Coccinelle, une artiste trans dans les cabarets parisiens

Coccinelle est une des grandes figures de l’histoire trans dans l’État français, à l’avant-garde de toutes les luttes et préoccupations des personnes trans : reconnaissance, visibilité, opération, dépsychiatrisation, changement d’état civil, etc. Son engagement se traduit par des combats personnels mais aussi par sa profession : elle se produit dans les cabarets. Malgré les menaces et les violences, elle persiste dans sa voie et devient une star.

Coccinelle 05Née en 1931 à Paris, Coccinelle abandonne vite les études et s’inscrit en apprentissage sous la pression de son père. Mais elle choisit le métier de coiffeuse, ce qui contrarie son père homophobe qui pense ce métier réservé aux femmes ou aux homosexuels. Ce denier place Coccinelle dans un salon fréquenté par des prostituées et lui interdit de coiffer les femmes. Mais Coccinelle se lie d’amitié avec plusieurs travailleuses du sexe, notamment avec une dénommée Monique. Celle-ci va lui inculquer sa vision de la féminité, en lui prêtant du maquillage et des vêtements. Le père de Coccinelle qui ne tarde pas à apprendre ses liens trop amicaux, selon lui, avec les prostituées, le retire du salon pour le faire travailler dans le milieu de l’automobile. L’environnement change radicalement pour une exacerbation de la virilité et du mythe dominateur masculin. La personnalité de la future artiste de cabaret détonne et elle commence à subir les violences sur son lieu de travail. Elle va tout de même retirer des notions qui lui seront chères dans le futur : le faste et la richesse.

Coccinelle rencontre Lucrèce qui se travestit pour le spectacle, et avec l’aide de Monique elle va entrer dans son premier cabaret en 1953. Chez Madame Arthur, elle connaît ses premiers succès en tant que chanteuse et danseuse. Bien vite sa postérité lui permet d’entrer au cabaret Carrousel, établissement très prestigieux. C’est à cette époque qu’elle annonce sa transition, ce qui explique pourquoi elle est la seule artiste à être habillée « en femme » même à l’extérieur du cabaret.

Artiste Coccinelle

Par le biais de plusieurs rencontres, dont celle décisive avec Marie-André, Coccinelle décide de se faire opérer en 1956. Elle part pour Casablanca où le chirurgien français Georges Burou a ouvert sa clinique spécialisée trois années plus tôt. Le cadre médical français trop psychiatrisant et transphobe rendait impossible toute opération de réassignation de genre. En effet les premières opérations ne seront effectuées que dans les années 1970 et seulement pour les patient.es suicidaires. Coccinelle devient la première personne française connue à commencer une transition avec opérations. Deux années après le début des opérations, elle décide de faire une demande de changement d’état civil afin que ses papiers soient à son genre réel et non pas à son genre assigné à la naissance. Les opérations effectuées lui permettent de plaider une intersexualité qui incite la justice à lui accorder une rectification de l’état civil sous le nom de Jacqueline, Charlotte Dufresnoy. En 1960 elle se marie pour la première fois avec Francis Paul Bonnet, un journaliste sportif. Cet événement se passe à l’église et dans un cadre légal ce qui déclenche un scandale chez les réactionnaires français qui y voient une décadence, une monstruosité. L’État français se plie à cette partie de la population, de droite et très influente, et en 1965 les rectifications d’état civil deviennent impossible en évoquant des arguments transphobes et pseudo-biologiques (jurisprudence entérinée en 1975 par la Cour de Cassation).

C’est une autre patiente du docteur Burou, Claude Botella, opérée en 1972 qui va se battre contre cette décision. Elle saisit en 1991 la Cour Européenne des Droits de l’Homme au titre d’ « atteinte à la vie privée ». En effet la non correspondance de ses papiers d’identité et de son genre réel et visible l’obligeait à révéler régulièrement sa transition. Outre le caractère très intrusif de la manœuvre, cet aveu est aussi très dangereux dans un pays où règne la transphobie. L’année suivante la Cour de Cassation est obligée de revenir sur sa décision et d’accepter les changements d’état civil pour les personnes trans.

Coccinelle 02

Même si elle est une artiste connue Coccinelle subit également beaucoup de violence : de la part des critiques, des particuliers, des forces de l’ordre, des institutions mais aussi d’artistes travesti.es qui prennent sa transidentité pour une tactique déloyale lui permettant de faire « plus femmes » qu’eux. Mais elle ne change rien à sa vie, toujours dans le faste et la médiatisation. Elle se met en scène constamment, enregistres des 45 tours et joue dans des films. En 1963 elle se produit à l’Olympia dans un spectacle intitulé « Cherchez la femme » écrit par Bruno Coquatrix. La même année elle sort son premier ouvrage « Coccinelle est lui », qui sera suivi en 1986 par une autobiographie « Coccinelle par Coccinelle ». Dans les années 1970 elle fait des tournées à l’internationale et finit par s’établir à Berlin jusqu’en 1992, date de son retour à Marseille. Après s’être mariée à Mario Florentin Heyns, elle épouse le transformiste Thierry Wilson en direct sur la télévision. Elle fait de chaque moment de sa vie un événement spectaculaire. Le seul moment qu’elle a souhaité intime et discret est celui de son incinération, ses cendres ont été répandues dans un lieu secret.

« Je n’ai pas eu ma vie, qu’on me laisse ma mort »

Coccinelle incarne parfaitement l’idéal féminin des années 1950 et 1960 à l’instar de Marilyn Monroe. Elle cherche à entretenir cette féminité surjouée, typique du milieu des cabarets. Sa beauté transcende le milieu parisien qui est tiraillé entre émerveillement et transphobie latente.

Coccinelle 04

Son parcours exceptionnel, qu’elle effectue dans les années 1950 et 1960, ne peut que nous interroger sur la persistance de la transphobie institutionnelle et la psychiatrisation forcée des personnes trans. Même si Coccinelle s’est battue toute son existence pour le respect, l’acceptation, la visibilité et les droits des personnes trans elle en a subi la répression de l’Histoire : l’oubli. Peu parlent d’elle en dehors d’une communauté restreinte qui milite pour la réhabilitation des militant.es et personnalités trans et queer. Le 18 mai dernier Hélène Bidard, adjointe à la mairie de Paris chargée de l’égalité femmes-hommes, inaugure une promenade boulevard de Clichy à Paris à la mémoire de Coccinelle, en tant que première personnalité à avoir bénéficié de la rectification d’état civil. Ce lieu de mémoire se trouve non loin des cabarets où exerçait Coccinelle, afin de se souvenir aussi de sa profession artistique. Nous pouvons souligner ici le premier hommage rendu à une personne trans en Europe. Malgré cette action médiatisée et symbolique les faits ne changent pas. Il ne faut pas oublier que les changements d’état civil sont toujours soumis à une psychiatrisation et une médicalisation des personnes trans, que le changement de prénom et de genre à l’entrée à l’université et dans les écoles n’est toujours pas automatique, que les opérations sont lourdes et coûteuses et que les institutions françaises sont toujours coincées dans une transphobie réactionnaire.

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