
Le mardi 7 février, l’Aumônerie de l’Ecole du Louvre accueillait Pascale Martinez, doctorante en Histoire de l’Art.
Madame Pascale Martinez nous présente la manière dont les images ont acquis à la fois une dimension catéchétique, mais aussi de véhicule de séduction, selon un parcours chronologique à partir de la Restauration, jusqu’en 1905. En effet, en dépit du fait que la Révolution française ait provoqué une rupture très violente, nourrissant un anticléricalisme qui traversa tout le XIXe siècle, l’image chrétienne a acquis un véritable sens.
Effectivement, des images très anticléricales se sont diffusées dans l’esprit collectif par le biais des journaux, tel La Calotte. De nombreux journaux « libres penseurs » sont alors très hostiles à l’Eglise. Les relations de cette dernière avec l’Etat, depuis la proclamation de la République, sont très complexes et difficiles, au point que des congrégations ont été fermées, des religieux expulsés, comme ceux de la Grande Chartreuse. Dès la Restauration, on constate une dualité au sein de la société : d’une part, le reliquat voltairianiste apprécié au sein de la bourgeoisie, l’émergence du positivisme en 1948, et les écrits de Hegel, qui constituent une forte relance de l’anticléricalisme. D’autre part, et parallèlement, on constate un regain de la foi chrétienne, catholique en particulier, et ce tout au long du XIXe siècle.
Alors qu’on se trouve ainsi au sein d’une période de combat très importante, il y a un renouveau de l’image catholique. Ce retour à la tradition d’un art chrétien est notamment lié à la publication du Génie du Christianisme par Chateaubriand. La richesse du christianisme est mise en avant, de manière à ce qu’elle soit profondément redécouverte, au sein d’une France devenue réceptacle d’une grande misère spirituelle. Ce regain d’intérêt pour le christianisme se traduit à travers les commandes religieuses, exposées lors du Salon. Rapidement, le gouvernement sous la Restauration, et ce pour la première fois depuis le Concile de Trente, entraîne une vraie réflexion sur la place de l’image dans la société. En ressort alors la nécessité d’avoir à nouveau des images.

Dans un contexte de refus des images chrétiennes, comme nous le montre les sculptures mutilées du porche de Notre-Dame de Dijon, un homme s’est alarmé ; il s’agit d’Alexandre Lenoir, qui décide de récupérer les images non atteintes par la folie de certains, et de les placer dans le Couvent des Petits-Augustins. Le couvent devient le Musée des Monuments Français, de 1795 à 1815. Ce musée est composé de salles abritant des objets placés par genre, et surtout par siècle. Si sa durée de vie est assez courte, ce petit musée demeure néanmoins très important, ayant un grand impact sur la génération de la Restauration et celle de la Monarchie de Juillet. Des hommes comme Jules Michelet ou Augustin Thierry participent de cette émergence d’historiens née de l’impact de ce Musée des Monuments Français. Une certaine conception du romantisme se greffe à ce musée, et qui s’accompagne en effet d’un réveil religieux.

Le XIXe siècle est caractérisé par un nouvel intérêt pour l’Histoire, le Moyen-Age surtout, ainsi très lié au catholicisme triomphant. De sujets nouveaux sont alors traités, et ce au sein de tous les arts. Paul Delaroche est un artiste romantique, qui a toujours choisi des sujets à la marge ; cette rencontre entre Jeanne d’Arc et l’évêque est une invention complète de l’artiste. Il permet le spectaculaire, le traitement très dramatique. Jeanne d’arc est une figure très présente dans la peinture du XIXe siècle, de même que dans les pièces de théâtre. Ce siècle est en effet le siècle de redécouverte de la jeune guerrière du XVe siècle, au sein de ce contexte friand d’Histoire, de spiritualité et de romantisme. Le XIXe siècle est aussi celui de la publication par l’historien Jules Quicherat des deux procès de Jeanne, qui, rappelons-le, n’est pas encore sainte (elle le sera en 1920).
Une intense réflexion sur l’art catholique
Toute une génération d’artistes développe dans un même temps une intense réflexion sur la peinture, et sur l’identité de l’art chrétien plus précisément. Qu’est-ce qu’un artiste chrétien ? Est-ce un artiste qui simplement peint des sujets religieux, à l’instar d’Ingres ? Ingres n’est pourtant pas considéré comme un artiste chrétien. Non, être un artiste chrétien serait avant tout être capable de faire passer le message chrétien dans l’art. C’est l’idée qui ressort des nombreux ouvrages publiés sur cette question. Certains d’entre eux prônent que la dégénérescence artistique a commencé à partir de Raphael et ses « Vierges païennes ». Il est aussi prôné que le beau est une expression de Dieu, et que par conséquent l’art ne peut conduire qu’à Dieu s’il a une grande dimension esthétique. Le modèle par excellence est alors Fra Angelico, le moine peintre de l’aube de la Renaissance. On dit qu’il peignait à genoux, tant sa dévotion était grande. Il est inconcevable pour un artiste chrétien de peindre de la peinture catholique si on n’est pas absolument convaincu de Dieu, à l’instar de Fra Angelico. La peinture dite chrétienne doit avoir comme fonction première de transmettre la foi, elle doit servir à la prière, et détenir une fonction catéchétique.

