
Nous avons à plusieurs reprises évoqué la censure autour du corps de la femme, que ce soit par les normes de maigreur ou le slut-shamming. Si le nu féminin n’est pas accepté, c’est que le corps de la femme est sexualisé. Le point central de ce phénomène est évidemment le sexe féminin (dans une vision binaire du genre, nous évoquons donc ici la vulve). Sujet d’interdit, de convoitise, il est suggéré aussi bien que montré. Nous allons montrer quelques exemples de représentations de vagins afin d’expliquer comment, à partir d’un objet quasiment invisible, les artistes femmes cisgenres ont réussi à se réapproprier leur corps et leur sexe.
Francisco de Goya avec La Maja desnuda (1795-1800) entre un peu plus dans la polémique avec cette femme nue, couchée, en position d’attente, qui tient le regard droit vers le public. Les bras sont ouvert, le corps est offert mais les jambes sont resserrées et amenées vers l’avant ce qui cache le sexe, seulement suggéré par quelques détails de pilosité. Le vagin n’est ici pas dessiné alors qu’il trouverait sa place de façon logique dans cette composition hautement érotisante.
Ce tabou du vagin est visible dans une œuvre qui a pourtant fait scandale pour n’avoir que lui comme sujet : L’Origine du monde (1866) de Gustave Courbet. Ce gros plan sur l’entre-cuisses d’une femme cis montre le sexe sans réellement le montrer. Une ouverture aussi grande des cuisses implique un sexe au moins entrouvert, alors qu’ici Courbet s’applique à le garder fermé. Il s’avance dans la provocation mais sans respecter les contraintes réelles physiques du corps.
Il est en effet compliqué de représenter le corps nu de la femme cisgenre sans l’érotiser, le patriarcat en fait tellement un objet de désir que cette notion sexuelle semble impossible à éviter. Nous pouvons le voir dans Alice (1933) de Balthus : nous pouvons entrevoir son sexe sans vraiment qu’il soit le sujet principal de l’œuvre. Légèrement visible par le vêtement relevé, il apporte une touche très érotique à ce tableau. Cette femme aux yeux translucides, ce qui sous-entend une mal-voyance, se brosse les cheveux dans un intérieur. Cette scène intimiste soulève un certain malaise, nous sommes dans une position de voyeur.euse puisque nous regardons une femme quasiment nue qui ne peut nous voir. Ce sentiment trouble est accentué par la vision de son sexe qui rajoute au voyeurisme un côté sexuel. Mais certaines artistes femmes ont décidé de se réapproprier leur corps et leur vulve afin d’en proposer une autre représentation.
Un nouvel espoir : la sublimation du vagin
Georgia O’Keeffe est une artiste du début du XXe siècle au corpus floral et anatomique. En effet elle peint des gros plans de fleurs dont la forme suggère fortement un vagin. La délicatesse de sa touche et les couleurs variées apportent de l’indécision quant à l’identification du sujet représenté. Les titres n’aident pas puisque nous pouvons prendre l’exemple de Music, pink and blue (1918). Les fleurs sont un sujet souvent laissé aux femmes car jugé de peu d’intérêt, la manière très minitieuse de jouer des nuances de couleurs est aussi ce que certains historiens de l’art appellent « la touche féminine » ou « l’art féminin ». O’Keeffe se joue complètement de ces codes pour livrer une œuvre tout à fait mystérieuse où ses différents entretiens et correspondances n’indiqueront jamais la thématique.
Jacqueline Secor avec sa série The Diversity of Nature offre un corpus à mettre dans la prolongation de Georgia O’Keeffe. Elle peint des vagins avec des formes naturelles (fleurs, ailes de papillons, etc) afin d’insister sur leur pouvoir élémentaire.
« Peindre des vulves, se concentrer sur des détails du corps féminin, même sur les parties ‘supposées’ être cachées, ressemble à un petit acte de résistance – un chemin pour dire aux femmes de ne plus se cacher, que nous méritons une place, pas juste dans le monde de l’art, mais dans chaque secteur. » – Jacqueline Secor
Avec son travail, elle espère aider les femmes à apprécier leur vagin même s’il ne correspond pas au canon imposé par la pornographie.
