-club : « Cinéma et Patrimoine. Conserver les films »

Suite à l’invitation du ciné club de l’école du Louvre, Béatrice de Pastre, directrice des collections du CNC (Centre National Cinématographique) présentait à l’école, le mercredi 18 janvier, une conférence sur la conservation des films. Voici un compte-rendu de son exposé.

Le plan de Mme de Pastre était simple : comment passe-t-on d’une pellicule plus ou moins endommagée à un film comme neuf à la télévision ou au cinéma ? En somme quelles sont les étapes de la conservation et de la restauration d’un film, et qu’est-ce qu’elles impliquent ?

Les lieux et institutions de conservation

Tout d’abord, il faut savoir que la prise en charge du patrimoine cinématographique par l’Etat a été tardive. Les premières cinémathèques se sont constituées autour d’associations qui se chargeaient de la diffusion de films au début des années 1920. Il s’agissait plutôt de lieux d’éducation. La toute première cinémathèque est l’Office du Cinéma de Saint-Étienne créée en 1922. Ces institutions qui n’avaient qu’une mission de diffusion du cinéma sonr5151-443ae6t devenues les premiers lieux de conservation.

La fameuse Cinémathèque Française est créée en 1936, toujours dans le secteur privé, au même moment que le cinéma parlant. Et en effet, son intention première était de collecter et conserver le cinéma muet.5732843_2

L’engagement de l’Etat se fait attendre ; ce n’est qu’en 1968 que l’on crée les archives du film au sein du CNC (qui avait été fondé en 1946, comme une réunion entre les pouvoirs publics et les professionnels du cinéma). C’est la première fois que l’Etat prend vraiment en charge le patrimoine cinématographique ; mais il ne s’en désintéressait pas complètement avant, en effet la cinémathèque recevait déjà des subventions.

Comment se constituent les archives ?

En 1977, on invente le dépôt légal cinématographique. Il impose à tout film sorti en salle l’existence de sa copie, envoyée par les producteurs, aux archives du CNC. Cela permet de conserver une trace patrimoniale de quasiment toutes les œuvres. Aujourd’hui ce dépôt légal est imposé à tous les films ayant reçu un visa d’exploitation. La production doit envoyer une copie 35 mm aux archives : cette contrainte pose un problème financier, une copie argentique coûtant entre 25 – 30 000 €. C’est pourquoi le CNC reçoit aujourd’hui peu de copies : en 2015 ils n’en ont reçu que 15 ! Des aides sont mises en place pour financer la copie, allant jusqu’à 80% du prix. Cette faible collecte s’explique d’après Mme de Pastre, par le désintérêt inné pour la dimension patrimoniale du monde du cinéma. Elle nous citait comme exemple les autodafés organisés dans les années 1910 par les producteurs eux-mêmes pour permettre la diffusion de nouveaux films.dv

Le CNC reçoit aussi des dons et réalise des acquisitions. Il y a également une grande partie des films conservés qui font partie de dépôts de particuliers ou d’institutions.

Les archives comprennent 1 100 000 boîtes ce qui représente 110 000 œuvres datant d’entre 1892 et aujourd’hui.

La conservation des boîtes

Les boîtes contiennent les pellicules de films dont les formats sont différents. Les magasins des archives (situés à Bois d’Arcy) sont d’abord organisés par support :photo-1248601597262-1-0 nitrate, support de « sécurité » (acétate, polyester), multimédia. Puis on classe selon s’il s’agit de négatifs originaux, de copies, de sons, d’internégatifs (les titres, génériques…).

Cette séparation permet une meilleure conservation notamment en cas d’accident (incendie par exemple). De plus, ils ne se conservent pas tous de la même manière. Les sons sont par exemple mis à part car ils s’abîment plus vite: s’ils étaient laissés avec les films, leur dégradation pourrait les attaquer (« syndrome du vinaigre »). Autre exemple : les pellicules nitrate sont très inflammables, elles doivent être conservées à 13°C pour éviter tout risque.

Identifier les films

Une fois que les boîtes ont été classées, on peut s’attaquer à ce qu’elles contiennent. Il s’agit d’abord d’identifier le film que l’on a entre les mains. Le travail peut aller très vite s’il y a un générique. Mais quand il est absent cela peut être très fastidieux. En effet, les génériques n’étaient pas forcément réalisés ou n’étaient pas intégrés directement aux films.

