Une Saint-Valentin hors normes

Un article publié le 14 février… sur la Saint-Valentin donc ? Hum, presque. Disons que je suis un peu lassée de voir des publicités sexistes représentant des couples hétérosexuels. Mais où sont donc les gays, les lesbiennes et les bi ? Perdu.e.s dans les stratégies commerciales du 14 février ? Apparemment. Si en terme de droit les avancées se font timidement, le combat pour la représentation dans l’espace public est toujours compliqué.

Le cadre législatif

Toute personne intégrée dans une société voit son existence régie par les lois de cette dernière ; l’orientation sexuelle ne faisant pas exception à cette règle.

  • Jusqu’au XVIIIe siècle les relations homosexuelles étaient punies de la peine de mort

  • En 1982 la loi supprime toute pénalisation de l’homosexualité et détruit les fichiers de police sur les homosexuel.le.s

  • En 1990 l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales

  • En 1999 le gouvernement français met en place le Pacte Civil de Solidarité (PACS)

  • En 2000 les associations de lutte contre l’homophobie ont le droit de se porter partie civile lorsqu’un crime a été commis « en raison de l’orientation sexuelle de la victime »

  • En 2001 le tribunal de grande instance de Paris accepte pour la première fois l’adoption par une femme lesbienne des trois enfants de sa compagne

  • En 2003 la loi aligne les peines infligées pour les crimes homophobes sur celles prévues pour les crimes racistes

  • En 2004 elle aligne les peines infligées pour les propos homophobes sur celles prévues pour les propos antisémites

  • En 2013 l’Assemblée nationale vote en faveur du projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même genre

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Si ce n’est plus pénalisé de se marier en tant que couple homo, pourquoi est-ce si difficile de trouver des représentations de ces derniers ? Une recherche sur Google Image avec le mot-clef « couple » donne une immense majorité de résultats hétérosexués. Le premier couple homo visible est à la 575e place et c’est un couple fictif, issu d’une série américaine pour adolescents.
Malgré les avancées sociales qu’a pu connaître la communauté LGBTQ+, le combat pour la représentation est toujours en cours. Ce n’est pas sans rappeler la polémique autour de la dernière campagne nationale contre le VIH qui a été à de multiples reprises dégradée par des groupes homophobes ; ou encore l’affiche du film « L’Inconnu du lac » (2013) qui a été censurée dans les quartiers bourgeois de Paris.

Si aujourd’hui dans une société censée accepter l’homosexualité les représentations de celle-ci amènent toujours à controverses, comment étaient représenté.e.s les gays, lesbiennes et bi avant la dépénalisation ?

Au début du XXe siècle la publicité commence à être très visible et plusieurs marques ont joué sur l’ambiguïté pour toucher un autre type de client.e.s. Cette image créée pour Ivory Soap en 1917 représente un homme debout, partiellement déshabillé, qui tend à un second assis une savonnette. Les regards se croisent et les mains se touchent, n’importe qui pouvait ressentir la tension intégrée à cette scène.

Une autre image de 1943 parue aux États-Unis illustre une scène de bain entre militaires. Ces corps musclés semblant être huilés sont mis en torsion afin d’en voir tous les détails et les angles de vue. La seule femme de l’affiche est représentée dans un encart, sa peau quant à elle est bien plus couverte. Censée faire la publicité de serviettes de bain elle n’en montre pourtant que très peu dans l’illustration principale.

La publicité de Smirnoff datant de 1958 représentant deux hommes d’âge mûr, en costard, en train de savourer un verre de vodka Smirnoff. Leurs attitudes sont très tendres l’un envers l’autre, celui qui est debout pose sa main sur l’épaule de son ami avec beaucoup de bienveillance. Le sens caché ne l’est pas longtemps puisqu’une polémique est née et a secoué la marque.

Ces publicités, à une époque où l’homosexualité était encore pénalisée ou à peine tolérée, ne sont pas clairement des illustrations de couples homosexuels mais elles jettent un trouble. L’entrée dans la société de consommation implique la multiplication des publicités, ce qui permet d’intégrer de nouveaux schémas. Les allusions les plus subtiles seront comprises par les personnes concernées, les images plus claires permettront une légitimité sociale du couple homosexuel.
Les hommes sont bien plus représentés car ils sont le pouvoir économique du couple hétérosexuel. Mais des allusions aux couples lesbiens ont aussi été faites.

La première publicité présentée ici pour la marque S Karpen & Bros a été créé en 1939 pour les États-Unis. Le produit mis en vente est un matelas et pour le mettre en avant deux femmes se tenant la main sont représentées en train de courir gaiement. L’ambiguïté est à peine cachée, nous pouvons très bien imaginer ces deux femmes ayant passé la nuit ensemble sur ce matelas S Karpen & Bros.