Le Retour du vagin : une entrée en pop-culture
L’artiste japonaise Rokudenashiko fait polémique dans son pays à cause de son sujet d’étude : le vagin. Elle souhaite casser le tabou autour de sa représentation, qui est interdite. En 2014 l’artiste a fait la une des journaux pour avoir conçu un canoë à partir d’un moule de son propre vagin (et d’avoir navigué avec!). Rokudenashiko a été arrêtée par la police pour avoir enfreint la loi relative à l’obscénité. C’est le paradoxe japonais qu’elle interroge : plus gros producteur de films pornographiques, la figure du vagin effraie. Elle crée des déclinaisons d’objets autour du vagin, comme des coques de smartphones, des gâteaux, etc. Son personnage « Decoman » tient son nom de man diminutif de manok qui signifie chatte. Selon elle, le sexe féminin « est vu comme obscène car il est trop caché, alors qu’il s’agit juste d’une partie du corps de la femme ». Son but :
« Alors que les illustrations de pénis font parties de la pop culture, les chattes n’ont jamais été considérées comme mignonnes. J’ai voulu rendre la chatte décontractée et pop »
L’artiste Stéphanie Sarley illustre aussi le vagin de manière décalée. Ses dessins, tirés de la série Crotch Monster, montrent un vagin humanisé qui a sa propre existence et ses propres activités. Nous pouvons noter ici qu’elle représente la pilosité féminine également. Ses vagins boivent des cocktails, fument des cigarettes et se maquillent. Le corps n’est qu’esquissé tandis que les couleurs ne concernent que le vagin et son objet rattaché. C’est une manière ludique de prendre de la distance avec cette partie du corps féminin et de la dédramatiser.
Le vagin contre-attaque
Judy Chicago a utilisé le vagin comme symbole de la femme dans son œuvre The Dinner Party. Cette installation prend la forme d’une table triangle aux 39 couverts. La forme de l’assemblée a été choisi car le triangle a longtemps fait référence à la femme (et à son sexe). Les 39 assiettes sont autant d’évocation de femmes qui ont, selon Chicago, participé à la libération de la femme. La première aile présente les figures féminines des déesses de la Préhistoire à l’Empire Romain, la deuxième couvre la montée du christianisme et se conclue au XVIIe siècle avec Anna van Schurman, et enfin la dernière concerne l’époque de la Révolution de Anne Hutchinson aux mouvements du XXe siècle et se termine sur Georgia O’Keeffe. À chaque place se tient une assiette qui fait office d’indice de gradation : plus elle est en volume plus l’engagement de la personne concernée a été importante pour l’indépendance et l’égalité de la femme moderne.
Cette installation a été longuement critiquée, surtout de la part de féministes. Judy Chicago a visibilisé des femmes blanches, une seule noire : Sojourner Truth à qui elle n’a pas dédié de vagin pour symboliser les mutilations génitales infligées aux femmes africaines alors même que son combat anticolonial a été très fort. Une femme racisée sur 39 représentées c’est maigre, et europo-centré. Des militant.e.s trans ont aussi critiqué le fait de réduire la femme à son vagin, puisque toutes les femmes n’ont pas de vagins et qu’il n’y a pas que les femmes qui en ont. C’est une œuvre contestée mais à l’image des débats qui peuvent traverser et confronter le féminisme blanc et le féminisme intersectionnel et inclusif.
Deborah de Robertis a également fait polémique avec ses performances. La plus médiatisée est certainement celle au musée d’Orsay où elle s’est assise dos à L’Origine du Monde de Courbet pour, elle, ouvrir ses cuisses mais aussi son vagin. Une bande sonore de l’Ave Maria de Schubert tournait avec la voix de Robertis qui répétait « Je suis l’origine / Je suis toutes les femmes / Tu ne m’as pas vu / Je veux que tu me reconnaisses / Vierge comme l’eau / Créatrice du sperme ». Elle fut arrêtée. Pour elle :
« montrer son corps nu est une réflexion qui peut avoir une portée politique. Mais ce n’est pas tant le corps qui est politique, que la réflexion qu’il entraîne »
Elle réinterprète des œuvres majeures de l’histoire de l’art en performance pour réinterroger ses figures iconiques.
Que le vagin soit avec toi
Ces artistes femmes cis ont essayé de se réapproprier leur corps et leur sexe, longtemps représenté uniquement par les hommes. Elles ont la volonté de montrer aux autres le pouvoir subversif et politique inhérent à leur vagin tout en les aidant à apprécier leur corps malgré les diktats. Alors que de récentes études montrent la méconnaissance des femmes de leur propre corps et le nombre grandissant d’opérations chirurgicales visant une réparation esthétique des lèvres pour correspondre au vagin idéal médiatisé dans la pornographie, les artistes et militantes se font nombreuses pour parler du vagin et participer à son acceptation. Sur Instagram, @the.vulva.gallery multiplie les photographies de vagins afin d’en prouver toute sa beauté et sa diversité. Grâce aux artistes et aux militantes qui ouvrent la discussion, le regard sur le corps de la femme change, doucement, vers – on l’espère – une plus grande acceptation. Nous espérons poursuivre ce questionnement sur la représentation des sexes par les artistes avec des thématiques plus précises comme les mutilations génitales ou le corps trans dans de prochains articles.
A reblogué ceci sur [mhkzo].
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