

Steven Cohen est un artiste danseur performeur qui a été médiatisé au début des années 2000 pour ses performances provocantes dans l’espace public. Blanc mais d’origine sud-africaine Cohen est aussi très attaché à son identité juive et homosexuelle, ces trois pans de sa vie sont le terreau de ses œuvres. Il s’autoproclame « monstre juif homosexuel ». Sa première décision artistique a été de performer nu puis de travailler dans la rue. Il place au centre de sa démarche la danse contemporaine qu’il pratique sur talons hauts et dans des costumes qu’il imagine et crée lui-même. Il vit actuellement entre Johannesburg et Lille, puisque censuré dans son pays. Il considère que toute action faite en Afrique du Sud est politique et que la situation sociale ne fait qu’empirer. Steven Cohen reste tout à fait conscient de ses privilèges de blanc dans ce pays et essaie de tenir son rôle d’allié en alertant les gens sur les conditions de vie et de travail des noirs en Afrique du Sud. Comme son engagement politique tout est réfléchi chez l’artiste qui n’hésite pas à consacrer un grand temps à la recherche et la documentation avant ses performances. Tout le sens ne peut être compris sur le moment, mais ses actions ont pour but d’interpeller et d’amener une réflexion. Pour mieux comprendre son travail nous allons aborder quatre de ses performances.
The Chandelier Project (2002)

Cette performance, qui m’a donné envie d’en savoir plus sur cet artiste, est actuellement visible au MAC/VAL de Vitry-Sur-Seine dans l’exposition « Tous, des sang-mêlés » (jusqu’au 3 septembre, commissariat de Julie Crenn et Frank Lamy). Dans le bidonville de Newton à Johannesburg, Steven Cohen déambule quasiment nu, habillé seulement d’un chandelier de près de 25kg. Il explore les habitations précaires de façon étrange et insolite, sans aller au contact des habitant.e.s qui oscillent entre méfiance limite agressive et admiration. Il porte l’étoile de David sur le front, élément récurrent de ses performances. Lorsqu’il habitait pleinement en Afrique du Sud il dit avoir subi le rejet à cause de son identité juive-gay, dans une bien autre mesure que les noirs évidemment, mais il cherche à rassembler les personnes en souffrance contre les cadres normés de cette société conservatrice. Judith Butler écrit à ce sujet (étude de genre et identité juive) :
« Ma souffrance n’est pas la seule souffrance. Il me faut, sur la base de ma souffrance, établir des liens avec d’autres souffrances, bâtir des cadres d’action collective et ne pas se retrouver prisonnier de son cadre identitaire. »
Le rendu très esthétique de la performance n’enlève rien à sa portée politique. L’ambiance y est pesante, on cherche à comprendre, on le regarde marcher, trébucher, souffrir sous le poids de son costume et continuer. Les minutes paraissent très longues dans ce silence où la vidéo ne cache rien de la précarité quotidienne des habitant.e.s du bidonville qui se fait détruire par des employés de la mairie. Leur avenir est incertain. Cohen leur amène à sa manière de la lumière tant littéralement que par la poésie qui se dégage de son intervention.
Maid in South Africa (2005)

