
À l’occasion du mécénat exceptionnel de la Vallée Village, qui a permis au musée des Arts Décoratifs de restaurer cinq chefs-d’œuvre des collections de mode et textile, une conférence a eu lieu au musée le 5 octobre dernier. C’était l’occasion d’en apprendre plus sur les démarches des différents métiers intervenant dans le cadre d’une restauration d’envergure. Florilèges vous propose son compte-rendu !
Un dialogue entre conservation et restauration
La conférence était assurée par Emanuelle Garcin, restauratrice chargée des collections textiles, et Hélène Renaudin, assistante de conservation des collections mode et textile antérieures à 1800, afin de présenter un regard croisé sur les enjeux de la restauration et de l’exposition de costumes au sein du musée.
Ce dialogue entre le service de conservation et celui de restauration est permanent au sein du musée des Arts Décoratifs. En effet, il s’agit d’un des seuls musées disposant d’ateliers de restauration et de restaurateurs en interne. Cette présence de restaurateurs au sein d’un musée permet une veille permanente, et une bonne cohérence dans les collections. Les compétences se rencontrent et s’associent plus facilement.
Il était très intéressant de croiser les visions de ces deux métiers, car leurs missions et leurs enjeux ne sont pas identiques, et sont même parfois opposés. En effet, les missions principales d’un conservateur sont l’acquisition, l’inventaire et le recollement d’œuvres, la gestion de prêts, le suivi des restaurations et l’élaboration d’expositions. Cette volonté de transmission s’oppose donc d’une certaine manière au but de conservation de la restauration : en effet, pour conserver au mieux une œuvre, il faudrait la mettre à l’abri de la lumière, de la poussière, du mouvement, donc pour résumer, la garder dans les réserves. A l’opposé, la transmission d’une œuvre c’est sa médiation, et donc son exposition, ce qui implique du mouvement, de la poussière, des insectes, de la lumière. Une exposition doit donc être un compromis : il faut des vitrines pour protéger de la poussière, une lumière faible, une durée limitée, et des mannequins adaptés.
Ainsi, le mécénat de la Vallée Village a permis de souligner le dialogue entre les différents services, tout en accomplissant la mission double du musée : transmettre et conserver, puisqu’une restauration d’envergure a pu être menée, ainsi qu’une exposition des œuvres dans les salles du musée à la fin de l’opération.
Un mécénat exceptionnel
L’origine de ce projet se situe il y a quelques temps, lorsque le musée des Arts Décoratifs a contacté la Vallée Village dans le cadre de l’exposition « Tenue Correcte Exigée ». Le musée a également parlé de l’intérêt d’apporter un mécénat pour les œuvres non présentées dans l’exposition, et la Vallée Village a accepté de soutenir financièrement le musée dans cette démarche.
Une fois le mécénat proposé, les conservateurs du musée, Denis Bruna et Marie-Sophie Carron de la Carrière ont du respecter un cahier des charges : la Vallée Village souhaitait en effet que le musée trouve 5 pièces majeures de la collection, si possible avec une traçabilité, une histoire autour, ayant par exemple appartenu à une personnalité importante. Le choix des conservateurs s’est donc porté sur une cape du XVIe siècle, une robe à la française du XVIIIe siècle, un chapeau du XVIIIe siècle, une robe de Worth et une robe de Paul Poiret.
Les mécénats sont d’ordinaire généralement réservés aux expositions, et c’est dans ce contexte que sont menées la plupart des campagnes de restauration. Le délai et les budgets ont donc un impact sur le type de restauration. Ce n’est pas facile de mener des traitements approfondis, à cause du rythme soutenu : deux expositions par an au musée, en plus des expositions en itinérance à l’étranger. La Vallée Village a donc décidé de financer ces restaurations sans projet d’exposition, ce qui a permis de mener des recherches approfondies en plus d’une restauration poussée.
La conférence portait sur trois œuvres en particulier : la chapeau, la robe à la française et la cape.
Le chapeau
Aussi appelé bergère ou capeline, il est daté des années 1780 -1790, avec des remaniements ultérieurs.
C’est un type d’objet assez rare dans les collections. Il est intéressant pour l’histoire de la mode, car il évoque le goût pour le genre pastoral. Développé au XVIe siècle, il connaît une grand succès au XVIIIe siècle, dans la littérature, la peinture, la musique mais aussi la mode, comme en témoigne l’apparition de la robe chemise, et de la capeline, deux éléments récurrents dans les portraits de Louise Elisabeth Vigée le Brun.
La restauration de ce chapeau a permis de réaliser une étude approfondie des techniques et matériaux, notamment de la fibre végétale, qui intriguait les conservateurs depuis son acquisition. La restauratrice a sollicité une archéo-botaniste, qui a pu l’orienter vers une autre fibre : l’Hibiscus Tiliaceux.