La deuxième image vient de Kattex continentale et est parue dans les années 1960 au Royaume-Uni. Un groupe de femmes portant leur manteau de pluie Kattex discutent et jouent dans un champ. Le slogan : « Go gay with a Kattex continentale » soulève toute l’ambivalence de l’image.
Enfin la troisième illustration de 1962 pour la marque 7up titre « Thirst getting into the act ? » (= Soif de passer à l’acte?) en présentant trois jeunes filles dansant et une quatrième à moitié gênée à moitié tentée se cachant derrière sa pochette.2006

Quand l’homosexualité a été dépénalisée, elle a été rapidement associée aux ravages du VIH et donc ses images se sont tournées vers la prévention. Ce qui est positif puisque le risque existe, pour toute personne peu importe son orientation sexuelle et ses pratiques. Mais dans l’(in)conscient collectif, le sida est devenu une caractéristique indiscutable de l’homosexualité. L’affiche ici présentée date de 2006, depuis la publicité notamment dans le secteur vestimentaire a multiplié les représentations de couples gays et lesbiens. On peut prendre l’exemple de la marque The Kooples dont le concept publicitaire est de photographier un couple (réel ou fictif) habillé avec leur tenue. Si The Kooples a fait ce choix c’est que cette marque veut s’inscrire dans une catégorie de jeunes branchés.

Les annonceur.se.s refusent de prendre le risque que les hétérosexuel.le.s se détournent de leur produit. C’est une forme de perpétuation de l’hétéronormativité où tout ce qui ne rentre pas dans la norme fait office d’exception presque suspecte. Chaque Saint Valentin est l’occasion de mesurer le taux de représentativité des couples homo dans cette course marketing. L’imagerie populaire crée des schémas dans l’inconscient collectif et c’est pour cela que c’est un point essentiel des études sociologiques et historiques des dites minorités. Plus les minorités sont représentées et moins elles apparaissent comme étant justement des minorités. L’acceptation sociale se fait par la voie légale mais aussi par la voie culturelle. Tout récemment une publicité de la Bank of Australia and New Zealand, entreprise sponsor de la Gay Pride d’Auckland (Nouvelle-Zélande), promeut le fait de se tenir la main pour un couple homosexuel avec le #HoldTight. En effet même aujourd’hui les démonstrations de tendresse peuvent être source de problèmes (harcèlements, agressions, etc). Ce spot publicitaire met en scène l’omniprésence du regard et du jugement des autres et le malaise qu’ils impliquent. Nous comprenons mieux ensuite le courage que nécessite le fait – pourtant naturel pour des hétérosexuel.le.s – de se tenir la main.

Pour aller plus loin … de l’origine des termes

Comme l’histoire est toujours racontée par le vainqueur, les mots sont toujours choisis par les dominants, a fortiori lorsqu’il s’agit de nommer celleux ne rentrant pas dans la norme. La société française se targue d’être le pays des droits de l’Homme (sic!), mais elle est loin d’être sortie du moule hétérosexuel, blanc, masculin, bourgeois et valide. Pour parler des « minorités » nous sommes obligé.e.s en partie d’utiliser les mots créés par d’autres, alors autant connaître leurs origines pour en saisir tout leur poids. Je ferai ici un rapide récapitulatif des termes les plus connus.
Sappho de Lesbos, poétesse grecque du VII-VIe siècle avant notre ère, est la première à chanter la passion et le désir entre femmes. Le terme lesbianisme vient donc de son nom, et a été popularisé par Charles Baudelaire et son fameux recueil de poèmes Les Fleurs du mal (1857).
Le terme gai / gay est une fusion probable du gothique gâtheis (vif, rapide) et du latin vagus (errant, vague). Le premier sens du mot est joyeux, jovial ; le second se référant à l’homosexualité nous vient vraisemblablement de l’origine latine du mot employé pour qualifier les prostitué.e.s, leurs clients, et tout.e individu.e aux mœurs jugées suspectes. « Gai » devient au début du XXe siècle un mot de passe dans la culture underground au Royaume-Uni. Ce qui était implicite devient explicite au cours des années 60 et « gai » devient « gay » une vingtaine d’années plus tard. « Gai » servait aussi à qualifier les lesbiennes mais lors du changement de l’orthographe le terme devient exclusivement masculin. En effet il participait à l’invisibilisation des lesbiennes et bisexuelles. On note ici qu’en 1990 la Gay Pride devient la Lesbian and Gay Pride.
Le terme bisexuel.le, au sens actuel, est arrivé plus tardivement, notamment sous la plume de Henry Havelock Ellis dans Studies in the Psychology of Sex, Vol II Sexual Inversion (1915).
« Homosexualité » nous le devons à l’écrivain Karl maria Kertbeny en 1869 mais il est popularisé en 1887 avec Richard von Krafft-Ebing qui publie Psychopathia sexualis, inventaire des faits cliniques liés aux troubles sexuels. La nature du livre précise vite le contexte et le point de vue de l’auteur : c’est un écrit psychiatrisant qui qualifie l’homosexualité de maladie. En 1892 il crée le terme « hétérosexualité » pour créer une opposition qui va se cristalliser.
L’histoire des mots est essentielle pour comprendre les tenants et les aboutissants de l’utilisation d’un terme plutôt qu’un autre, cela permet aussi de comprendre pour la communauté LGBTIQ+ en refuse certains, s’en réapproprie d’autres ou en crée de toutes pièces.

Lectures indicatives

Bernard Andrieu (sous la dir.), Le Dictionnaire du corps en sciences humaines et sociales, éd CNRS, 2008
Didier ROTH-BETTONI, L’Homosexualité au cinéma, éd La Musardine, 2007
La représentation de l’homosexualité en publicité, site FranceTV (« T’as tout compris » épisode 9)
La campagne publique de prévention gay menacée par la censure, site Têtu
Homosexualité et publicité : le mariage interdit ? , site Vivelapub.fr

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