
Nidaaa Badwan est une artiste photographe palestinienne qui a réalisé plusieurs séries de clichés au cœur du conflit israélo-palestinien. Elle est née en 1987 à Abou Dhabi de parents palestiniens.
« Je suis née palestinienne, de parents musulmans, mais j’ai pu ensuite décider ce que je voulais devenir »
Elle vit à Gaza depuis ses 11 ans, peu après son arrivée, la deuxième Intifada commençait. Elle a suivi des études scientifiques puis est sortie diplômée des Beaux-Art de l’université d’Al-Aqsa de Gaza. Ce département sera fermé peu après par le Hamas. Elle fréquente la scène artistique locale.Son quotidien de guerre, d’interdiction et d’oppression politique et religieuse l’étouffait. C’est ainsi qu’en 2012 elle participe à l’exposition « This is also Gaza » (c’est ça aussi Gaza) avec une quarantaine d’artistes gazaouis contemporains. Elle présente des clichés d’une femme, la tête dans un sac en plastique. C’est ici l’oppression qui est mise en scène, l’étouffement de la jeunesse, des artistes, des femmes, de Nidaa Badwan. Ces 7 clichés en noir et blanc présentent en gros plan le visage d’une femme sous un sac en plastique noir. On ne sait pas si elle essaie de se dégager de son emprise ou si elle le renforce. Nidaa Badwan présente une œuvre qui donne à réfléchir sur les conditions de vie des gazaouis à notre époque. On peut voir ici les prémices de sa série « Cent jours de solitude ».
Ce qui va précipiter son isolement, c’est son arrestation le 18 décembre 2013 par la police des mœurs du Hamas. Il lui a été reproché de porter une salopette, les cheveux nus coiffés seulement d’un bonnet en laine. Nidaa Badwan a tenté d’expliquer aux policiers qu’il s’agissait d’un happening, d’une action artistique. Ils n’ont pas compris, ou n’ont pas voulu comprendre et ont préféré la frapper. Le lendemain, elle s’enferme dans sa chambre. Les deux premiers mois sont ponctués de refus de se nourrir, de crises d’angoisse, d’une profonde dépression, cette période de calvaire se terminera par une tentative de suicide par pendaison.
Après cela, l’artiste apprend à vivre son isolement, à l’appréhender, et enfin à l’apprécier. Elle était arrivée à un moment où elle n’avait plus accès à ses droits fondamentaux et elle a décidé d’abandonner le monde extérieur pour créer un nouvel univers dans cette chambre de 9m² où elle resta 100 jours. Les 14 autoportraits qui résulteront de cet isolement seront réunis dans une série appelée « Cent jours de solitude », titre donné en référence au livre de « Cent ans de solitude » de Garcia Marquez qu’elle a pu relire durant les premiers temps de cette expérience. Un mur est peint dans les couleurs bleu vert reflétant d’une manière singulière la lumière naturelle, et celui lui faisant face est couvert d’emballages cartonnés d’œufs, peints dans des couleurs vives et multiples. Elle est entourée d’objets anecdotiques, comme deux fauteuils en rotin, une table basse, une vieille machine à coudre, une échelle lui servant de balançoire et un tas d’objets de rebuts détournés.
« Tout est beau, mais seulement dans ma chambre, pas dans Gaza. »
Cette solitude, cet enfermement volontaire, lui a permis de créer un nouveau langage, pour communiquer sur la situation de Gaza. Chaque artiste a besoin d’une zone de confort pour pouvoir créer un art qui leur est propre, Nidaa a choisi cette unique pièce.
« L’isolement est le seul moyen que j’ai trouvé pour échapper au joug de la société. Il n’y a que cela qui me permette d’avoir un espace d’expression et de liberté. Ma chambre est devenue mon unique oxygène. »
Elle met en scène sa chambre, et chaque photographie prend la forme d’un autoportrait où tous les objets de son quotidien jouent un rôle essentiel, se détachent et nous touchent. Nidaa Badwan peut prendre jusqu’à deux mois pour un seul cliché. Elle travaille la lumière en profondeur et sa chambre n’est éclairée que par une fenêtre de la taille d’une meurtrière munie d’un verre opaque ne lui laissant que peu d’occasion de capter une luminosité parfaite. Pour l’occuper, sa mère lui donne des tâches simples, qu’elle exécute dans sa chambre. Ces scènes de la vie quotidienne deviennent les sujets de ces photographies, comme on peut le voir avec cette image où elle épluche des oignons.
