
Les céramiques font partie des nombreux types d’art qui permettent de voir l’évolution des goûts et des formes chez les différentes civilisations qui ont existé, existent ou existeront dans le temps. En ce qui nous concerne, nous allons entrevoir les changements qui furent opérés dans les créations chinoises entre la dynastie Tang – prononcé Tan – (618-907) et celle des Qing – prononcé Tsin – (1644-1912). De nombreuses techniques vont faire passer de la simple terre cuite à la célèbre porcelaine de Chine qui reste toujours cotée de nos jours.
L’avènement des Tang (618-907)
C’est durant la période des Tang que les sancai – ( se lit sankaï ) littéralement « trois couleurs » – ont été inventés. Cette dynastie a succédé à celle des Sui – prononcé Souï – (581-618) qui ont su rétablir les tensions entre Dynasties du Nord et du Sud. En effet, les terres cuites qui étaient jusqu’alors produites furent recouvertes par une glaçure polychrome sur fond blanc. Cet art polychrome associait le plus couramment du vert avec de l’ambre, mais présentait aussi du rouge et du bleu.

Les sancai étaient utilisés comme vaisselles, récipients ainsi que pour des statuettes. L’illustration montre un pot tripode recouvert d’un mélange de brun, de vert et de blanc sur toute la panse ainsi que sur les lèvres extérieures et intérieures. Il faut toutefois remarquer que l’arrière des pieds ainsi que le dessous de la pièce sont vierges de toute peinture. Un autre élément décoratif mis en valeur par les différentes couleurs se trouve au centre de la panse. Il s’agit d’une fleur gravée multicolore. Ce pot est en terre cuite, comme la plupart des sancai, bien que certaines pièces étaient en grès. Les décors pouvaient également illustrer des animaux domestiques comme des chevaux, ou sauvages comme des tigres ou des singes.
Parallèlement aux pièces précédentes, la céramique cizhou ( tssidzou ) était également produite. Il s’agit de grès colorés de motifs assez épais et dont la couverte peut être noire ou bleue. Ces créations se sont répandues depuis le Nord de la Chine. Ces pièces peintes ont perduré durant de nombreux siècles. En effet, quelques unes d’entre elles ont été produites sous les Song – prononcé Son – (960-1279).

Cette pièce nous montre l’engouement des Chinois pour la nature qui se retranscrit ici par les fleurs peintes sur les bandes blanches.
Les Song (960-1279) et le retour aux sources
Ce type de représentation, plus sobre, s’est surtout généralisé avec l’arrivée des Song au pouvoir. Ils ont remanié de façon significative l’art de la cour impériale après de nombreuses années de conflit appelées la période des Cinq Dynasties et des Dix Royaumes. Les motifs sont gravés et prennent pour thème la nature, les fleurs, les méandres et les formes géométriques qui prédominent face aux décors historiés et figuratifs. C’est pourquoi on retrouve, en majorité, des éléments sobres et élégants de plantes et de minéraux.
L’assiette et le bol à glaçure sont des parfaits exemples de l’utilisation des fleurs comme éléments décoratifs, gravées à même la pâte tandis que les ombrages se sont fait naturellement à l’aide de la couverte blanche. Au fond de la première pièce est gravée une fleur de lotus avec de grandes feuilles qui se recourbent. De plus, des pétales se dessinent par les multiples nervures qui se retrouvent sur le marli de l’assiette. En ce qui concerne le bol, des fleurs de pivoine se retrouvent sur le fond ainsi que tout le pourtour de la pièce.
La pureté et le naturel recherchés par les Song s’entremêlent par le blanc gravé de motifs floraux et simples.
Quelques objets mettent aussi en avant des animaux, particulièrement des oiseaux comme les phénix sacrés qu’illustrent bon nombre de céramiques, d’estampes, de paravents et autres bibelots. Une très belle aiguière à panse globulaire et à couverte bleu-vert nous expose de nombreux éléments décoratifs. Quelques fleurs aux formes arrondies se dessinent en relief tandis que le versoir a été moulé pour former deux têtes juxtaposées de phénix. Les détails nous révèlent un plumage soigné, une crête tripartite ainsi qu’un bec crochu. L’embouchure est large tandis que le col est gravé de multiples bandes circulaires. Le dernier élément, l’anse, nous montre deux tubes coudés et liés par ce qui semble être des tiges d’herbes ou bien pour évoquer le bambou. Cette plante typique de l’Asie sert beaucoup pour les constructions ou bien pour les outils comme les pinceaux et est souvent utilisée comme élément décoratif.

Parmi les productions qui firent la renommé des Song, les céramiques yue ( youé ) ont atteint leur apogée. Il s’agit de créations dont les premiers objets remontent à l’époque de la dynastie Zhou – prononcé djou – (vers 1500 av. J.-C. – 256 av. J.-C.) et qui ont été renommées par les Occidentaux en Céladons du fait de leur couleur verdâtre. Ce sont ces céramiques qui ont fait la renommée des fours de Yue mais la production va peu à peu décliner au XIe siècle au profit de nouvelles créations.