« Je suis intéressé par la politique du nu, non par le commerce de la sexualité. Ce travail porte plus sur le commerce des esclaves que sur le commerce de la chair. C’est autant un film personnel qu’un portrait de l’Apartheid, qu’un strip-tease naïf, qu’une confession intime. Nomsa Dhlamini a 84 ans. […] Pendant 58 ans, elle a entretenu les maisons des blancs, nettoyé leurs maisons, nourri leurs familles et leurs chiens. J’ai été élevé par Nomsa puisque ma mère était alcoolique pendant de nombreuses années.
Maid in South Africa (une bonne en Afrique du Sud) n’est pas une taquinerie mais surtout la vérité simple, l’exposition brutale de manière douce. Nous sommes rivés du luxe de ne pas regarder. Nous regardons. Nous voyons la vie de Nomsa, sans glamour, passer son temps à nettoyer l’impossible, et sa dignité face à l’exploitation »
– Steven Cohen
Maid in South Africa dénonce le rôle donné aux personnels noirs dans les familles blanches d’Afrique du Sud, ainsi il veut les montrer, que le regard soit littéralement obligé de se poser sur elleux. Sa nourrice, Nomsa, après s’être déshabillée, nettoie la maison en tablier et bas et finit par enlever la sorte de robe. Elle porte des cache-tétons étonnants et de la fourrure au niveau du sexe. La bande-son commence sur des chants traditionnels pour finir sur de la musique électronique qui rend la scène tout à fait singulière. La mise en scène nous place véritablement dans une position de voyeur/euse à regarder cette vieille dame en lingerie en train de faire le ménage. Les prises de vue alternant entre objectivité et érotisation renforce cette place et par là même un certain malaise. Le fait qu’elle porte – avec difficulté – des talons, sur lesquels Cohen insiste bien, montre bien la souffrance endurée par cette femme dans son quotidien. La prise de position politique de Steven Cohen ne fait aucun doute, il a travaillé plusieurs fois avec Nomsa Dhlamini notamment au Festival d’Avignon pour The Cradle of Humankind.
Title Withheld. For Legal and Ethical Reasons (2012)

Cette performance de 50 minutes a été présenté au festival d’Avignon en présence d’une quarantaine de personnes à chaque fois. Steven Cohen a choisi d’évoluer sous le plateau de la Cour d’honneur du Palais des papes. Il est dénudé et porte des chaussures en métal de près de 7kg chacune. Ces dernières présentent des écrans au niveau des semelles qui diffusent des images d’un journal intime écrit de 1939 à 1942 par un jeune Juif. Le parallèle est clair avec l’artiste qui a déniché cet objet dans aux puces. Cohen a cherché l’histoire de l’auteur, a découvert qu’en 1942 il s’est engagé dans la Résistance et l’artiste a finalement restitué le journal à sa famille. De cette belle histoire Steven Cohen en sort une mise en scène riche en symbolique : ces images qui défilent, un écran plus grand montrant des images de Hitler, une bande son alternant Hitler, Pétain et Mandela avec des chants mortuaires juifs. Se déplaçant entre les rats équipés de lumière, grâce à de minces cannes de métal l’artiste s’arrête face au public pour s’allonger, écarter les cuisses et donner à voir ses vidéos. Il instaure une performance intimiste qui sonne comme une véritable entreprise de mémoire.
Coq / Cock (2013)

Sur la place des Droits de l’Homme qui surmonte les jardins du Trocadéro Steven Cohen prend place le 10 septembre pour une nouvelle performance, accompagné de Frank. Frank est le coq qui est relié au sexe de l’artiste par un ruban blanc. Cohen porte toujours ses hauts talons noirs et un corset à baleine, afin de faire le lien avec Frank il a des plumes aux bras et à la tête. Cette danse à deux est hautement politique, car il est évident que le lieu n’est pas choisi au hasard ni l’animal, emblème de la France et référence à cock (à traduire par « bite » en français). Steven Cohen n’a pas évoluer que 15 min dans cet espace avant d’être arrêté par la police. Il passe une journée en garde à vue et est relâché avec Frank le soir. Il passe en procès pour exhibition sexuelle et écope d’une amende avec sursis. Ce procès a posé toute la question des limites à la création artistique, de sa place dans l’espace et la relation ambivalente au public.


Avec Steven Cohen c’est une nouvelle manière d’appréhender le nu dans la performance, il inscrit le politique dans l’intime en évoluant dénudé dans ses thèmes résolument engagés. Ses performances sont des manifestes où les objets servent de témoignages, ils portent chacun une histoire particulière que Cohen raconte de façon singulière. Il lie ces objets, ces matériaux à sa propre histoire et surtout à son identité sud-africaine, juive et homosexuelle. Steven Cohen déjoue tous les codes la société en utilisant le travestissement comme véritable identité sur scène où c’est le costume qui prévaut sur l’artiste.

A reblogué ceci sur [mhkzo].
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