
Affiches, graffs, pochoirs, stickers… De nos jours le Street Art se retrouve dans de nombreuses rues allemandes, en particulier celles de Berlin.
Aujourd’hui, le Street art est un style artistique mis en avant de manière récurrente à travers tous types de média. L’image de Banksy et de ses collages dans le monde entier, mais encore d’Invader qui installe ses Space Invaders en carrelage ou en petit carreaux de mosaïques sur des murs de grandes métropoles internationales sont pour nous spectateurs et amateurs, des œuvres qui nous sommes familières.
Mais qu’en est-il de l’implantation du Street Art en Allemagne et en particulier à Berlin ?
Il faut tout d’abord retracer l’histoire du mur du Berlin, qui participe indirectement à l’acheminement progressif de l’art urbain dans la capitale allemande.
– Le Mur De Berlin, support artistique –
C’est après la seconde Guerre mondiale, d’une part, les Occidentaux, c’est-à-dire les Américains, Britanniques et les Français et d’autre part les Soviétiques sont vainqueurs du nazisme. La conséquence est le partage de l’Allemagne en quatre zones bien distinctes, administrées par chacune des quatre puissances. Berlin, la capitale est aussi partagée. C’est alors que la puissance communiste occupe la partie Est. Lorsque Staline, le dirigeant soviétique, viole les accords de Yalta, les relations entre le bloc occidental et le bloc soviétique se durcissent, chacun voulant affirmer sa puissance. L’Europe peu à peu se divise en deux, le « rideau de fer » émerge, tentant d’empêcher l’exode d’Allemands de l’Est s’enfuir vers l’Ouest. Néanmoins, entre 1949 et 1961 ; près de 2.7 millions d’Allemands de l’Est trouvent refuge à l’Ouest. Pour emprisonner les habitants de la zone d’occupation soviétique attirés par les apparentes richesses de l’Ouest, le Mur de Berlin est construit dans la nuit du 12 au 13 août 1961. Dès les premières pierres posées jusqu’à sa fracture, ce mur est un symbole de honte. Officiellement, près de 239 Berlinois de l’Est s’éteignent, tentant vainement de franchir le mur pour réussir à passer de l’autre côté.
Ce mur est construit par la République démocratique (RDA) sur son propre territoire. Ainsi, la face du mur qui regardait l’Ouest était présente en RDA, gardée par plus de trois cents miradors des gardes soviétiques. Un habitant de l’Ouest pouvait passer à l’Est dans une zone de cinq mètres avant le mur. A cette période, il était risqué de défier la surveillance des gardes de la RDA au profit de faire du mur un support artistique. Le risque encouru était l’emprisonnement à l’Est. Aussi, d’un point de vue de l’équipement ; les qualités matérielles du mur rendaient l’application de peinture laborieuse. En effet, jusqu’en 1977, la qualité médiocre des blocs de béton puis des premiers panneaux préfabriqués empêchaient les couleurs et la peinture d’adhérer au support. Tout de même, dans les années 80 ; une série de slogans apparaît au goût d’anti-américain : « Us Go Home », ou à l’amertume raciste envers les Turcs. Sous ces énormes phrases de revendications, des messages d’amour et des phrases humoristiques brisaient la morosité du blanc.

