Les « chinoiseries » du sud de la France entre 1700 et 1850

Les « chinoiseries » sont un type de production qui rassemble les différents arts mais par un souci du détail, ici ne seront mis en avant que les céramiques qui ont été produites dans le sud de la France entre 1700 et 1850.

Qu’est ce que le goût chinois ?

Dans le sillage de la Compagnie des Indes orientales, il était de bon ton dans les salons de la noblesse et de la bourgeoisie aisée, du XVIIIe et surtout du XIXe siècle, de servir le café et le thé dans des services à décor chinois. Cette mode ne fera que s’étendre et s’affermir car le « goût pour l’Empire du Milieu » va s’intensifier. Le goût de l’exotisme va croître du XVIIIe au XIXe siècle, ce que le décor de l’une des assiettes de Marseille nous montre à l’évidence. En effet, cette pièce nous offre une décoration historiée où trois personnages se trouvent « dans un monde qui semble être de l’autre côté de la Terre ».

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Assiette à décor chinois de Marseille – © 2017 Christophe Perlès

C’est toute une ambiance qui nous est ici montrée par les aplats de couleurs ainsi que les formes. Nous pouvons deviner par l’habillage qu’il s’agit forcément de Chinois en train de prendre du thé. Mais la végétation peut également avoir une connotation asiatique avec des fleurs telles que le volubilis ou encore le lotus.

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Assiette au lotus – © CHRISTIE’S

Ces deux paramètres, les personnages habillés en vêtements orientaux et les végétaux illustrant notre raisonnement apparaissent dans les vingt-neuf pièces du corpus. Elles sont toutes visibles dans le volume 2 accompagnant cette lecture. Groupées en trois zones dans le sud de la France, ces faïences et porcelaines participent à la richesse de la production méridionale entre 1700 et 1850. Pour notre étude, la sélection de ces objets, de ces « chinoiseries», s’est faite en croisant des données informatiques et bibliographiques. Celles-ci permettent de constater et de définir dans une période donnée, l’évolution dans son aspect technique de la production au sein d’une région, d’une ville ou d’une manufacture.

Mais d’où nous provient ce goût pour la Chine ?

Il provient d’un goût pour la découverte dans un propos très colonialiste de nouvelles terres, matières premières, marchés mais aussi de nouvelles cultures dans leurs aspects sociaux et artistiques. Les Tang (618-907) étaient déjà loin quand la Compagnie des Indes a commencé à commercer avec les Ming (1368-1644) et les Qing (1644-1911). C’est au travers de cette association que les Hollandais, les Français, les Anglais et les autres pays ont pu acheter les céramiques qui ont influencé le goût européen.

Au départ, il s’agissait des fameux bleu-et-blanc qui étaient au cœur des goûts de la bourgeoisie française. Toujours via la Compagnie des Indes, les motifs qui les décoraient ont été modifiés et une céramique d’exportation a vu le jour, s’adaptant au mieux à la demande occidentale. Parallèlement, des décors polychromes très certainement influencés par la concurrence japonaise ont émergé et nous sont parvenus via la Compagnie des Indes. Nous ne pouvons qu’imaginer l’émerveillement que de telles pièces pouvaient susciter entre les XVIIe et XIXe siècles.

La noblesse et la bourgeoisie riche étaient la source principale des changements divers dans le goût artistique qui se sont produits dans les arts à l’époque moderne. L’art rocaille (1710-1750) aime les formes arrondies et massives. Les décors sont devenus plus riches et moins lourds avec l’arrivée du style Empire qui est apparu vers 1804, avec Napoléon Ier. Les formes deviennent plus sévères, sobres et épurées, se référant aux productions antiques comme les objets égyptiens ou gréco-romains. Bien que tout oppose art rocaille et style Empire, nous les retrouvons de manière légère, parfois presque imperceptible, dans les objets chinois, importés via la Compagnie des Indes mais aussi dans les « chinoiseries » françaises. En effet, nous retrouvons les formes arrondies dans les céramiques du XVIIIe siècle comme le fleurier de Bordeaux, les formes amples et les décors végétaux se rapprochant des goûts de l’époque.

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Fleurier à décor chinois de Bordeaux – © Musée d’Aquitaine

Par opposition, les objets de Saint-Gaudens / Valentine sont beaucoup plus simples, avec une esthétique détaillée et complète, reflétant les formes complexes des porcelaines de la « famille rose » et « verte » chinoises.

En France, le XVIIIe siècle a permis une mise en valeur des arts décoratifs qui ne sont alors plus considérés comme des arts mineurs. En effet, de nombreux amateurs s’intéressent au luxe mais aussi à l’aspect profane de ce type d’articles. Une production multipliée a été mise en place en France, avec des produits principalement fabriqués pour l’exportation. Ces derniers donnaient aux pièces un caractère fantaisiste et léger en associant différents domaines et présentaient de la nouveauté dans les arts dits classiques comme la céramique ou bien les tissus. Dans l’art du tissage, de nombreuses soies brodées furent placées dans les trésors d’église, ayant des formes que nous pourrions qualifier de classiques, en adéquation avec les créations habituelles. Mais à côté de ces tissus se retrouvent des productions aux formes particulières, d’origines extérieures à l’Europe, présentant des motifs floraux ainsi que des décors exotiques.

Mais comment l’évolution du goût a-t-elle modifié les productions des manufactures méridionales ?

