
Un manteau de cuir noir, un livre dans la main et un regard passionné dissimulé derrière des lunettes. C’est ainsi qu’on pourrait définir Jacques Sirgent, guide pour l’association Sous les Pavés. Parmi les quelques visite-conférences qu’il propose, il y a la visite ésotérique du Père-Lachaise. Durant trois heures, le vampirologue emmène ses petits groupes en dehors des sentiers battus du célèbre cimetière parisien pour nous le faire découvrir. Pourquoi peut-il y avoir des poules au sein du cimetière ? Que signifie la chauve-souris sur ce tombeau ? Ces pierres ont-elles été disposées de manière consciente sur cette tombe ? Il a la clef à tous vos questionnement sur ce lieu mystérieux.
Un homme et une association
Cela fait plus de douze ans que Jacques Sirgent propose ces cheminements commentés mais ce n’est pas sa vocation première. En effet, après avoir passé son enfance au Canada, il étudie la littérature à Genève. Il se spécialise sur le vampire, créature qui le passionne depuis de nombreuses années. Son histoire, son étymologie… Tout y passe. Pour lui, un vampire est notamment « La seule créature qui n’ayant pas de reflets est le reflet de nos peurs ».
Il écrit de nombreux livres sur ce sujet, dont certains publiés aux éditions Ouest-France, mais aussi d’autres sur « l’étrange », et est professeur à l’université. Son mode de vie change il y a douze ans avec l’ouverture de son musée, le musée des vampires et des monstres de l’imaginaire aux Lilas.
L’Association Sous les Pavés est née en mai 2017. Par un travail de communication par les réseaux sociaux, dont Facebook, la célébrité arrive. Pour Jacques, ses visites affichent complet facilement car les groupes sont composés d’une dizaine de visiteurs à chaque fois. Il propose au moins deux visites du Père Lachaise par semaine. Il propose aussi une visite sur le Paris Romantique et une autre sur la prostitution. Mais ce n’est pas le seul guide, de nombreux parcours sont proposés par l’association comme la visite d’un temple franc-maçon ou une visite d’un Paris nocturne criminel.
La visite
Le lieu de rendez-vous est devant la mairie du XXe arrondissement de Paris. Le petit groupe se forme, des appels téléphoniques sont passés pour les retardataires. Une des particularités de l’association est que si la visite est loupée à cause d’un empêchement, il est possible de la reporter sans payer de frais. Après un bonjour joyeux, le pas est lancé. C’est avec rapidité et déjà quelques anecdotes racontées que la rue menant au cimetière est remontée. Passées les grilles de celui-ci, premier arrêt. Il n’y a pas que les tombes qui rythment la vie du Père Lachaise, il y a aussi les arbres qui les accompagnent et les vivants qui le fréquentent. Car cette visite du Père Lachaise met en avant les rituels de profanation ou de protection de ces visiteurs ayant encore un coeur qui bat sur les différentes tombes. En effet, des rites plus ou moins bons pour une conservation des pierres et marbres sont réalisés tous les jours par les nombreux visiteurs.
Pour suivre Jacques, il vaut mieux être équipé de bonnes baskets. Les grandes allées sont délaissées pour se rapprocher au plus près des tombes et de leurs histoires particulières. Vous l’entendrez dire « là » à tout bout de champ, observant d’un oeil de scientifique les tombeaux. Cet habitué des lieux qui confie y venir plus de trois fois par semaine depuis plus de dix ans, connait les allées, les noms et chaque recoin même les plus cachés. Il connait aussi son actualité et son devenir. Les nouveaux emplacements achetés par de riches chinois pour reposer éternellement à Paris, les tombes du XIXe siècle qui sont détruites pour les nouvelles qui sont plates et en béton… C’est une découverte d’un patrimoine qui est en péril. En effet, les lois de la maire de Paris, Anne Hidalgo, font que les concessions qui étaient à perpétuité ne le sont plus et la destruction de la statuaire funéraire du XIXe siècle n’est pas un problème pour elle. Des associations essayent de veiller à la protection de ce patrimoine mais les moyens manquent. En effet, ce cimetière qui est d’ordre public ne voit l’entretien des tombes uniquement par les familles des défunts. Nous l’écoutons expliquer de manière précise un symbole discret sur un tombeau avant qu’il ne termine par un « prenez une photo, il peut être détruit aussi bien la semaine prochaine que dans un mois ».
Ce guide n’est pas quelqu’un qui reste en place et fait un discours. Il raconte beaucoup d’anecdotes, personnelles ou non, mais fait aussi participer le visiteur amateur. « Mettez vous là et regardez. Que voyez-vous ? ». L’oeil et l’esprit critique sont sollicités pour comprendre au mieux les histoires et images symboliques cachées dans la pierre. Des questions viennent alors, les réponses fusent aussitôt du côté de l’expert. C’est toujours un échange constructif avec une volonté de découvrir pour l’un et de partager pour l’autre.
Le Père Lachaise est unique dans son genre. Construit sous Napoléon Ier, il est rapidement ouvert aux civils. Inter-confessionnel, on retrouve des sépultures de catholiques, juifs et autres religions souvent oubliées ou inconnues. Ce pluralisme crée sa richesse. Aujourd’hui, il est le plus visité de Paris. Pour Jacques, c’est surtout le plus intéressant car c’est celui qui regroupe le plus d’énergie, de symboles et de rituels, de grandes forces qui lui permettent de continuer ses recherches et d’affiner ses théories.
Durant cette visite, de nombreux rituels de profanation sont expliqués. Ils sont nombreux et sont dits soit « gentil » soit « méchant ». Cela va de la destruction de bras droit d’ange ou de Christ à l’excavation de squelettes en passant par la pose d’un ticket de métro. Tous sont savamment réfléchis et réalisés. Il est aussi possible de trouver des lettres, d’amour de remerciement ou autre. L’espace de recueillement prend alors son sens et l’interaction entre les vivants et les morts encore plus.
C’est donc une visite étonnante et inédite que nous propose l’association Sous les Pavés et Jacques Sirgent. Nous ne voyons pas le temps passer et nous en redemandons encore plus à la fin. Notre âme d’enfant revient à grands pas pour partir à la découverte d’un patrimoine qui est souvent mis de côté mais qui est d’une richesse à la fois anthropologique et spirituelle.
Pour en savoir plus : https://www.sous-les-paves.com/