La robe de Cécile Duflot s’expose au Musée des Arts Décoratifs

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©elle.fr

La robe à fleurs appartenant à Cécile Duflot est actuellement exposée dans l’exposition « Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale », au Musée des Arts Décoratifs.

Cette tenue portée par Cécile Duflot à l’Assemblée Nationale en juillet 2012 a soulevé des moqueries de la part d’un groupe masculin, qui a sifflé la ministre, ce qui en fait un parfait exemple de la section « Règles et conseils » de l’exposition, puisque cette partie s’attache à décoder et expliquer les différentes injonctions vestimentaires qui ont pu être en vigueur depuis le XIVe siècle.

Cette robe est tout d’abord intéressante pour les réflexions qu’elle soulève quant aux règles vestimentaires, à la question de « dress code » et à la façon de s’habiller pour se conforter ou non à un groupe. En effet, dans notre société actuelle, nous mettons en avant l’idée d’une grande liberté vestimentaire individuelle. Et pourtant, il existe encore des codes, des conventions, un « savoir s’habiller » qu’il ne faut pas enfreindre au risque de passer, au mieux pour un original, au pire pour quelqu’un d’impoli et d’irrespectueux. Malgré le fait qu’il n’y ait pas de règles écrites sur l’habillement des députés à l’Assemblée Nationale, il y a un véritable code vestimentaire tacite entre les membres de l’Hémicycle. Quiconque l’outrepasse risque de s’exposer aux railleries des autres députés, comme Jack Lang avec son costume à col Mao sans cravate en 1985.

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©ina.fr

On ne s’habille en effet pas seulement pour soi, mais aussi pour les autres, que ce soit pour essayer de se fondre dans la masse ou au contraire de s’en démarquer. Dans un cadre aussi formel que l’Assemblée Nationale, il est mal vu d’essayer de sortir des rangs avec un habillement qui détonne. La robe de Cécile Duflot n’était pas choquante en elle-même, puisqu’elle n’était ni trop longue, ni trop courte, ni trop chère, ni trop décolletée, ni trop colorée. Mais le simple fait que l’ex-ministre ait porté une robe à fleurs qui se démarquait de ses collègues en costumes sombres a suffi à attirer les regards, et donc les moqueries. Présenter cette robe dans l’exposition était ainsi un choix pertinent pour montrer la façon dont la société continue d’imposer des normes vestimentaires, et comment les moindres écarts peuvent être jugés et critiqués.

 

Mais comment expliquer que cette robe, qui n’enfreignait aucune règle vestimentaire, ait pu être l’objet de railleries aussi bruyantes ? L’attitude des députés qui ont réagi tient sans doute plus du sexisme que de la simple boutade. La présence de la robe de Cécile Duflot dans l’exposition « Tenue correcte exigée » permet donc de s’intéresser à la question du sexisme à travers l’habillement. Cette question est rarement soulevée dans les expositions de mode, car nous sommes le plus souvent en présence de vêtements féminins, puisque l’historiographie de la mode à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle a porté plus d’intérêt à la mode féminine que masculine. Les enjeux du machisme et du sexisme sont donc assez peu évoqués lors des expositions de mode.

Avec l’exposition de la robe de Cécile Duflot, le visiteur peut directement se rendre compte de la réalité du sexisme dans le milieu de la politique, encore bien trop masculin. Mais la réflexion peut être poussée au-delà du monde de la politique, et s’étendre à l’habillement féminin en général. On peut par exemple penser à la culpabilisation vestimentaire des femmes, qui est visible à travers le fait que la question de l’habillement est toujours soulevé dans le cas d’une agression sexuelle envers une femme. Une femme sifflée ou remarquée pour sa tenue sera toujours présentée comme responsable. L’ex-ministre est consciente de la symbolique que sa robe a acquis : elle confie à France 3 : « Je la récupérerais peut-être quand l’expo sera finie mais elle ne m’appartient plus vraiment, c’est le symbole du sexisme en politique désormais ». Tout comme la célèbre phrase de Michèle Alliot-Marie, qui déclara suite à son interdiction d’entrer dans l’Hémicycle en pantalon en 1972 « Si c’est mon pantalon qui vous gêne, je l’enlève dans les plus brefs délais », nul doute que cet événement témoignant du machisme ordinaire passera à la postérité. Exposer cette robe permet donc de permettre à un événement d’actualité de s’inscrire dans l’histoire.

Enfin, ce qui est également intéressant, c’est le fait que cette robe à fleurs assez basique, achetée à 59,50€ sur le site Boden, est exposée dans une institution muséale aussi importante que le Musée des Arts Décoratifs. La démarche est assez inédite dans le milieu des musées de la mode et du costume, dans lesquels les visiteurs ont davantage l’habitude de contempler derrière les vitrines des tenues de grands couturiers ou des vêtements de cour somptueux que des vêtements ordinaires. Exposer une robe de tous les jours, qui a été produite à des milliers d’exemplaires par une marque de prêt-à-porter anglaise s’inscrit dans la volonté assez nouvelle et encore assez peu répandue d’apporter la mode grand public dans les musées. Tout au long du XXe siècle, les conservateurs n’ont eu de cesse d’acheter des pièces de grands créateurs ou des pièces ayant appartenu aux élites. La mode du quotidien n’a reçu que peu d’attention, et cela se ressent dans les collections. Le changement commence à s’imposer toutefois, car les conservateurs des trente dernières années ont montré un regain d’intérêt pour la mode ordinaire, en collectant des pièces emblématiques des modes des masses, comme les pantalons patte d’éléphant, les baggies,

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La robe de Cécile Duflot, prête à être acheminée vers le musée des Arts Décoratifs ©Twitter @CecileDuflot

les mini-jupes,… D’ailleurs l’exposition « Tenue correcte exigée » nous en présente certaines pièces, exposées côte à côte avec des pièces de grands créateurs.

Le fait de présenter la robe de Cécile Duflot dans la même vitrine que le costume de Jack Lang, griffé Thierry Mugler, n’est pas anodin : bien sûr, les deux pièces répondent à la même thématique, celle du scandale en politique, mais au delà, on peut s’interroger sur cette juxtaposition d’une pièce d’un grand créateur comme Mugler, et une pièce ordinaire de prêt-à-porter achetée sur internet. Ce détail peut paraître anodin, mais il témoigne de la nouvelle considération apportée aux vêtements ordinaires : ici, le vêtement n’est pas tant présenté pour lui même, pour sa matérialité, son éventuelle beauté, mais bien pour ce qu’il représente, pour le message qu’il transmet, et pour les questionnements qu’il soulève. C’est cela qui est novateur dans le monde des musées de la mode, où l’on avait jusque là plus l’habitude de considérer le vêtement comme un objet « beau » dont la simple présence se suffisait à elle-même.

Ainsi avons-nous pu voir que la présence de la robe prêtée par Cécile Duflot suscite bien des questionnements chez le spectateur. On peut d’abord s’attacher à une première lecture, liée à la thématique de l’exposition sur le scandale, se poser la question des codes vestimentaires. Mais on peut également voir dans l’histoire entourant cette pièce un témoignage du sexisme, permettant de s’interroger quant à l’habillement féminin et la notion de culpabilisation vestimentaire. Enfin, on peut aborder grâce à cette robe le renouvellement dans la muséologie et la constitution des collections de l’histoire de la mode, et se rendre compte du nouveau cap que semble prendre l’institution muséale des Arts Décoratifs quant aux vêtements de tous les jours.

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