Le chapeau était dans un état très dégradé : il était déformé, les bordures étaient soulevées, les fibres avaient cassé sur les bordures. Grâce aux travaux de l’équipe de restauratrices, la fibre a été consolidée avec du papier japon et une colle d’amidon de riz. Le chapeau a été dépoussiéré, a subi quelques interventions pour les décorations, il a été remis en forme par presse. Une forme et un plateau ont été spécialement créés, permettant une exposition plus facile.
La robe à la Française
Il s’agit d’une robe à la française datant de 1770, qui aurait appartenu à une lectrice de Marie-Antoinette. La robe à la française est une robe composée généralement de 3 pièces : une jupe, un manteau de robe et une pièce d’estomac, fixée au manteau de robe. Cette robe n’a pas de pièce d’estomac, ici ce sont des compères qui ferment par des agrafes le devant du manteau. La robe à la française est un élément de costume caractéristique du XVIIIe siècle, qui voit le jour dans les années 1740 environ.
Cette robe est intéressante de par l’attribution à une lectrice de la reine. La charge de lecteur ou de lectrice apparaît souvent dans l’entourage royal. C’est une relation très intime, une lectrice peut rester jusqu’à plusieurs heures au service de la reine. Il faut donc avoir une robe appropriée, comme cette robe à la française, une robe de cour tout à fait adaptée à une charge aussi importante.
L’objet du traitement de restauration n’a pas concerné l’aspect extérieur, en bon état général, mais l’intérieur et le tissu de doublure. En effet, si l’intérieur d’un costume n’est pas en bon état l’exposition va être difficile. L’intérieur forme souvent la structure du vêtement, car il est le support de l’entoilage, de la doublure, ou encore du baleinage. De plus, l’intérieur porte les traces du corps, d’usage, de réparation : il témoigne du parcours matériel de l’œuvre, et permet de livrer des informations, jouant ainsi un rôle non négligeable dans la valeur historique et documentaire du vêtement.
Comme le montre l’image ci contre, la jupe cache un élément remarquable dans sa doublure : le bas a été doublé par deux morceaux de soie chinée à la branche, un tissu complexe et coûteux : ces chutes d’une autre robe ont été employées pour la doublure.
L’observation du costume a permis de constater que le corsage et la jupe ont été remaniés. Des disques parfumés ont été ajoutés tardivement aux aisselles. Tout cela porte à croire que cette robe a été portée au XIXe siècle, dans le cadre d’un travestissement ou d’une pièce de théâtre.
Le réemploi de tissu en chutes diverses pour les doublures et les remaniements à la taille sont assez caractéristique de l’économie moderne pré industrielle : la production de textile est une longue entreprise, ayant une valeur immense : les textiles et costumes seront données, transmis, revendus, volés, retaillés. Ainsi les vêtements avant 1800 portent très souvent ces différentes strates d’usage.
En ce qui concerne le traitement de restauration, la robe a été dépoussiérée. Le tissu chiné doublant la jupe était froissé et formait des plis : il a été aplati, remis en forme par un apport progressif d’humidité. Les doublures ont été consolidées.
La cape
La cape date de la première moitié du XVIe siècle. Elle témoigne du faste du costume de cour au XVIe siècle, de par son velours de soie, un tissu précieux adopté par les gens de haute condition. La couleur cramoisie est également à prendre en considération : c’est une couleur de pouvoir, royal ou religieux. Cette association de velours de soie et de cette couleur montre que c’est un vêtement riche. Cette cape devait être la propriété d’un prince ou de l’entourage princier.
Ce vêtement est plus ancien que la moyenne des œuvres des collections. C’est un objet rare et fragile. L’opération de restauration a été l’occasion de mettre en place des analyses pour déterminer le tissage, et analyser les colorants et les fils d’or, grâce à l’envoi d’échantillons au Laboratoire de Restauration des Monuments Historiques.
La cape était dans un état assez dégradé, la doublure semblait tardive et lacunaire, le velours était usé et fendu, et il y avait de grandes plages où le poil avait disparu, surtout dans l’encolure. La cape a donc été consolidée, avec de larges supports posés dans les zones fragiles. Par dessus a été posé une couverture très large afin de protéger la doublure.
Conclusion
Nous avons donc pu constater que pour les différentes restaurations, le traitement a été déterminé pas à pas, ce qui a donné lieu à de nombreux échanges entre les services de conservation et de restauration, afin de choisir prudemment les options qui semblaient les plus pertinentes. L’implication de plusieurs spécialistes permet d’associer les points de vue, de faire dialoguer les compétences.
Ainsi, le domaine de la restauration ne se limite pas à un savoir faire technique : il génère également des connaissances scientifiques. C’est un moment privilégié d’observation et d’études des œuvres.
L’enrichissement des compétences n’est possible qu’avec la collaboration entre conservateurs et restaurateurs, mais aussi costumiers, collectionneurs, chercheurs, et de nombreux autres corps de métier.
Les pièces restaurées sont visibles du 22 septembre au 22 octobre 2017 dans les period rooms du musée des Arts Décoratifs.
Les photos utilisées pour cette article sont issues du site du musée des Arts Décoratifs.