« J’ai eu l’idée de me représenter, à travers les différents personnages, les différentes facettes de ma nouvelle existence. J’ai choisi ce médium car je n’avais pas les moyens de m’acheter du matériel de peinture »
Elle n’a pas quitté cette chambre où elle cherche la beauté, au moment de l’opération « Bordure protectrice » lancée par le gouvernement de Netanyahou, en représailles du meurtre de 3 jeunes israéliens. Son quartier était particulièrement touché par les bombardements, ses voisins et sa famille se sont réfugiés au centre de Gaza, quand Nidaa a choisi de continuer sa vie isolée. Pour témoigner de ce choix courageux, elle a posté une photographie d’elle en train de se verser du liquide rouge sang sur le visage et la poitrine en disant :
« Je suis prête à mourir dans cette chambre s’il le faut »
Cette image est aujourd’hui introuvable mais cette action, relayée par quelques médias, témoignent de son combat tant artistique que politique. Elle déclare également :
« Les gens m’embêtent parce qu’ils ont oublié ce que c’était qu’une artiste. Être femme à Gaza, c’est être opprimée, mais être une femme artiste, c’est pire. Petit à petit, mon esprit a été paralysé par le fait de vivre ici »
Elle est victime à la fois de l’oppression patriarcale, religieuse, gouvernementale et policière. Le blocus israélien l’étouffe, les formations et les centres d’art ferment ou sont détruits. Ses photographies sont les traces de cette colère, elle les met en ligne pour montrer au monde extérieur ce qui se passe pour elle. Anthony Bruno, alors directeur de l’Institut Français de Gaza, repère ses clichés.
« Son travail m’a interpellé par son esthétique et par la profondeur de sa démarche. » – Anthony Bruno
Il l’invite à exposer à la galerie al-Hoash à Jérusalem-Est, elle a voulu sortir de son isolement pour assister au vernissage de son exposition. Les autorités israéliennes ont une nouvelle fois refuser de lui donner un visa correspondant et elle a dû suivre le vernissage depuis un hôtel par le biais de Skype.
« J’en sortirais le jour où ma ville sera devenue aussi belle que chambre »
Cet événement, l’an dernier, a été suivi par les antennes de l’Institut français prenant la suite de Jérusalem-Est avec les villes de Naplouse, Ramallah, Bethléem et Hébron. Elle accède à la reconnaissance du monde extérieur, elle est contactée par des galeries et des médias étrangers, comme le New York Times par exemple. On citera l’anthropologue au Musée du Quai-Branly et spécialiste de l’art palestinien, Marion Slitine :
« Elle fait partie d’une nouvelle génération d’artistes gazaouis particulièrement créatifs et dynamiques, en dépit de structures culturelles quasiment inexistantes, qui dénoncent, voire transgressent les réalités locales »
Malgré les différentes réussites, les portes de la culture à Gaza sont toujours fermées à Nidaa Badwan. Elle souffre, comme les autres artistes palestinien.ne.s de la politique israélienne mais aussi du sexisme diffus qui fait que les spécialistes et les médias ont tendance à parler en premier des artistes hommes, plus souvent et plus rapidement reconnus que leurs collègues femmes. Cette discrimination existe partout dans le monde. Mais ce qui fait de Nidaa Badwan une figure importante, c’est qu’elle cumule plusieurs oppression : être palestinienne, être une femme, et une femme qui refuse les lois strictes de la police des mœurs, vivre sur un territoire dominé économiquement, sous processus de colonisation et d’embargo et enfin revendiquer le statut d’artiste.
Pour conclure, je dirais qu’il s’agit aujourd’hui de visibiliser ces artistes femmes, trans et non-binaires qui produisent un travail de qualité en nous offrant un nouveau point de vue différent de nos habitudes. Il est important de diversifier les artistes dont les médias parlent pour ne pas passer à côté d’œuvres poignantes comme celles de Nidaa Badwan.
« Je peins, mais il n’y a pas de galeries pour montrer ce que je fais. Une femme et une artiste en même temps – c’est une catastrophe ».
Ne restons pas cependant sur une note négative, beaucoup de choses évoluent en ce moment, notamment pour les artistes femmes qui ont enfin droit à des rétrospectives de grande taille comme Niki de Saint-Phalle ou Louise Bourgeois au Guggenheim de Bilbao. À noter cependant que ce sont essentiellement des artistes venant de l’Europe de l’ouest ou des États-Unis qui connaissent la reconnaissance.
A reblogué ceci sur [mhkzo].
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