
Quelques étapes avant l’abbaye de Conques sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle se trouve une petite chapelle romane dont l’existence est attestée au début du XIe siècle. Classée monument historique en 1864, la chapelle de Perse est sur un tronçon du chemin classé au patrimoine mondial de l’UNESCO (entre Saint-Chély d’Aubrac et Estaing). Elle est placée sur le lieu du martyre de Saint Hilarian, saint local, décapité au VIIIe siècle par les Sarrasins. Un premier lieu de culte fut construit, nous n’en avons aucune trace. La chapelle est le second édifice, en grès rose (pierre locale), toit en ardoise bleue, sur un plan en croix latine, elle dispose d’un clocher mur ou clocher peigne à quatre arcades. Dans un cartulaire de 1060, Hugues de Calmont, seigneur local résidant au Château Calmont d’Olt, cède le prieuré ainsi que le monastère qui le jouxtait à l’abbaye de Conques. À l’origine appelée chapelle Saint-Hilarian, elle fut renommée chapelle Sainte-Foy à l’arrivée de Conques pour finalement prendre le nom de chapelle Saint-Hilarian-Sainte-Foy ou plus communément chapelle de Perse (nom plus énigmatique).
À l’arrivée des moines de l’abbaye l’état de l’église était préoccupant : ils ont remis en état une partie de la nef mais n’ont pas rétabli le monastère. Le lien de parenté est évident sur le portail sculpté, un des deux seuls (avec Conques) portails sculptés du Rouergue. La profusion décorative est une caractéristique commune à l’ensemble de la chapelle.
Sur le portail, il est à noter que les colonnes et colonnettes ont été remplacées au début des années 1900. Sur les trois voussures, deux sont historiées. Au centre de la voussure extérieure, nous trouvons l’archange Gabriel le messager, à droite Raphaël patron des voyageurs et des pèlerins, à gauche un personnage plus énigmatique. Portant une couronne, une cuirasse et un marteau, son identification n’est pas formelle : certains y voient Charles Martel (fondateur de l’Église), d’autres le Seigneur de Calmont (donateur représenté pour la gloire) ou enfin l’archange Michel (chef de l’armée céleste). En ce début de XIIe siècle, la mise en image de la religion chrétienne en est à ses débuts et pour attirer des fidèles il n’est pas rare que les sculpteurs mélangent cultes païens et légendes locales. La polychromie du portail a disparu, ce qui enlève des éléments d’identification possible pour les scènes et les personnages. À Conques, il reste des parties polychromes, ce qui permet de nous faire une idée des teintes alors utilisées.
La deuxième voussure est décorative, d’influence mozarabe. La voussure inférieure, présente 11 anges debout ou assis portant chacun un livre ouvert. Nous avons ici une représentation de la cour céleste où ces anges tiennent les livres des élus.
Cette voussure est à mettre en lien avec le linteau qui est un bloc monolithe. Il présente une pesée des âmes, épisode du Jugement Dernier. Nous trouvons au centre la balance, en dessous le corps de la personne en jugement. Au niveau de ses pieds un personnage maléfique appuie afin de récupérer l’âme pour Satan. La représentation du tricheur est très commune dans les pesées des âmes : il symbolise les vices de l’Enfer mais aussi appuie la vérité du jugement puisque généralement, la balance penche tout de même en faveur du Paradis (signe d’espoir pour les populations).
Derrière le tricheur nous avons le corps d’un damné, les pieds en l’air et la tête la première dans la gueule du Léviathan, gueule d’Enfer : entrée symbolique dans le monde infernal. Tout à fait à gauche Satan affiche un grand sourire, trônant, avec le serpent du péché originel autour de lui. Il est entouré de quatre bêtes maléfiques (parodie du tétramorphe), mais également de deux portraits de femmes. Côté Paradis, les élus sont soulevés par les anges vers les Cieux. Le Christ, sur la droite, est représenté dans sa mandorle accompagné du tétramorphe.
Un point intéressant de cette pesée des âmes, c’est qu’elle est représentée à l’envers. En effet dans la confession catholique, la gauche est le mauvais côté, celui du démon, et la droite le bon côté. Ici le paradis est représenté sur la droite des personnages, donc au côté mauvais. Certains pensent que c’est parce que l’église est orientée (son chevet est à l’est, de là où vient le Christ), mais rien n’est sûr.
Pour les deux registres supérieurs, il s’agit de la Pentecôte. C’est ce moment après la Résurrection où le Saint Esprit touche une seconde fois les apôtres pour leur donner la possibilité de parler tous les dialectes, grâce aux langues de feu, afin d’aller porter la Bonne Parole dans les contrées étrangères. Les langues de feu sont représentées, comme des éclairs, émanant du nuage où sort également la colombe du Saint Esprit. De part et d’autres se trouve le Soleil symbolisé par un homme tenant une gerbe de blé, et la Lune par une femme avec des cornes. La Vierge au centre est couronnée et en majesté : main gauche sur le ventre et main droite bénissante. Elle est accompagnée de 10 apôtres dont seul celui à sa gauche est identifié puisqu’il tient les clefs du Paradis : c’est donc Saint-Pierre. Pour l’absence de deux des apôtres, trois hypothèses ont été émises : tout d’abord Judas s’était pendu avant cet épisode et Thomas était absent, cela pourrait être également pour réaffirmer les 10 commandements ou encore par manque de place (cela paraît plus léger mais était courant).
