Valentin de Boulogne (1591-1632), Réinventer Caravage : présentation de l’exposition par les commissaires

Lundi midi avait lieu à l’auditorium du Louvre la présentation de l’exposition Valentin de Boulogne – Réinventer Caravage,  par ses commissaires, Sébastien Allard, conservateur du département des peintures au Louvre, et Annick Lemoine, spécialiste des caravagesques, commissaire de l’exposition des Bas-Fonds du Baroque, et qui prépare une exposition sur Nicolas Régnier.3792

L’exposition est présentée comme une « exposition militante », visant à faire redécouvrir un artiste simplement catégorisé comme caravagesque. Les caravagesques ont bénéficié de nombreuses études, mais Valentin de Boulogne n’avait pas eu sa monographie car ses œuvres sont extrêmement fragiles, et ce n’est qu’exceptionnellement que le Louvre a prêté ces œuvres au Metropolitan Museum of Art de New-York pour la première partie de l’exposition. Par ailleurs, c’est le Louvre qui possède la plus grande collection de peintures de Valentin de Boulogne. On connaît une soixantaine de tableaux, trente-sept sont présentés à l’exposition. L’exposition s’inscrit dans le programme plus vaste du département des peintures, en une saison hollandaise qui voit l’exposition Vermeer, la présentation de la collection Kaplan et la réouverture du département. Les expositions sont particulièrement liées, avec Vermeer et Valentin se pose la question du réalisme et de la scène de genre. Nicolas Milovanovic, autre conservateur au département des peintures du Louvre et professeur d’Histoire Générale des Arts du XVIIe à l’École du Louvre, est quant à lui commissaire d’une exposition sur les frères Le Nain qui ouvre à Lens le 22 mars.

Valentin de Boulogne demeure un artiste mystérieux. Né à Coulommiers, il a dû se former auprès de son père maître verrier. Il se rend à Rome, où tout artiste ambitieux peut parfaire sa formation. Les recherches récentes permettent d’affirmer qu’il peut être à Rome dès 1609, trois ans après le départ du Caravage. Il est considéré comme un des principaux interprètes de son œuvre. Valentin ne fréquente pas les artistes français, il est plutôt attiré par les nordiques. En 1624 il fait partie d’une association d’artistes nordiques qui se placent sous le patronat de Bacchus. Ils veulent faire vivre les rites bachiques à Rome, on lui donne lors de son initiation le surnom de « Valentin l’amoureux ». En 1627 il sort soudainement de l’anonymat, il est employé par la famille papale, celle d’Urbain VIII Barberini, pour un retable à Saint-Pierre de Rome. Il meurt brutalement en 1632 à la suite d’une nuit de débauche (certainement suite à une fièvre attrapée après avoir fini dans une fontaine).

David et Goliath est une de ses premières œuvres connues. Elle résume l’apport de Valentin de Boulogne au caravagisme. Le sujet est traité à plusieurs reprises par Caravage mais il lui donne une connotation particulière : ce n’est pas le David qui brandit triomphalement la tête de Goliath, mais un jeune homme presque androgyne, au front plissé, qui interpelle le spectateur sur ce qui va se passer maintenant que Goliath est mort. Il introduit une forme de mélancolie, une réflexion sur l’action qui vient de se produire. Le coloris est composé de roses et de verts inspirés de la peinture vénitienne présente dans les collections de l’époque, en plus du clair-obscur caravagesque.

valentin_de_boulogne_-_david_with_the_head_of_goliath_and_two_soldiers_-_wga24236
David et Goliath, Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza, vers 1616-1618.

Les scènes de la vie quotidienne sont tirées des bas-fonds de Rome, mis à la mode par Caravage, mais elles correspondent bien à un engouement des élites pour ce thème (Diseuse de bonne aventure, Les tricheurs). Dans Les joueurs de cartes (Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister, vers 1615) on a le sentiment que le joueur est la proie du destin.

La diseuse de bonne aventure, comme la plupart des œuvres de Valentin de Boulogne, est de grand format. Ici il ajoute de nombreux personnages. Il représente un monde à l’envers, la diseuse de bonne aventure est elle-même la proie d’un voleur qui se camoufle derrière un manteau noir et nous prend à parti. Nous devenons le complice du vol qui est en train de se dérouler. Mais le voleur est lui même la proie d’une jeune bohémienne. On peut également constater les qualités picturales de l’œuvre, les portraits qu’on retrouve dans d’autres œuvres, et les effets illusionnistes comme le verre de vin qui fonctionne comme une loupe.

valentin_de_boulogne_fortune_teller_02
La diseuse de bonne aventure, Toledo, Museum of Art, vers 1617-1618.

