La frise des porteurs de dons de Persépolis

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L’histoire du Palais remonte en 520 avant J.-C., au début de la dynastie Perse Achéménide, sous le règne de Darius Ier qui veut établir une nouvelle ville de résidence royale. Le choix des deux nouveaux sites de Suse et de Persépolis était motivé par une volonté politique de marquer la réorganisation dynastique et d’exalter le nouveau pouvoir achéménide. Ce site a aussi une valeur fortement symbolique car il est localisé au centre d’un empire qui a atteint sous Darius sa plus grande expansion.

Le Palais de Persépolis :

8f123b6e977abdb0a4801f5565b903b2C’est un complexe palatial gigantesque, élevé à environ 1 100m sur une terrasse aménagée à côté du flanc de la montagne Koh-e-Rahmat (le mont de la Miséricorde). Le complexe est visible de loin car il mesure environ 450m sur 300m. Les travaux de la construction de cette nouvelle ville seront entrepris par Darius puis seront poursuivis par son successeur Xerxès Ier, ensuite stoppés par Artaxerxès Ier puis repris et presque achevés sous Artaxerxès III. Chaque roi a pris soin de se faire construire une partie supplémentaire dans le complexe palatial. Sous Darius Ier ont été construit l’Apadana qui fait office de gigantesque salle d’audience, son palais au sud de l’Apadana ainsi qu’une partie de la Trésorerie.

Le bas-relief des porteurs de dons : 

Image2.pngLes personnes invitées par le roi devaient gravir les marches menant à la terrasse, franchir la Porte des Nations flanquée de deux magnifiques taureaux pour arriver dans une grande cour dans laquelle se détache l’Apadana sur la droite. Les bas-reliefs étaient donc visibles par tout le monde immédiatement. Ils constituaient le décor des façades des escaliers Nord et Est de l’Apadana, mesurant 2,60m de haut et 82m de long pour chacune. Auparavant, les bas-reliefs étaient polychromes avec des tons assez vifs avec du bleu turquoise, du rouge, de jaune d’or, du pourpre foncé et du bleu lapis-lazuli, le tout sur un fond noir mais aujourd’hui tout a disparu, laissant une grande impression de monotonie.

Notre frise des porteurs de dons se trouve sur le côté gauche de l’escalier de la façade Est. Il consiste en un défilé de personnages sur 3 registres horizontaux, séparés par une frise de rosaces, tous dirigés vers la droite (panneau central de l’escalier). Ces porteurs sont tous divisés par peuple par des arbres qu’on retrouve aussi sur les limons, certainement des conifères. Il y a en tout 23 groupes de tributaires sculptés, certains sur la rampe. Chaque délégation compte environ 3 à 8 membres et le chef de chacune est mené par un huissier perse ou mède vers l’entrée de la salle d’audience. Tous portent des offrandes, à l’exception du premier groupe (Mèdes) et ils sont tous désarmés, sauf les Scythes. La lecture de ces délégations se fait de haut en bas et de droite à gauche à partir de la scène centrale et leur ordre correspondrait à une certaine hiérarchisation des délégations.

captureEn premier viennent les Mèdes accompagnés de leurs chevaux de course et portant cruches, coupes profondes, épées et costumes. Ensuite les Elamites, amenant robes plissées perses, arcs à tête de canard, poignards et une lionne et sa progéniture. En troisième viennent les Parthes avec des étalons et des amphores à anses de griffon en métal précieux. Les quatrièmes sont les Aryens et en cinquième position les Babyloniens. Il ne faut pas oublier que tous ces reliefs étaient polychromes donc mettaient en valeur la somptuosité des cadeaux apportés, des vêtements et costumes de chaque délégation.

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Délégation Scythe « à la coiffe pointue », ou Saka Tigraxauda

De l’autre côté de l’escalier se trouvait tout un défilé de l’armée perse, aussi sur 3 registres. Il s’agit certainement de la garde royale composée de fantassins et de cavaliers ainsi que de deux chars. Les gardes portent l’arc et le carquois rempli de flèches et sont dans la même attitude que la frise du palais de Suse, leurs drapés tout aussi bien parés.

La cérémonie du Nouvel-An :

Il s’agit donc d’une procession d’hommes (aucune femme) venus remettre, en signe d’allégeance, des cadeaux au souverain perse. La remise de ces dons serait annuelle, certainement lors de la cérémonie du Nouvel-An iranien au printemps. Ils effectuent le déplacement en masse pour honorer le souverain et le prince héritier. Le jour de la fête, les hôtes du roi et les ambassadeurs des satrapies effectuaient tout un cheminement dans le palais. Ce décor annonçait aux invités du Roi le spectacle qu’ils allaient voir car il n’était pas question que tous entrent dans l’Apadana. Il s’adressait alors aux spectateurs restés en bas, d’où sa valeur narrative. La frise des porteurs de dons représenterait donc « en raccourci » la première partie de cette cérémonie.