Ce bol en grès présente un décor de pétales de lotus gravés sur tout le pourtour. Ce motif indique par la même occasion l’expansion du Bouddhisme en Chine au cours du Ve siècle.
Deux autres types de céramiques ont été produits sous les Song, à savoir les céramiques ru ( jou ) et guan ( gouan ). Les deux étaient sobres et élégantes, sans décor sous glaçure. Les ru et les guan avaient la particularité de présenter les craquelures qui apparaissaient lors de la cuisson. Ces productions très cotées servaient à la cour impériale et remplacèrent les ding plus anciens et gravés.
Les envahisseurs Mongols : la dynastie Yuan (1279-1368)
Les conquêtes mongoles débutèrent au XIIIe siècle, se soldant par la capitulation des Song en 1279. Le gouvernement mongol s’installa non loin de l’actuel Beijing – prononcé Béidjin – (Pékin), dans une ville se nommant Khânbalik, en référence au chef des envahisseurs, Gûbilai Khân. Ce fut également ce dernier qui débuta la nouvelle dynastie, celle des Yuan ( youan ) qui ne dura que peu de temps (1279-1368) à cause des multiples insurrections du début XIVe siècle. Ces derniers ont par la même occasion modifié en profondeur les arts chinois. Ils ont, par exemple, amené la peinture à être plus narrative que par le passé mais ont aussi introduit le bleu de cobalt dans les décors de céramiques. Ces derniers, que les Occidentaux nomment plus communément « bleu-et-blanc », ont été parmi les objets qui ont été le plus exportés via la Compagnie des Indes dès le début du XVIIe siècle. Par ailleurs, il s’agit du type de décor qui a été le plus utilisé et qui a subi de nombreuses modifications avec les deux dernières dynasties, celles des Ming – prononcé min – (1368-1644) et des Qing (1644-1911).
Mais les Yuan n’ont pas seulement apporté cette technique de bichromie, ils ont également modifié la céramique au point de créer la porcelaine qui a fait et fait encore la renommée de la Chine.

L’expansion de la créativité : les Ming (1368-1644)
Après la Révolution des Turbans Rouges et la défaite des Yuan, les Ming sont arrivés au pouvoir. Ceux sont eux qui ont débuté la construction de la Grande Muraille de Chine et ont également contribué à la modification des arts chinois. Plusieurs types de céramiques ont ainsi pu voir le jour durant cette période de l’histoire. En premier nous avons les jihong ( djijuon ), les porcelaine rouges qui ont été créées par une heureuse erreur de cuisson. En effet, la couverte, qui devait être verte, a finalement résulté en une toute autre couleur qui a fait la renommée du règne de Xuande – prononcé shouandé – (1426-1436).

A côté de ces porcelaines à couverte rouge, l’empereur Chenghua – prononcé tchengjoua – (1465-1488) a su profiter des bichromes préexistant pour donner une touche de nouveauté aux céramiques. En effet, en suivant le schéma du bleu de cobalt, les porcelaineries ont pu ajouter de nouvelles couleurs comme le rouge de fer ou encore le vert de cuivre.

Le dernier empereur à avoir révolutionné la céramique durant la dynastie Ming fut Wanli (1573-1620) qui a rajouté plus de couleurs aux doucai (doukaï) de Chenghua et aux sancai des Tang (618-907), redevenus à la mode. Apparaissent alors les wucai – (woukaï) littéralement « cinq couleurs » – dans les productions impériales.

A côté de cette profusion de couleurs, un type de céramique se distingue par sa blancheur et sa pureté. Il s’agit des porcelaines de Dehua ( déjoua ) aussi appelées Blanc de Chine. Ces productions peuvent comprendre de la vaisselle mais aussi des statuettes monochromes. Les seuls décors sont alors gravés sur la surface. Autre particularité, ce style de création met en avant le bouddhisme.
L’apogée des céramiques : les Qing (1644-1911)
Les Qing ont renversé les Ming et ont réussi à atténuer les problèmes économiques apparus sous leurs prédécesseurs. Le commerce avec l’Occident s’est énormément accru durant cette période et de nombreuses céramiques s’inspirant des plus anciennes ont été conçues. Il n’était pas rare de retrouver des « bleu-et-blanc » tout comme des wucai et d’autre types de production. En revanche les monochromes blancs ou rouge ont peu à peu été stoppés.
Les Occidentaux aimaient tellement les céramiques chinoises que des productions spéciales dites porcelaines d’exportation ont pu voir le jour. Ce sont ces dernières qui ont influencé les goûts de l’Europe des XVIIIe et XIXe siècle, donnant naissance aux « chinoiseries ». Les céramistes ont dû modifier les décors pour qu’ils soient en adéquation avec les goûts européens.
Quelques nouveautés ont également été conçues comme les émaux colorés roses qui provenaient de l’Europe et qui permirent la naissance des porcelaines de « la famille rose ».
Pour conclure, nous pouvons dire que l’histoire de Chine a énormément influencé la production artistique dans sa globalité. En ce qui concerne les céramiques, ces dernières sont passées de la terre cuite à la porcelaine après de longues années de perfectionnement technique. Il semble donc logique que la curiosité des Occidentaux pour de tels objets de luxe ait influencé les goûts de la cour et de la bourgeoisie dès le XVIIIe siècle.
Article écrit par Andres Camps