De plus, le mur au fil du temps recourra à de nombreuses consolidations, qui permettront de changer plusieurs fois les matériaux de constructions et ainsi, offrir des surfaces plus lisses et moins poreuses. La mise en place d’éléments préfabriqués de béton d’une hauteur assez conséquente ; (3.60m /1.20m) devient le support idéal, un long tableau de béton blanc se dessinait. Les compositions des premiers artistes débutent dans les années 80 ; où un petit nombre de peintres décident d’exploiter à grande échelle quelques pans de murs à l’abri du regard des gardes.
– Thierry Noir, premier artiste de Mur –
Pour la première fois, le mur est recouvert de haut en bas, sur plusieurs centaines de mètres de longueur. Thierry Noir, français originaire de Lyon est considéré comme le premier artiste à peindre le mur en 1984. A cette époque, il se retrouve à Berlin comme beaucoup d’étrangers, pour goûter aux plaisirs de la musique rock et aux mouvements alternatifs, en plein émergence dans cette ville. Pourtant il n’a pas de formation artistique, c’est à Berlin qu’il apprendra à manier l’art du pinceau. Installé depuis deux ans un ancien hôpital, le premier squatté de Berlin « Georg von Rauch Haus » ce dernier finissait à cinq mètres du mur dans le quartier de Mariannenplatz. L’artiste était en permanence confronté à la vue glaçante de ce mur et ce mur le provoque physiquement.
« Le mur était en face de chez moi. C’était une vie triste, une mélancolie au jour le jour. Il ne se passait rien du tout. » Explique Thierry Noir.
« J’ai décidé de peindre le mur pour changer cette tristesse insupportable. »

Accompagné de son ami Christophe Bouchet – issu des Beaux-Arts – ils récupèrent de la peinture issue de chantier et décident donc d’aller une nuit peindre le pan de mur derrière leur foyer. Ils se relaient à tour de rôle : lorsque l’un guette, l’autre, sur une échelle, peint à l’aide de rouleaux. C’est la première fois que le mur est peint sur toute sa hauteur. D’autres expéditions nocturnes suivront.

Un soir, ils entreprennent de fixer sur le mur une immense porte et un bidet, ce sera leur hommage à Marcel Duchamp. Le bidet est posé mais la porte en métal fait énormément de bruit, ce qui les amènent à partir rapidement. Les gardes-frontières avec leurs chiens sont de sortie, des véhicules faisant grincer leurs roues et les hurlement de sirènes s’entendent jusqu’à leur salle de bain. Ils observent le « son et lumière » qu’ils ont déclenché : cette nuit-là, ils le savent, ils ont été photographiés. A quoi bon alors continuer à se cacher ? Désormais, c’est en plein jour qu’ils officieront.
C’est au jeu du chat et à la souris que Thierry Noir s’amuse à jouer. Il n’entendra jamais un coup de fusil même si un jour en lisant le journal, il découvre qu’une personne a été tué.
« J’ai compris que le mur était comme le crocodile que j’allais voir, enfant, au parc de la Tête d’Or, à Lyon. Comme il ne bougeait jamais, je croyais qu’il était en plastique… jusqu’au jour où quelqu’un l’a nourri devant moi et où j’ai vu sa mâchoire s’ouvrir en grand. »
Cette tentative amène d’autres artistes à se lancer ; ces peintres développent une pratique sur le mur comme Indiano ou Kiddy Citny avec qui le Noir plus tard, produira de la musique industrielle. Les murs se recouvrent peu à peu de grandes figures enfantines aux couleurs vives et aux yeux ronds, pleine de poésie, inventées par lui-même pour qu’elles puissent se voir à des kilomètres.
Pour lui, ce sont « les cousins et les cousines du petit chaperon rouge ».

Il continue d’œuvrer tout en prenant garde à la surveillance des Grepo – police de frontière allemande qui gardait le mur – la rapidité est un agissement dont doivent faire preuve chaque peintre qui se tente à œuvrer sur le mur. Même si Thierry Noir peint du côté Ouest, peindre le mur est interdit et la surveillance est constante par les gardes allemands. Autour de points sensibles comme Checkpoint Charlie, peindre est alors très risqué.

