
La Petite Galerie du Musée du Louvre accueille cette année l’exposition Corps en Mouvement. Au premier abord, cette exposition peut sembler confuse. Mais voici quelques points pour mieux comprendre cet enchainement d’oeuvres.
La matérialité des oeuvres
La première salle a pour thématique la matérialité. L’oeuvre, avant de faire passer n’importe quel message, est une matière et il faut commencer par comprendre cela. Sont mises en avant la peinture et la sculpture, les deux formes d’art les plus élémentaires. Vous trouverez même une petite vidéo pour vous expliquer la fonte à la cire perdue pour la confection des bronzes. C’est un espace pour apprendre et déchiffrer et il ne faut pas oublier que ces éléments appris servent aussi à comprendre de nombreuses oeuvres dans le musée. Du côté de la peinture, pas de choses des plus techniques mais des explications pour comprendre comment lire un tableau.
La sculpture permet de rendre le mouvement de manière assez fidèle mais elle a des limites. Celles-ci sont exposées pour faire comprendre au visiteur la complexité du rendu du mouvement et que chaque matière a des failles. On met l’accent sur les modelages et dessins, phases préparatoires où le mouvement est prépondérant et très observé. Cette complexité multiple, on peut la remarquer sur le Mercure Volant de Giambologna de 1574. En cette pleine Renaissance, on souhaite que les oeuvres soient redécouvertes à chaque observation par leurs nombreux points de vue. Ici, le mouvement est à la fois complexe et multiple. La sculpture devient une scène condensée figée à l’instant T.
La peinture, quant à elle, est différente par la technique bien sûr mais aussi par la limite de la vision. En effet, la sculpture permet de faire de la 3D et donc montrer un mouvement tout en gardant un certain soucis de réalisme mais la peinture est limitée par son support et donc le mouvement ne peut être représenté qu’en 2D. Pour capter le mouvement, le peintre joue avec la composition et les couleurs employées. Tout le travail est dans ces deux choses et il faut user plusieurs manières pour que l’oeil donne les informations nécessaires au cerveau pour imaginer le mouvement.
Apprendre à regarder
La seconde salle va donner au visiteur une vue globale sur l’art. Il y a des oeuvres anciennes et d’autres plus modernes. Le but est de créer une mini histoire du mouvement pour le comprendre sous ses différentes formes et visions.
La thématique est alors « marcher, courir, sauter ». On commence par marcher avec l’Antiquité puis on court dans la culture européenne des XVIIe et XVIIIe siècles et on saute avec la culture académique qui s’étale du XVIIe siècle au début du XIXe siècle. Cet éventail permet de confronter les manières de faire de plusieurs civilisations et époques.
Le schéma est évolutif. On commence avec l’Egypte ancienne dont le but de leurs représentations est de suggérer la vie et le mouvement, alors que tout est à l’arrêt. De plus, pour les égyptiens, il faut que cela soit exprimé sur la matière pour que la magie opère et que cela soit reproduit dans les autres mondes. Les Grecs représentent deux actions de deux instants différents en un même temps pour symboliser le mouvement. Quant aux femmes, elles ont des vêtements longs qu’elles doivent tenir pour marcher ; de ce fait, cette posture immobile devient symbole de marche.
On voit quels sont les codes pour représenter le mouvement alors que l’oeuvre d’art est quelque chose de figée. Un des grands exemples est la course agenouillée, c’est-à-dire que le personnage est comme en vol, les bras dans une certaine position et les jambes repliées. C’est une convention que l’on retrouve également dans l’iconographie indienne mais qui n’est pas représenté ici. Pour exprimer le mouvement, il n’y a pas donc pas que les jambes qui sont manipulées, c’est le corps tout entier dans sa posture globale.
Les Métamorphoses d’Ovide sont évoquées deux fois pour permettre la comparaison d’une même histoire entre deux factures différentes. Un peu plus loin se trouve un Christ en croix et on se demande ce qu’il fait ici. La réponse est que ce Christ inspire son dernier souffle. Par cette action il se hisse légèrement et la tension du corps est retranscrite. C’est une scène qui habituellement est perçue comme immobile car il est représenté déjà mort. La nouveauté est qu’il ne l’est pas ici et par conséquent son dernier mouvement doit être représenté pour la postérité.