Le reniement de saint Pierre est traité à la manière d’une scène de genre. Les deux tiers du tableau sont consacrés aux soldats qui jouent aux dés. Les dés sont encore en suspension, posant la question de l’arrêt sur image, de l’instant, du moment où l’événement va avoir lieu, de la fortune qui menace et qui frappe le destin des hommes.

fe165931795f099fc6069115e17ed294
Le reniement de saint Pierre, Florence, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi, 1616-1618.

L’exposition présente un Saint Jean-Baptiste des années 1613-1614 et provenant d’une collection particulière. Le saint est représenté à la mode du XVIIe siècle (avec les mêmes petites moustaches que Louis XIII). Il pourrait s’agir du seul autoportrait de Valentin (ou du moins, un des rares qui pourraient lui être attribués). Il s’inscrit dans la filiation de Caravage qui ponctue ses œuvres d’autoportraits.

Les deux grandes toiles du christ chassant les marchands du Temple [Rome, Palazzo Barberini, vers 1620-1622/Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage, vers 1627-1629] permettent de montrer l’évolution de l’art de Valentin entre le début et la fin de sa carrière. Le drame est toujours représenté, dans la première version les personnages sont tous violemment impliqués, et, à la fin de sa carrière, le drame et l’agitation sont condensés dans le face à face entre le christ et un des marchands. Il reprend les mêmes éléments mais les métamorphose d’une version à l’autre.

Le christ et la femme adultère représente l’instant où le christ s’adresse à la foule en disant « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». On observe un traitement psychologique de la scène, qui sort de l’action proprement dite. Dans ce face à face, le christ s’adresse aux personnages par son geste, et à la femme par son regard.

1280px-valentin_de_boulogne_french_-_christ_and_the_adulteress_-_google_art_project
Le christ et la femme adultère, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, vers 1618-1622.
m503604_80ee605_p
Saint Matthieu, Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et Trianon, vers 1624-1626.

Saint Matthieu et Saint Marc sont deux tableaux qui se retrouvent à Paris, sont achetés par l’administration royale et installés dans la chambre du roi à Versailles, qu’ils n’ont jamais quittée depuis. Dans la même pièce, qui est de haute importance au château, ils se retrouvent aux côtés d’un tableau que l’on pensait être de Raphaël. Valentin est contemporain de Poussin, mais c’est un grand représentant de la couleur alors que Poussin est le représentant du dessin. C’est un tournant dans sa carrière, sentiment plus classique, rythme solennel et lent. Le saint Matthieu est peint d’après un modèle privilégié de Valentin, que l’on retrouve assez régulièrement dans son œuvre. Le contraste psychologique entre les deux acteurs est bien visible, le jeune ange peint sur le vif, en alerte, impatient, attend la décision de saint Matthieu pour l’écriture de son Évangile. Il s’agit d’un vrai enfant, et pas un adolescent ambigu comme chez Caravage. Les ailes sont extrêmement naturalistes. Valentin est particulièrement apprécié au XVIIe siècle, peut-être parce qu’il va absorber les influences présentes à Rome et tenter de trouver un équilibre entre peinture caravagesque et peinture classique. Il est notamment collectionné par Mazarin et Jabach, ce qui explique sa présence au Louvre.

Dans L’innocence de Suzanne reconnue, conservée au Louvre, il ne choisit pas le moment traditionnel de Suzanne au bain, mais une iconographie plus rare. Les vieillards sont représentés en train de se contredire, dans une mise en scène théâtrale. On observe la présence d’un trône antique, et la gestuelle est tirée du manuel d’iconologie de Cesare Ripa. La rhétorique classique de l’époque et mélangée à des citations du quotidien par la présence des enfants, dont l’un tire le vêtement de sa mère, scène à laquelle tout le monde a pu assister. Il implique le spectateur dans l’œuvre par des éléments du quotidien.

1034019
L’innocence de Suzanne reconnue, Paris, Musée du Louvre, vers 1622-1623.

Dans Le jugement de Salomon, conservé au Louvre et peint vers 1625-1627, il représente un enfant mort très réaliste qui est au cœur de la scène. Souvent la mauvaise mère est représentée par des traits grimaçants, or ici aucune ne se démarque brutalement de l’autre. Le drame biblique est réinterprété comme un drame humain.

La Diseuse de bonne aventure (Louvre, 1623-1624) montre à quel point la mélancolie qui imprègne ses tableaux est de plus en plus présente. Il participe à une interprétation nouvelle des différents thèmes. La scène a changé de ton, le caractère burlesque a disparu. Ne subsiste que le face à face entre la femme et son client, le vol est plongé dans l’ombre. On voit un groupe de deux musiciens, or la musique représentait la perte de la raison, qui peut mener à une mélancolie dangereuse. Au centre, un personnage est dans la pose classique du mélancolique.