Ces aplats colorés apposés par Thierry Noir ne passent pas inaperçus des Berlinois et au premier abord, ils ne sont pas appréciés, sujet trop tabou pour que des artistes puissent recouvrir ce mur.
« Il fallait expliquer aux passants que je n’essayais pas de le rendre beau – c’était impossible, même en peignant des kilos et des kilos de peinture, le mur n’aurait jamais été beau. Ce n’était pas une œuvre d’art, c’était une machine à tuer. »
« Il y avait comme un tabou à l’époque autour du mur : les artistes allemands ne le peignaient pas. C’était un peu le ‘mur de la honte’. »
Néanmoins, un dialogue se crée entre les artistes et les habitants au pied du mur lors des réalisations des fresques et certains n’hésitent pas à prendre un pinceau en main et contribuer à une œuvre importante de Thierry Noir qui mesure plus de cinq kilomètres de long.
A propos du mur, le peintre Peter Klasen écrit : « les hommes voulaient que le mur soit une séparation, et il devient en fait son contraire : un ferment et un lieu qui matérialise une ligne d’échange et de son partage. Ce mur conçu pour empêcher le dialogue devient un lieu privilégié de la communication ».
De plus Noir explique qu’il ne peint pas : « pour embellir ce monstre sanglant, mais pour démythifier ».
Plus tard, en 1986, l’artiste Keith Haring, peindra sur le mur une fresque sur fond jaune de 100 m de long. Puis un an plus tard, le film de Wim Wenders, Les Ailes du Désir, où Thierry Noir est aperçu en train de peindre une réplique du mur de Berlin, apparaît à l’écran comme un bain explosif de couleurs vives. Ce film contribuera à réveiller l’enthousiasme des Berlinois et leurs rapports avec le mur de Berlin récemment peint. En effet, des badauds et des soldats américains se font prendre en photo devant ses peintures.

Quelques mois plus tard, alors que le bloc soviétique est sérieusement affaibli, un art jusque-là démocratisé à New-York puis apparu dans quelques villes Occidentales ; le writing envahit la ville de Berlin. De jeunes individus, munis de bombes aérosols tracent de grandes lettres sur le mur de Berlin jusqu’à saturer certains espaces.
Enfin, le 9 novembre 1989 à 22h15, le mur s’ouvre et se brise, après plus de vingt-huit années de séparation entre l’Est et L’Ouest. L’événement sera retranscrit par les téléviseurs du monde entier. Au cours des mois suivant, la destruction et le pillage du mur le réduisent à l’état de fragment. Ce qui n’affecte pas Thierry Noir de voir ses œuvres d’art partir en fumée.
« Enfin, je pouvais emmener ma fille au jardin d’enfant dans ce parc jusqu’alors inaccessible et pourtant juste en face de chez moi. »
Des passages vont apparaître, sous les coups de pioches des Berlinois. L’occasion est trop belle pour Thierry Noir : le voilà qui passe de l’autre côté pour peindre sur l’autre versant du mur, complètement vierge celui-là, et pour cause, il se situe sur l’ancienne « piste de la mort ». Il tient sa revanche :
« Les grepos étaient toujours là mais ils n’avaient plus le droit de tirer. Ils étaient rouges de colère. »