La grande majorité de ces pièces exotiques était la propriété de la noblesse et de la bourgeoisie aisée. Ce sont les rois comme en Angleterre, l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, ainsi que les membres de la cour qui ont, par les commandes d’exotica, progressivement fait modifier les techniques et décors des céramiques. Les « puissants » exposaient souvent des objets dans des cabinets de curiosité ; les porcelaines et faïences étaient, elles, entreposées dans des cabinets de porcelaine et de laque.

Mais pour avoir de tels objets, il fallait payer le transport des pièces depuis les pays d’Extrême-Orient. Le roi et les personnes de la haute société s’intéressaient tellement au monde oriental que le commerce a été intensifié, et de plus en plus de porcelaines sont arrivées en Europe. Mais le commerce devenant difficile faute de matières premières, il fallait donc trouver une autre solution pour satisfaire les acheteurs. Les objets chinois et les chinoiseries se développèrent donc dans la haute société française entre 1700 et 1850.

Comment cela se retranscrit-il dans les céramiques ?

Les « chinoiseries » nous proposent un florilège de matières allant de la terre cuite à la porcelaine mais en France les artisans se sont concentrés sur la faïence et la faïence fine. La première est arrivée via le commerce avec l’Italie, très certainement originaire de Faienza tandis que la seconde est une technique provenant d’Angleterre. Les Anglais ont créé ce matériau en recherchant le secret de la porcelaine chinoise et c’est pourquoi la faïence fine est généralement appelée semi-porcelaine. Pour les coloris, en France, nous pouvons retrouver les bichromes et les polychromes mêlant du bleu de cobalt en priorité mais aussi du vert de cuivre et du rouge de fer. Quelques nouvelles couleurs ont ensuite complété ce panel avec le jaune, le violet de manganèse, le rose et le noir.

L’iconographie va également se modifier avec une grande importance mise sur la nature qui est essentielle dans les arts chinois. Des oiseaux de basse cour aux phénix légendaires, de la simple rose à la composition florale, de l’homme sur terrasse aux groupes organisés, les céramiques possèdent un décor pour tous les goûts. Parmi les éléments qui reviennent le plus souvent, les artisans représentaient les hommes avec une longue moustache stéréotypée tandis que les femmes étaient pour le plupart habillées avec des vêtements amples. Les autres motifs qui restent récurrents sont les oiseaux ainsi que les bouquets de fleurs exotiques, mêlant parfois des essences occidentales et orientales comme le vase de Saint-Gaudens / Valentine montré plus tôt. Des modèles ont parfois été nécessaires pour restituer au mieux un motif bien particulier comme les croquis retrouvés pour la manufacture saint-gaudinoise.

Quelles furent les villes qui ont principalement produit ce type de décor ?

Au sein du sud de la France pas moins de onze villes se sont démarquées en utilisant des décors chinois. Elles peuvent se répartir en trois zones géographiques, le Sud-Est, le Midi et le Sud-Ouest. Ces dernières pouvaient se distinguer par les différentes représentations qui décoraient les « chinoiseries » mais aussi par les couleurs utilisées. En effet, le bleu de cobalt était plus utilisé dans le Sud-Est tandis que le vert de cuivre était une marque pour reconnaître le Sud-Ouest. Le Midi, lui, produisait beaucoup de grandes compositions florales. Mais les motifs se sont également déplacés avec le commerce, ce qui a amené à une grande diversité dans les « chinoiseries » méridionales françaises.

Les villes qui ont réussi à se démarquer par ces décors français d’inspiration chinoise sont Bordeaux, Samadet, Bergerac, Auvillar, Toulouse, Saint-Gaudens / Valentine, Montauban, Martres-Tolosane, Moustiers, Montpellier et Marseille. Certaines ont une histoire en commun comme Moustiers, Toulouse, Marseille et Saint-Gaudens / Valentine et d’autres ont émergé par la suite comme Martres-Tolosane ou Auvillar.

De nos jours, il ne reste plus que les vestiges des fours de productions de ces villes, du moins pour les plus chanceuses. Sinon, les seules traces de ces créations résident dans les multiples céramiques qui se retrouvent dans les greniers, les antiquaires et les musées.

Et du côté de la Chine ?

Parallèlement aux « chinoiseries » qui émergeaient en Europe, les Chinois ont également dû revoir les registres décoratifs de leurs porcelaines. En effet, toute une série de céramiques dites d’exportation mettait un point d’honneur à coller au mieux aux goûts Occidentaux. De plus, de grandes créations comme la « famille rose » qui n’a pu voir le jour que par les émaux roses provenant de France.

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Jarre à décor « mille fleurs » – © Musée Guimet

Si la Chine a su faire évoluer la mode européenne, l’Europe a quand à elle permis une expansion de la porcelaine et une grande diversification de ses décors de plus en plus recherchés et complexe. C’est cette globalité qui va servir de point de départ pour les futures influences que vont subir les arts occidentaux.

Toutes ces céramiques sont le reflet des goûts de la noblesse et de la bourgeoisie des XVIIIe et XIXe siècles qui s’intéressaient énormément aux productions exportées via la Compagnie des Indes. Mais au cours des années 1800, le commerce avec le Japon a commencé à apporter un nouveau courant artistique en Europe, le Japonisme qui a influencé des artistes tels que Van Gogh ou Monet.

Article écrit par Andres Camps

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