Pour identifier un film sans générique, on peut s’aider des manchettes des négatifs où est parfois inscrit le nom du producteur. On peut aussi chercher dans leurs catalogues qui réunissent des petits résumés des films.

La restauration

La restauration pose le problème de la fidélité à l’œuvre originale. Si on a seulement un exemplaire d’un film, on réalise simplement une copie, sans rien changer puisqu’on n’a pas d’autre témoignage.

S’il y a plusieurs versionTorsionPellicule.jpgs, la restauration devient plus complexe. En effet, les censures étaient courantes et nombreuses (nationales, régionales, locales…). Un film pouvait ne pas être le même à Paris et à Brest. En coupant une scène ici, une scène là, puis en oubliant de les remettre ou en ne les mettant pas à la bonne place, on obtient des versions d’un même film complètement différentes.

Les restaurateurs se trouvent face à une question cruciale : quelle œuvre montrer ?

Il faut le plus possible s’aider de la connaissance de l’auteur et de son époque quand on n’a pas de témoignage direct pour s’aider. Le résultat d’une restauration est ainsi une interprétation du restaurateur et pas exactement le film original (même s’il tend le plus possible à s’en rapprocher).

La restauration est aussi plus physique quand la pellicule est matériellement abîmée. Dans tout les cas, le film est copié à l’aide d’une tireuse. Les restaurateurs ne travaillent jamais avec les originaux.

Dans le cas d’une restauration numérique, on scanne la pellicule et on travaille à partir d’une version numérisée du film. Les restaurateurs utilisent un logiciel spécialisé qui leur permet d’enlever les poussières, les rayures etc. Mais ce logiciel fait parfois des erreurs : il s’agit alors de « restaurationdé-restaurer » le fichier numérique. Le travail peut être fait à la tablette graphique sur chaque photogramme, ce qui est très long donc pas systématique.

Le restaurateur fait attention de ne pas effacer des défauts dus à l’époque où le film a été réalisé et pas au passage du temps. Cependant certains outrepassent cette précaution : Roman Polanski, par exemple, a insisté pour que l’on réalise lors de la restauration de son film Tess (1979) un trucage qu’il ne pouvait pas réaliser à l’époque.

Une fois le travail numérique de restauration effectué, on fait le chemin à l’envers : à l’aide d’un imageur on transforme le ficher en images argentiques.

Valoriser les collections

Une institution patrimoniale se doit aussi d’effectuer un travail de valorisation de ses collections notamment par leur diffusion.

En 1990 a été mis en place le « plan nitrate » qui consiste à restaurer tous les films sur pellicule nitrate. Ils sont menacés car leur durée de vie est de seulement 70 ans. Il était quasiment trop tard pour les films de la fin du XIXe siècle mais le plan a permis de sauver un grand nombre d’œuvres. Après leur restauration, le CNC a organisé leur diffusion dans des festivals, des cinémathèques et a permis leur consultation libre dans certains lieux (BNF, bibliothèques associées à l’INA).cc9fb8b3bc40394182e535e7607fca89

En 2012 le CNC a mené un plan de numérisation pour une diffusion en VAD (Vidéo à la demande), Blu-ray, DVD etc.

L’animation de l’important réseaux patrimonial des cinémathèques en France est centrale. Cela passe par le soutien des collections, l’organisation d’expositions (notamment De Méliès à la 3D jusqu’au 29 janvier à la Cinémathèque Française, constituée avec un dépôt d’appareils du CNC), de festivals… Le CNC met également en place un outil pour avoir accès à toutes les collections du cinéma en France, qui devrait voir le jour l’année prochaine sous le nom de « Garence ».

La conservation des films est un enjeu important pour le patrimoine français, mais aussi international. Le CNC est un des principaux acteurs en France de cette conservation patrimoniale, avec l’aide des nombreuses cinémathèques présentes sur le territoire.
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PS : L’équipe du ciné club souhaite à nouveau remercier Béatrice de Pastre de s’être déplacée et de nous avoir tenu un propos si riche et si clair. Nous remercions également tous les élèves (et extérieurs) ayant assisté à la conférence.

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