-East Side Gallery –
Juste après la chute du mur, une association milite dans le but de préserver les parcelles restantes. Ce mur qui fait parti de l’histoire des Berlinois doit d’être en parti conservé. En 1990, la Britannique Christine McLean invite plusieurs peintres à recouvrir une portion de mur de 1.3 km encore debout. Le lieu est baptisé East Side Gallery, dédié à la peinture sur le mur de Berlin. L’inspiration des peintres provient principalement de ces années de rupture de la ville berlinoise et cette fracture existante, leur rapport à la liberté est un sujet d’inspiration.
Par exemple l’œuvre de Thomas Klingenstein, Detour to the Japanese Sector décrit un des lieux auquel les Allemands de l’Est ne pouvaient pas accéder lorsque le mur était encore présent. Dans cette fresque, un mur peint est ouvert pour révéler une pagode et le soleil qui se couche au sommet du Mont Fuji au Japon. Ou encore, l’œuvre d’Ines Bayer, Hönemann, où il est écrit en allemand « il reste beaucoup de murs à faire tomber », rappelle qu’il reste encore de nombreux murs à faire tomber dans le monde et que certains tendent à se consolider ou se construire.
Pendant plusieurs années, après l’élaboration de la East Side Gallery, sa structure a été plusieurs fois contestée, certains voulant abattre le mur. Notamment pour des questions immobilières car le terrain où se trouve la East Side Gallery est convoité. Toutefois, la création d’un collectif en 1996, a permis de soutenir le mur, transformé en véritable galerie d’exposition à ciel ouvert. Le Mur de Berlin qui mesurait plus de 160 km se réduit à deux kilomètres, cette petite surface ne permet plus à n’importe qui de peindre. Les fresques sont à présent conservées, restaurées pour certaines par l’artiste en 2010 et pour d’autres, l’application d’un vernis noir facilite l’entretien des fresques lorsqu’il est question de dégradations. Tandis que d’autres morceaux ont été vendus à des prix parfois faramineux. Cette acquisition est devenue un objet de marchandise, signe de la victoire définitive du capitalisme. De l’autre côté du mur, quelques mètres sont disponibles pour des graffitis plus spontanés. Les touristes laissent une trace de leurs passages dans leur langue.

-Le Street Art de nos jours –
Aujourd’hui le Street art s’est démocratisé à travers toute l’Allemagne et s’étend dans une quantité de lieux. Festivals, animations, squats, il y en a pour tous les goûts. Le graffiti est délaissé peu à peu et les façades et les transports publics sont rapidement repeints par les services publics de la ville. Même si toutefois à Berlin, on note que l’espace urbain est saturé de graffitis, en raison du manque de budget conséquent de la ville pour rénover les dégradations.
Lorsque l’on se balade dans les rues berlinoises, une quantité d’œuvres d’arts s’offrent à nous. De nombreux artistes sont venus s’installer dans cette ville, refuge artistique et accessible pour de nombreux artistes émergents. On retrouve fréquemment les œuvres de l’artiste El Bocho, qui met en scène avec humour plusieurs personnages sous formes de grandes affiches collées.
L’artiste Vermibus est aussi présent dans de nombreux quartiers berlinois. Il se procure en pleine nuit des affiches publicitaires et les retravaille avec du dissolvant en studio, de manière à recréer un flou sur l’identité des marques et des modèles. On a plus affaire à un slogan publicitaire mais à un personnage flou, délavé et mystérieux.
L’artiste Alias parcoure depuis des années les rues berlinoises. Il réalise des pochoirs d’enfants ou d’adolescents qui semblent mal dans leur peau qu’il colle ensuite aux murs de la ville.
Néanmoins, l’art urbain s’institutionnalise et s’immisce dans les galeries d’art et les musées en raison d’une demande conséquente du public et d’une popularité croissante. La galerie Open Walls par exemple à Berlin met en vente des œuvres des artistes d’Alias ou Vermibus. Mais ces œuvres exposées sont créés dans des conditions qui permettent l’exposition en galerie ou chez un particulier. Il faut prendre en compte le travail extérieur, l’œuvre temporaire Street art qui s’invite dans la rue et le travail mis en vente, conçu pour un cadre privé et intérieur. Le Museum of Urban Contemporary Art à Berlin, ouvert depuis le 16 septembre 2017 a compris les enjeux culturels du Street Art, en dévoilant à la fois à l’intérieur de ses locaux, des œuvres appropriées et à l’extérieur, des œuvres temporaires et non définitives.
Je vous invite à vous rendre en Allemagne, et observer par vous-même l’environnement qui vous entoure. En particulier à Berlin, où l’art se traduit sous diverses formes et de manière omniprésente. La réflexion doit se tourner à présent sur la sauvegarde de ce patrimoine fragile et éphémère. Car la ville mute, les besoins changent et l’art peut être rapidement délaissé.
Article écrit par Laëtitia Raawan.
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