
Fleuron de l’architecture du XVe siècle, le château des ducs de Bretagne peut fasciner les curieux par bien des aspects. Silhouette médiévale surplombant la ville, marqueur identitaire d’une région, lieu de la naissance d’Anne de Bretagne ou encore de la signature de l’Edit de Nantes… Le château fut le théâtre d’une histoire mouvementée pendant six siècles.
Alfred Caravanniez, Anne de Bretagne, 1884
Reliquaire du coeur d’Anne de Bretagne, or et pierres précieuses
Nantes, musée historique.
La duchesse Anne a favorisé les activités intellectuelles et artistiques en protégeant les artistes, et demeure dans la mémoire des Bretons la « bonne duchesse ». Cette image n’a cessée d’être transmise au cours des siècles.
Au XVe siècle, l’établissement d’une capitale
Au début du XVe siècle, le duc Jean V tenta de créer un Etat breton ; cela posa la question du choix d’une capitale. Nantes était alors une puissance économique importante du fait de sa situation portuaire. C’est sous le duc François II (1456-1488), qui avait une inclination particulière pour les séjours nantais, que le conseil ducal se sédentarisa progressivement.
C’est donc sous le règne de François II que le palais résidentiel fut édifié, à l’emplacement d’un ancien château du XIIIe siècle. Le bâtiment prend place au sein d’un système défensif médiéval composé de remparts, de tours, de douves et d’un pont-levis. Les remparts, conçus pour être adaptés aux progrès de l’artillerie, sont réduits en hauteurs mais élargis en profondeur.
© Isaline Dupond Jacquemart
L’espace résidentiel est composé de deux parties, aujourd’hui appelées le Grand Logis et le Grand Gouvernement. L’ensemble constitue encore à l’heure actuelle la partie la plus importante du palais. La tour de la Couronne-d’Or, qui marque la jonction entre les deux espaces, et la décoration extérieure furent achevées quelques années plus tard, sous Anne de Bretagne.
A gauche : le Grand Logis, le Grand Gouvernement et la tour de la Cournne-d’Or
A droite : les armes des ducs de Bretagne, motif récurrent dans le décor du château
Centre de pouvoir et mise en scène à l’époque moderne
Le palais ducal servait également à loger la famille royale lors de ses déplacements. Il faut rappeler que la monarchie française a conservé une tradition de nomadisme jusque sous le règne de Louis XIV ; il était alors essentiel que le roi se montre physiquement à ses sujets pour asseoir son pouvoir. Pour ces occasions, le mobilier des riches bourgeois nantais était réquisitionné au service du confort royal. Le bâtiment du Petit Gouvernement fut édifié sous François Ier à cet effet sur un angle de la muraille. Il abrite aujourd’hui l’administration du musée.
A gauche : le Petit Gouvernement, XVIe siècle
A droite : extrémité du Grand Gouvernement, reconstruite sous Louis XIV
En 1589 le duc de Mercœur, un prince de la maison de Lorraine qui a épousé une descendante de la dernière dynastie ducale bretonne, s’allie à la rébellion de la Ligue. Il réinvestit le château, en faisant un centre de gouvernement politique et lieu dédié aux arts, et perpétuant ainsi la volonté du constructeur François II de Bretagne. Dans le contexte des guerres de religion, le duc se proclama « Protecteur de l’Eglise catholique et romaine » et consolida la place forte. Il fut militairement contraint au ralliement par Henri IV, qui signa le célèbre Edit de Nantes dans le château à la suite de sa victoire.

En parallèle à ces fonctions prestigieuses, le château servit également de prison provisoire pour les « grands personnages » en raison de la vétusté des prisons de la ville. Les prisonniers de haut rang attendaient là leur jugement ou leur départ pour l’exil. Cette fonction fut exploitée par les gouverneurs durant tout l’Ancien Régime.
© Isaline Dupond Jacquemart
Le château et l’affirmation identitaire au XIXe siècle
Peu avant la Révolution, le château, qui fait alors régulièrement office de prison, devient progressivement un symbole de l’éloignement entre le pouvoir royal et les corps municipaux. Cela aboutit à une perte de sens du bâtiment dans l’esprit des Nantais.
Le 19 juillet 1789, les clefs de la forteresse sont solennellement remises au maire. Le lendemain, le château est envahi par une foule à la recherche d’armes. En 1791, son démantèlement fut exigé en raison des coûts d’entretien et du symbole monarchique qu’il incarnait. L’argument de l’assainissement de la ville fut également cité. Cette proposition fut refusée par la Législative et par la Commission, en raison de l’utilité du bâtiment du Harnachement (construit en tant que réserve au XVIIIe siècle) qui abritait un atelier d’artillerie et une réserve de céréales.
Durant la première moitié du XIXe siècle, la vision portée sur les anciens monuments évolue. Les constructions médiévales ne sont plus perçues comme des témoins du despotisme monarchique, mais comme des symboles identitaires de la Nation. Avec le développement des pensées romantiques et historicistes, ces bâtiments se voient également dotés d’une aura pittoresque. Ainsi la notion de patrimoine naît et se développe, et dès 1862, le château des ducs de Bretagne est classé au titre des Monuments historiques.
© Isaline Dupond Jacquemart
Victor Petit, Château ducal de Nantes, 1861-1862.
Les missions photographiques organisées au XIXe siècle à travers la France permettent de connaître l’état des bâtiments au moment de leur protection. Le château des ducs de Bretagne était alors encore occupé par des militaires.
Le château-musée du XXe siècle
En 1915, l’Etat cède le château à la ville, et la décision est prise d’y abriter un musée. Ce musée fut tout d’abord dédié aux arts décoratifs, puis à l’identité bretonne. A partir des années 1950, les acquisitions se tournent vers le patrimoine nantais, et en particulier le patrimoine maritime. Cela apporte au château une nouvelle vocation muséale.
Tapisserie aux armes de Bretagne et armoire nantaise en acajou du XVIIIe siècle.
Nantes, musée historique
Aujourd’hui, après douze ans de lourds travaux, le château des ducs de Bretagne abrite le musée d’histoire de la ville de Nantes. Le musée intègre de très nombreux aménagements et dispositifs multimédias qui enrichissent le propos muséographique. Le château s’affirme ainsi comme un symbole patrimonial et identitaire de la ville, par la restitution d’un édifice historique qui marque fortement le paysage nantais, et grâce à une présentation claire et unifiée de son histoire.
Cet article a été réalisé avec l’aide de la photographe Isaline Dupond Jacquemart. Vous pouvez découvrir son travail sur son blog: http://isalinedupondjacquemart.tumblr.com
© Isaline Dupond Jacquemart