Un mélange de matière et de vision
Le couloir qui lie les deux premières salles à la troisième est coupé par des piliers, comme une image séquençant un mouvement par le principe de la chronophotographie. La danse est mise à l’honneur dans cette partie. On montre comment le cinéma naissant du XIXe siècle s’intéresse aux mouvements des danseurs. Ici, le film montre les recherches faites sur la lumière. Pas de sauts de chat ou de pas chassés, la danseuse reste pieds au sol et ne bouge que les bras. On retrouve en quelques secondes une synthèse des deux autres salles : la matérialité par la nouveauté technologique qu’est le cinéma (mais aussi la photographie et ses dérivés) et l’étude du mouvement par la manière de le retranscrire dans une recherche de réalisme et de performance.
Le corps dansant
On retrouve ici aussi un hymne à la danse. Les barres permettant aux mal voyants de suivre le parcours sont toujours là et des miroirs recréent l’atmosphère d’une salle de danse. Ces miroirs invitent le spectateur à s’observer en train de bouger, à mirer ses propres mouvements. Une action de partage est alors proposée par le Louvre : prendre un selfie dans ces miroirs et le partager sur les réseaux sociaux avec le hashtag #CorpsEnMouvement . Une manière de réinterpréter l’exposition et lui donner un côté ludique en fin de parcours.
Les oeuvres présentées sont aussi bien anciennes que modernes, pouvant créer un fossé de plusieurs siècles. Le but est de montrer que les artistes modernes sont venus au Louvre pour voir de l’art ancien et s’en inspirer afin de créer. Si vous vous promenez dans une exposition retraçant l’histoire d’un artiste et ses inspirations, il y a de fortes chances que vous tombiez sur des antiquités. Tel était le cas de l’exposition « Bakst : des Ballets russes à la haute couture » à l’Opéra de Paris qui s’est terminée hier et où, parmi les dessins de l’artiste, se trouvait un vase grec. Leurs notions de mouvement sont donc aussi à mettre en lien avec celui représenté sur les arts anciens. On a cherché ici à mettre en évidence les origines des créations les plus marquantes de l’histoire de l’art et de la danse comme les ballets russes de Ninjisky et sa Nuit d’un faune.
La chronophotographie, nouvelle matière dans l’art, montre un état scientifique et donc dit que les représentations du mouvement dans l’art sont fausses. Pour réfléchir à cette thématique, l’exemple du cheval est choisi. Cheval au galop, saut d’obstacle, saut d’obstacle cheval blanc de Eadweard Muybridge de 1887 se place à côte de Course de chevaux de Géricault de 1821. A cause de cette peinture, Géricault a subit des procès car pour ceux recherchant la qualité scientifique dans l’art, la réalité est ici totalement fausse. Il s’est défendu en disant qu’il ne souhaitait pas être dans cette réalité mais qu’il voulait être dans la suggestion totale du mouvement et donc donner l’impression que les corps s’étirent au maximum tout en volant. La chronophotographie va ici montrer la décomposition du cheval et permettre de percer les secrets du mouvement, permettant ainsi la composition avec les figures très étirées de Géricault.
Les futuristes ont donné leurs propres codes pour la représentation du mouvement. Ils laissent tomber le côté naturaliste pour montrer sa décomposition. De cette manière, tout semble être vu d’un autre oeil, c’est une réinterprétation encore nouvelle dans le monde de l’art qui est ici illustrée par Mikhaël F.Larionov.
Il y a une fascination de la danse dans la sculpture au XIXe siècle. Les artistes recherchent le mouvement et font des études en copiant ou faisant des moulages sur des réelles personnes. Cela peut choquer le spectateur de ce temps car la danse était la partie visible de la prostitution. Ici, Degas, Rodin et Carpeaux se font les portes-paroles de cette sculpture. Les deux premiers ont mené de grandes réflexions et études du mouvement sur les danseuses et acrobates et beaucoup de leurs oeuvres sont désormais emblématiques du siècle. Ils réalisent de nombreux dessins et passent de nombreuses heures à l’Opéra. Ils réalisent aussi des moulages de cire et des statuettes de terre cuite, peut-être des essais pour des bronzes. Avec la sculpture, il n’y a plus besoin de décomposer le mouvement, le corps étant le mouvement même.
Et après ?
La nouveauté de cette année est que l’exposition ne s’arrête pas aux salles qui lui sont dédiées. Elle se déroule aussi dans les autres salles du musée, permettant ainsi de les réinterpréter en mettant en pratique les savoirs acquis précédemment. Ce parcours qui a été changé au mois de janvier suit les salles de sculpture française et de peinture italienne. L’exposition n’est alors qu’une initiation de notre oeil aux mouvements que les artistes ont transcrit dans leurs oeuvres et devient un outil pour une meilleure compréhension de l’art.