Deux artistes notamment traitent de sujets nouveaux, ayant comme modèle par excellence Fra Angelico. Il s’agit d’Amaury Duval et Maurice Denis. En premier lieu, Amaury Duval réalise une peinture volontairement archaïsante. C’est le retour du fond d’or, ainsi que d’un sujet d’apparence archaïque : le couronnement de la Vierge, très apprécié durant l’époque gothique puis disparaissant progressivement. Duval montre, par son œuvre, sa connaissance de la peinture de la toute première Renaissance. Maurice Denis, quant à lui, est un grand théoricien de l’art, profondément catholique, qui a notamment étudié la question du néo-traditionalisme. Dans son œuvre L’Annonciation, il prône le retour à l’image première. Il voit en l’épisode de l’Annonciation la rencontre pure entre la chair et l’esprit. Dans son œuvre, la Vierge n’est ainsi jamais traitée dans le même espace que l’ange annonciateur. De plus, il plante cet épisode essentiel au sein du paysage très quotidien du prieuré de Saint-Germain-en-Laye. L’intériorité est marquée par la Vierge qui ne regarde pas l’ange, mais se recueille intensément. Il y a aussi une réelle inversion par rapport à L’Annonciation de Fra Angelico, par la lumière de la fenêtre

chez Denis qui remplace l’ombre du tableau de Fra Angelico. On retrouve le lys sur le rebord de la fenêtre, dont la transparence du verre est associée à l’essence même de l’Annonciation ; en effet, la lumière peut traverser le verre sans le briser, comme l’Esprit va habiter la Vierge, sans la déflorer. On a donc une vraie réflexion sur la modernité de la peinture et l’ancienneté des images, de même que leur effet sur la foi du spectateur. Ces deux artistes, entre autres, nous ont dévoilé une manière d’allier la peinture moderne et des sujets anciens, tout en gardant la foi au centre de l’art. C’est ainsi qu’on passe d’un art catholique à un art sacré.
Rupture au sein du monde artistique
Malgré ces vives interrogations sur la fonction de la peinture, on constate un divorce important entre le grand art et l’art d’Eglise. Cette rupture se met en place à partir des années 1870. Tout au long du XIXe siècle, et notamment sous la Monarchie de Juillet, se développe en crescendo un climat antireligieux à grande échelle, qui a pour conséquence la disparition totale des commandes d’Etat. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on a cependant un nouveau renouveau spirituel, un phénomène de conversion massif, notamment conversions de baptisés jusqu’alors non pratiquants, ou encore de juifs, tel Arthur Meyer, le grand directeur de presse. On est donc réellement face à un clivage important dans la société du XIXe siècle, qui se ressent à travers les arts.

Dans Jésus au tombeau de Jean-Jacques Henner, le Christ nous apparait très humain. L’artiste a volontairement peint une forte humanisation de la figure de Jésus, accompagnant ainsi les velléités de la République d’alors. Un important regain de mysticisme est traduit dans cette œuvre, à travers la représentation d’un homme, certes admirable, mais bien mort, sans résurrection possible. C’est à mettre en lien avec un ouvrage à succès, publié en 1863, La vie de Jésus d’Ernest Renan. L’art catholique a eu en effet tendance à faire face à ces images d’une Passion sans rédemption.
Deux tendances marquées depuis 1905

La tradition de l’icône a été grandement adoptée dans les églises. En effet, beaucoup d’artistes se sont nourris des images d’icônes, souvenirs d’images de dévotion privée. Desvallières fait partie de ces artistes convertis autour de 1905. Pour ses œuvres, il a affaire à des images qui sont des images de méditation très profonde sur la souffrance du Christ. Le retour à l’icône, de même que le retour à l’aniconisme, illustrent deux tendances qu’a pris l’art catholique, en contrepoint des images « pessimistes » de la Passion. Cet aniconisme se traduit notamment à travers les œuvres abstraites dans les vitraux, comme ceux de Pierre Soulages à Conques ou ceux que l’on peut admirer à Reims.

Les grands décors sont aussi des témoins de cet art catholique qui revit. Dans l’église Saint-Sulpice, Emile Signol, un nazaréen français, donne une importante dimension catéchétique à ses œuvres, à travers le lien typologique entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Sa Crucifixion réalise la synthèse des trois évangiles synoptiques. Le décor du Jésus glorifié de la Basilique du Sacré-Cœur de Paris se répand dans les images pieuses. En effet, l’image du Sacré Cœur de Jésus pénètre dans toutes les maisons chrétiennes, à travers ces images dévotionnelles. Se développe toute une iconographie des saints, comme Jeanne d’Arc ou sainte Thérèse de Lisieux, parmi tant d’autres. Emergent alors des imageries spécialisées dans les images peintes, le bronze, le plâtre, etc. Parallèlement, la diffusion de l’image chrétienne se fait par le biais des livres, notamment des livres d’écoles.
Vers une certaine réconciliation de la société

Nous l’avons vu, le sujet religieux est un objet de peinture très important pour illustrer le conflit entre l’Eglise et l’Etat. Néanmoins, nous avons des figures qui réconcilient l’ensemble de la société, comme Jeanne d’Arc. Elle a été peinte par Jean-Auguste-Dominique Ingres ou Jean-Jacques Scherrer. Elle demeure une figure où tout le monde se reconnait. Pour les catholiques, elle est l’envoyée privilégiée de Dieu. Pour la gauche anticléricale, elle est la jeune paysanne trahie par le roi et par l’Eglise. Jeanne d’Arc, qui rappelons-le n’est pas encore sainte, devient essentielle dans le contexte de la guerre de 1870 contre la Prusse. A partir de là, on constate l’omniprésence de la guerrière dans toute la France et dans les arts.
En 1964, le pape Paul VI a provoqué un regain de l’image catholique. Les papes postérieurs ont ainsi suivit l’exemple, et n’ont cessé de questionner le rôle de l’image. Jean-Paul II a écrit en 1999 une lettre aux artistes relative à cette question ; il y avance que la création est naturelle, l’homme étant par ce fait appelé à être un artiste, suivant le chemin même de Dieu, le créateur primordial. Le saint pape souligne également le fait que la création doit être belle, car « la Beauté peut sauver le monde ».
1 commentaire