La Chapelle de Perse offre une triple représentation de la Vierge. Nous avons la première sur le tympan et la deuxième sur le coin supérieur gauche de la façade. Elle est accompagnée des Rois Mages pour la scène de l’adoration : ils apportent les cadeaux pour la naissance du Christ. Cet ensemble est de la même époque que le portail, nous pouvons nous avancer en disant que c’était une volonté de Conques de la représenter déjà deux fois. Les modillons de cette façade ont été refaits au XVIIe siècle.
Au-dessus de la petite porte nous trouvons la troisième Vierge. Elle présente le Christ sur ses genoux, elle a les yeux bombés conformément à la tradition du Rouergue. Elle est présentée dans une arcature très travaillée avec un petit chapiteau gauche à entrelacs et à droite des palmettes. La tête du Christ est postérieure puisqu’il a été décapité à la Révolution, les modillons ont été lapidés à la même période. Nous pouvions y voir un tétramorphe, un ecclésiastique et une sirène. Dans le coin en descendant vers le chevet nous pouvons voir un centaure chassant avec son carquois.
Sur les côtés du chevet, des modillons du XIIe siècle sont présents, en bon état de conservation (pas de restauration connue). Les modillons traitent généralement de sujets de la vie quotidienne. La Chapelle de Perse en a une série importante avec un cheval harnaché, un âne, un homme effrayé à l’attitude très bien réalisée, un loup mangeant un petit animal, un atlante, un chien mordillant un os, un hibou, un aigle, etc. Nous avons aussi un couple d’amoureux que certains rapprochent au fin’amor : l’amour courtois prôné par les troubadours, poètes occitans de cour pour qui l’homme doit conquérir le cœur de la femme avec passion, patience et poésie.
L’entrée principale de cette chapelle se fait par la grande porte et un escalier qui descend. Cet élément n’est dû en rien à une différence de niveau de terrain mais bien à une volonté religieuse. Au XIIe siècle, l’église était un lieu de vie où la population ne se rendait pas que pour les célébrations mais aussi pour signer des contrats, avoir des conseils, etc. Le but est de rappeler au fidèle qui vient ici pour un contrat ou une entrevue que c’est un lieu de culte : lorsqu’il descend les escaliers il regarde ses pieds et donc entre dans une attitude d’humilité, plus tard remplacée par la génuflexion. Au niveau de la nef, deux chapelles latérales ont été rajoutées en 1471 et sont venues briser le plan primitif en croix latine.
Le transept présente des peintures au plafond au niveau des croisillons. Polychromes et en bon état de conservation, elles datent du XVe-XVIe siècle. En ce qui concerne les chapiteaux, il faut se rappeler que le côté gauche est le mauvais côté et le droit le bon. Sur la colonne reliant le chevet au croisillon gauche du transept se trouve une scène de chasse au sanglier, puis côté croisillon une scène de guerre mais également un homme dans les feuillages regardant le chapiteau face à lui où est installée une femme. Nous avons ici les trois grandes activités médiévales de l’homme bon : la chasse, la guerre et la reproduction. Mais le couple ce n’est pas que la reproduction mais aussi la tentation de la chair, vice venant de la femme (pour la Bible) et donc au dos du visage féminin se trouve celui du démon. Côté droit, les images sont plus religieuses. Entre le chevet et le croisillon du transept nous avons le Christ dans sa mandorle accompagné de trois apôtres de chaque côté (possible représentation du chiffre 7, celui du parfait). À l’entrée du croisillon droit, une scène de l’eucharistie avec deux colombes buvant dans le même calice. Le dernier chapiteau historié est au niveau de l’absidiole, son interprétation est encore soumise au débat. Certains y voient, comme à Conques, l’ascension d’Alexandre le Grand et d’autres le rapprochent de l’eucharistie puisque deux oiseaux semblent boire dans une coupe.
L’autre élément intéressant de ce croisillon est la plaque funéraire qui daterait de 1060-1070 et aurait été dédiée au premier prieur de Perse venu de Conques.
Le chevet abrite un autel de 1950, créé par l’école du sculpteur Paul Belmondo. C’est donc l’intrusion de l’art contemporain dans un édifice religieux, un peu à l’image de Conques et ses vitraux de Pierre Soulages. L’église n’est plus paroissiale depuis le XVIIIe siècle et donc ne connaît que des cérémonies de façon exceptionnelle. La voûte est en cul-de-four et nous retrouvons une série de chapiteaux en calcaire blanc. Cette pierre fait ressortir les sculptures sur le mur en grès rose, autre détail décoratif : la frise qui court le long du chevet en damier alternant avec une partie en pointe de diamant.
La piscine liturgique est toujours présente : jusqu’au XIIIe siècle, les prêtres pendant leur célébration bénissaient un calice de vin qui représente le sang du Christ, en buvaient une gorgée et jetaient le reste dans cette piscine liturgique. Mais au XIIIe siècle, le pape Innocent III a interdit cette pratique obligeant les prêtres à boire tout le vin et donc à réduire la taille des calices. Perdant leur fonction, beaucoup de piscines liturgiques ont été réaménagées en niches. À Espalion elle est intacte.
La Chapelle de Perse fait partie de ces édifices aveyronnais d’exception qui souffrent des baisses de budget pour les restaurations mais aussi d’un désintérêt de l’appareil étatique pour le patrimoine religieux. Dynamisé par l’association les Amis de la chapelle de Perse, le lieu est tout de même doté d’une médiation culturelle l’été mais aurait tout intérêt à être valorisé tout au long de l’année afin d’offrir au plus grand nombre la possibilité de comprendre toutes les problématiques et l’histoire habitant ces murs.
Toutes les photographies sont la propriété de Jacques Martin
A reblogué ceci sur [mhkzo].
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