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Délégation Lydienne

Il y a cependant quelques hypothèses contraires à cette idée : d’après les textes grecs, les Grands Rois séjournaient plutôt en automne à Persépolis, et non pas au printemps lors du début de l’année iranienne. De plus, les reliefs représentent une scène extérieure avec les arbres, ça ne peut donc pas se passer dans l’intérieur d’un palais comme Persépolis. Il faudrait trouver alors une autre raison à ce rassemblement de dons. Il pourrait alors s’agir des moments où le souverain se rendait dans les satrapies avec des chariots et des gardes pour recevoir les témoignages de fidélité des divers groupes de la population. Ce qui apparaîtrait alors sur le relief serait un condensé d’une multitude d’événements isolés.

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Représentant de la délégation Parthe

Les objets et animaux portés par les peuples sont des cadeaux, il ne s’agit pas de tributs qui étaient quant à eux relevés par les satrapes annuellement directement dans les régions sous forme de poids d’argent. Ce sont des produits propres à chaque peuple : par exemple, les pantalons, les jupes et les armes appartiennent aux costumes nationaux. Ce sont des productions locales ainsi que des animaux qu’on trouve couramment chez eux comme les chameaux pour les Aryens. Chaque peuple porte les costumes caractéristiques de leur région comme les Susiens et leur tunique décorée de rosaces. C’est une immense mise en scène qui symbolise la mainmise perse sur les productions des régions soumises.

Ce programme participe de la propagande perse prônée par Darius d’un monde où tous ses sujets lui seraient fidèlement soumis. Ce thème ne marque pas une conquête militaire mais apparaît comme une sorte de catalogue des peuples de l’empire ou, selon les termes de J.G. Herder, « comme une charte statistique et géographique de l’empire perse ». Ce bas-relief est porteur d’un message idéologique très clair : l’empire du Grand Roi est immense, la variété ethnique et linguistique de ses peuples est extrême, le souverain y exerce un pouvoir sans limite grâce à l’appui constant d’Ahura-Mazda.

L’art perse, un art de propagande : 

Le palais est le monument achéménide par excellence, leur grandeur montre la puissance de leur roi. Cette frise montre que tout au sommet de l’empire se trouve le monarque absolu aux pouvoirs illimités, appelé « roi des rois », « roi des pays » ou encore « roi des Mèdes et des Perses ». Le cérémoniel de la cour, peut-être issu de celui des Mèdes, s’organisait tout entier autour de cette position exclusive et dominatrice du roi. Tous les reliefs présents dans ce palais participent à l’exaltation de sa gloire. Le roi est toujours montré soumettant ses ennemis ou ses peuples car il est le chef ultime et personne ne doit se mettre en travers de sa route, comme sur le rocher de Bisotun.

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Rocher de Bisotun
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Archers de la frise des Immortels, palais de Suse

L’art perse est un art de cour, ornemental, froid et sans expression. On le qualifie souvent de cosmopolite et d’éclectique car il puise dans de nombreuses influences notamment babyloniennes et assyriennes avant que les conventions et les codifications ne soient figées dès la deuxième partie du règne de Darius Ier. L’art perse est mis au service d’une politique de propagande qui prône l’universalité. Tout l’art achéménide est chronologiquement indissociable. Le décor qui illustre parfaitement cette intemporalité et cette universalité est la frise des Immortels de Suse.

Ici à Persépolis, l’architecture soumet la sculpture, qui est pleine de détails précis mais également soumise à une absolue symétrie. Les personnages sont comme figés dans leur mouvement. Cette immobilité des personnages est totalement voulue car les Achéménides avait la volonté de représenter l’éternel par l’identique. Le relief entier donne une impression de retenue, bien que les formes soient assez douces et les traits arrondis. Les représentations sont presque idéalisées et les seuls signes de vie sont les gestes entre les huissiers et les chefs de délégation. La règle de l’isocéphalie est appliquée à tous les personnages, effaçant totalement l’individualité. C’est une grande unité dans la paix.

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Relief de la Trésorerie, musée Iran-Bastan de Téhéran

Sur le relief de la Trésorerie, anciennement placé au centre de l’escalier, on peut voir le roi Darius 1er assis sur un trône rehaussé par une estrade. Son successeur Xerxès se tient juste derrière lui. La scène représentée est une scène d’audience car le grand chambellan vient annoncer l’arrivée des délégations en faisant le geste de respect devant les souverains perses appelé proskynèse. La règle d’isocéphalie est ici appliquée, sauf pour le Grand Roi et son fils dont le statut exceptionnel transparait dans la taille, dans l’estrade qui les élève tous les deux et les brûles parfums qui les isolent du monde. Un disque ailé symbolisant le dieu suprême surmonte cette scène.

 

Les décorations murales de Persépolis ont été sciemment voulues par Darius. Elles expriment ses conceptions à l’égard de la souveraineté, élaborée au cours de son règne. L’ensemble du décor, les matériaux précieux, les dimensions gigantesques, le nombre et la variété des constructions architecturales n’avaient alors qu’une seule et même fonction : glorifier l’immensité et la géniale organisation de l’Empire du Grand Roi.

 

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