Le joueur de luth, New-York, The Metropolitan Museum of Art, 1625-1626 : Il représente les instruments de manière très précise, en correspondant aux pratiques de l’époque. Valentin joue de décalages insolites, le luth est un instrument sophistiqué, mais ici il est joué par un soldat.

Avec Le concert au bas-relief, Valentin de Boulogne est parvenu à une sorte d’équilibre parfait. Le tableau est acheté par Mazarin, sans doute à Rome même. Les musiciens sont autour d’un bas-relief, ils viennent de partager un patté en croûte, et devraient jouer joyeusement de leur instrument. Or personne ne se regarde. Le clair-obscur empêche de situer la scène, mais elle doit se dérouler à l’extérieur car on distingue du lierre sur la pierre. Valentin, contre toute attente, insère des citations précises, érudites, archéologiques (fragment de plaque Campana qui se trouvait dans la collection Farnèse). Il n’en laisse figurer que la figure de Pélée, comme s’il voulait jouer avec l’érudition du spectateur. Le geste matrimonial pose la question de l’harmonie et donc de l’harmonie musicale. Seuls deux personnages ne jouent pas de musique. L’un est un enfant en train de boire goulûment, allégorie de l’excès, et au premier plan on pourrait avoir la tempérance car le soldat transvide du vin dans une carafe d’eau. L’enfant, image de l’innocence, est pris entre l’excès et la tempérance : à quel destin est-il voué ? La mélancolie de la scène est une invitation à méditer. Valentin figure dans toutes les collections princières, sa peinture est destinée à une élite.

valentin-de-boulogne-concert-louvre
Le concert au bas-relief, Paris, Musée du Louvre, 1623-1625.

Le couronnement d’épines (Munich, Alte Pinakothek, vers 1627-1628) constitue un des sommets de sa carrière. Le cadrage serré montre l’évolution de sa peinture vers plus de pathétique, les larmes du christ sont visibles. Le coloris est vénitien, gris métallique. Le tableau est loué pour la qualité du rendu des chairs et des ombres portées.

valentin_de_boulogne_001
Martyre des saints Procès et Martinien, Vatican, Pinacoteca, 1629-1630.

Valentin est un des peintres préférés du cardinal Francesco Barberini, aussi protecteur de Poussin. Son Samson (Cleveland Museum of Art, 1631) est représenté dans la posture du mélancolique. Il médite le meurtre de mille philistins, à l’image de son David après la mort de Goliath. C’est un héros qui pourrait être tiré d’une scène de la vie quotidienne. Sous le museau du lion on distingue des abeilles, emblème de la famille Barberini. Fibule prend également la forme d’une abeille.

Le Martyre des saints Procès et Martinien est un retable monumental pour Saint-Pierre de Rome, commande la plus importante pour un peintre. Le tableau est exceptionnellement prêté par le Vatican pour l’exposition. Il cite Caravage, pieds sales au premier plan, ange qui descend de son nuage comme pour le saint Matthieu de Caravage. Coloris vénitien. En 1630, à sa mise en place, il est comparé à Poussin et son martyre de saint Erasme, qui avait obtenu cette commande pour Saint-Pierre un an auparavant. Les deux artistes sont ainsi inscrits au panthéon des grands peintres.

L’Allégorie de l’Italie est commandée pour le palazzo Barberini. C’est un tableau politique, traité avec le principe de la peinture d’après nature, ce qui crée ce sentiment déroutant à la vue de l’oeuvre. Il fait appel au manuel d’iconologie de Ripa. À gauche le Tibre et à droite l’Arno avec le lion, car l’Italie tire sa gloire de la rencontre de Florence et de Rome, grâce au pape Maffeo Barberini. Parallèlement aux travaux de Bernin et Pierre de Cortone, il utilise la figure de dieux fleuves, mais en montrant un personnages extrêmement naturaliste. Polarité entre réalisme et idéal. L’allégorie, qui est la chose la plus abstraite et idéale possible, est traitée avec un personnage à l’extrême pilosité. C’est la première allégorie réelle avant le XIXe siècle (Liberté guidant le peuple de Delacroix, qui, comme le dieu fleuve, ne cache pas sa pilosité). Cette dernière comparaison sert de transition à Sébastien Allard : l’année prochaine le Louvre organise une exposition sur Eugène Delacroix.

391043-385x500
Allégorie de l’Italie, Rome, Institut Finlandais, Villa Lante, vers 1628-1629.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s