Fierabras ou le poème de chevalerie inconnu

Tristan et Iseult, La Jérusalem délivrée ou le Roland furieux sont souvent les premiers romans auxquels on pense lorsqu’il s’agit de chevalerie médiévale. Fierabras est un poème épique composé entre 1230 et 1240 qui s’est malheureusement perdu au cours du temps, pour n’être traduit et édité en français qu’au XIXe siècle. Retour sur ce chef-d’œuvre oublié de la littérature française du Moyen-Age.

Un poème oublié des Français

Appartenant au genre des chansons de geste (récit versifié en décasyllabes), il a été groupé par les trouvères des XIIIe et XIVe siècle au sein du Cycle du Roi. Ce cycle, aussi appelé Cycle de Charlemagne, comprenait entre autres la très célèbre Chanson de Roland. Il existe trois versions anciennes différentes de Fierabras : une version longue en langue d’oc conservée dans un seul manuscrit, une version courte en langue d’oïl (1 775 vers) connue par un seul témoin et une version longue en langue d’oïl (6 408 vers) conservée dans une douzaine de manuscrits dont cinq complets.

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Alors qu’il ne fut traduit en français que très tardivement, Fierabras avait déjà fait le tour d’Europe.  Bien plus jalouse que la France de remonter aux sources de notre poésie provençale, c’est l’Allemagne qui, la première, traduisit le roman de Fierabras en 1533 mais seulement à partir de restes de manuscrits. En Italie existait une version appelée Romanzo di Fierabraccia e Olivieri (Roman de Fierabras et Olivier), de même qu’en Angleterre, datée du XVe siècle dans Le Sultan de Babylone. C’est la version espagnole du XVIe siècle, écrite en castillan, l’Historia del emperador Carlo Magno (l’Histoire de l’empereur Charlemagne) qui aurait inspiré Cervantès pour certaines scènes de son Don Quichotte. Des versions pastorales se retrouvent aussi en Amérique du Sud, et l’Espagne postérieure à la Reconquista y voit un outil de conversion. 

La version actuelle du poème, celle que l’on peut trouver dans nos librairies, provient d’un manuscrit provençal très lacunaire et plein de contresens, traduite depuis l’allemand.  Selon l’Histoire littéraire de France de M. Fauriel, un certain Méon, savant gardien des manuscrits de la cour du roi, lui aurait présenté confidentiellement en 1814 cette version provençale de Fierabras, alors en possession d’un inconnu. Ce dernier l’aurait vendue aux Allemands, emportée à Wolfenbüttel et imprimée 15 ans plus tard à Berlin. Elle aurait été ensuite complétée par les manuscrit français mais bien postérieurs.

Une véritable épopée chevaleresque

L’histoire écrite au Moyen-Age nous plonge au cœur des aventures de Charlemagne contre les Arabes. Pleine d’enthousiasme, d’originalité et d’énergie, les rapsodes nous entraînent avec eux dans les joutes, les combats et les sentiments des différents personnages. A l’instar d’Homère, l’histoire est pleine de vie et d’images qui donnent des couleurs à ce récit épique d’une grande richesse. La trame de fond se base sur un souvenir historique des guerres menées par Charlemagne, ne racontant pas vraiment l’Histoire même au temps des Carolingiens, mais plutôt les temps féodaux dans lesquels vivait l’auteur.

Dans l’édition Libretto avec la traduction de Jean-Bernard Mary-Lafond, le parti pris choisi était celui de conserver des termes de vieux français afin de replonger le lecteur dans la dimension authentique du récit. Alors qu’il s’agit d’un poème, la lecture est facilitée par son adaptation en roman, très facile à lire, d’une centaine de pages environ. Tout de suite le lecteur est plongé dans l’ambiance : après une rapide contextualisation expliquant pourquoi Charlemagne s’est lancé dans ces guerres contre les Sarrasins, les premiers combats commencent. La toute puissance de l’ost française et de ses chevaliers est soulignée à plusieurs reprises par le narrateur qui s’autorise également parfois quelques petits moments de suspens, mettant en garde le lecteur et le tenant en haleine sur la suite des évènements.21867999_10214397264912260_1137677146_o.jpg

On suit de près les aventures des plus fidèles chevaliers et barons de l’empereur, dont le vaillant Olivier de Gênes, Richard de Normandie, Guy de Bourgogne ou encore le comte Roland, neveu de l’empereur. Après de sérieuses défaites au compteur des musulmans, Fierabras ose demander en joute le plus vaillant des chevaliers de Charlemagne. S’il gagne, l’empereur devra se rendre, s’il perd, son armée n’attaquera pas le camp français et leur donnera satisfaction sur ce qu’ils souhaitent. Olivier, bien que blessé des combats précédents, se propose en concurrent. Le combat qui s’en suit est l’une des plus belles scènes épiques qui puisse exister en littérature. Jusqu’à la fin, son issue n’est pas certaine et va même étonner le lecteur.

Sans vouloir trop en dire sur le reste de l’histoire pour éviter de vous gâcher le plaisir de la lecture, s’en suivent rebondissements, rencontres, déconvenues et victoires, mêlant de magnifiques batailles où évidemment, les Français sont exaltés, avec des scènes d’amour et des remises en question de Charlemagne sur le devenir de cette campagne et de son entourage. Tout le récit, parce que nous sommes au Moyen-Age, tant dans l’histoire que dans son écriture, baigne dans un contexte religieux certain, où la chrétienté reste dominante et prépondérante face à l’islam. Les reliques de la Passion du Christ jouent un rôle majeur dans la suite des évènements, de même que les conversions, et les miracles accomplis par Dieu pour sauver les preux chevaliers sont nombreux.

Ne manquez pas de lire ce magnifique récit, malheureusement trop méconnu de nos programmes scolaires. Sa narration si vivante nous emmène aux côtés des barons pour assister à leurs aventures, aux trahisons et actes de bravoure de chacun, avec cette singulière impression d’être plongé directement au cœur des siècles qui virent l’apogée de la chevalerie.

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