La sculpture spirituelle de Régis Pochelu

Dans la commune de Mendionde, à côté d’Hasparren, plus exactement au château de Garroa, dans le Labourd en Pays Basque, se situe l’atelier de Régis Pochelu.

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Dans un site classé ancien et préservé, la position géographique permet d’embrasser au premier coup d’œil la succession d’œuvres monumentales qui ponctuent le chemin situé entre le parking et l’atelier proprement dit. Une émotion, un appel, une curiosité, submergent instantanément celui qui se trouve au contact de ces œuvres, disposées en pleine nature et en plein air. Comme le Petit Poucet, le visiteur suit les (grands) cailloux et arrive sur la zone de travail de l’artiste (voir photo ci-dessus). Meuleuses, burins, escabeaux, masques, se côtoient pour le plus grand bonheur de la pierre qui se verra magnifiée au sortir des mains de l’artiste.

Régis Pochelu (étymologiquement et historiquement, Pochelu représenterait « le passage… a gué ») a répondu à l’appel impératif de l’art il y a maintenant une quinzaine d’années, alors qu’il exerçait dans un domaine en relation avec le social. Cette « aspiration » dans ce nouveau monde, à la fois quête et recherche de compréhension, s’est faite comme une évidence au niveau spirituel. Et cela se retrouve dans les œuvres et la démarche de l’artiste.

Il avoue lui-même qu’il a dû réintégrer une partie de son enfance, de sa création, de l’espace créatif. Jean Dubuffet lui-même, peintre, sculpteur, plasticien, explique que le processus de mise en place du cognitif de l’enfant se fait très jeune. Il a fallu à l’artiste replonger dans cet espace, à l’aube de la vie ; chercher à trouver ou « retrouver » le bout d’enfant qui lui manquait. Il l’a compris plus tard… Ce peut être le cas lorsque l’on est confronté à l’évidence d’une sensation déjà ressentie et qui émerge brutalement avec la vivacité de ces souvenirs qui jaillissent d’on ne sait où, mais qui font tellement sens !

Le sculpteur cite volontiers le livre de Marija Gimbutas, archéologue préhistorienne, Le langage de la Déesse, qui fut et demeure son livre de référence privilégié. Cette passionnée a su élaborer un glossaire fondamental des motifs picturaux, clefs de la mythologie de la période néolithique des peuples de la « Vieille Europe » (7000 – 3500 av. notre ère). Mais, de plus, elle définit sur la base de l’interprétation de ces signes et symboles, les principaux thèmes et courants d’une religion vénérant tant l’Univers – corps vivant d’une Déesse-Mère-Créatrice – que tout ce qui est en lui, participe de sa divinité.

« J’ai voulu comprendre l’Histoire, avec un grand « H », qui correspond à mes racines basques. Plus je recule dans le temps, plus ça me passionne ! Et plus je touche à l’Universel ! J’ai rencontré la symbolique en reculant dans le temps. Pour rappel, à l’origine, les symboles qui m’ont interpellé étaient sur les linteaux et les stèles discoïdales ; c’est la lecture de symboles qui permettait de faire le partage générationnel , avec cette volonté de choix du discours à adapter. Chez les Basques (langue orale à l’origine), il y a la valeur de la parole donnée : hitza hitz. »

Pour l’artiste, cette valeur de transmission est essentielle. Dans les symboles, il y a une ouverture vers la vérité. « C’est ce qui m’a fasciné dans ce monde !  Une définition du symbole que je trouve magnifique : le signe est une forme représentée, gravée, mimée, etc. faite pour parler à un maximum de gens, alors que le symbole est fait pour parler à chacun d’entre nous. C’est comme cela que je le vois. »

L’art funéraire : un attrait pour des instants d’éternité

L’artiste a un rapport tout particulier avec l’art funéraire. Il considère cet art comme « pur » dans le sens où il vise à exprimer une intériorité. Ses œuvres d’art que sont les cromlechs, les monolithes dressés, les dolmens, édifices protohistoriques, sont des témoignages essentiels et transgénérationnels de l’humanité.

De manière plus récente, la stèle discoïdale a succédé à ces modes d’expression. Pour aborder cet aspect de l’art funéraire, il semble ici nécessaire de revenir sur ce que sont les stèles discoïdales. En voici quelques exemples :

Bien qu’apparaissant dans de nombreuses cultures, elle est tout particulièrement abondante dans le Pays basque. On l’appelle hilarria. Cela vient de hil= mort ; et harri ou arri = pierre. Une stèle discoïdale se compose d’un disque circulaire, surmontant un socle trapézoïdal généralement. On y trouve de nombreux symboles gravés, comme par exemple le Soleil et la Lune qui, dans la mythologie basque, sont deux sœurs, enfants de Mère Nature, Amalur. L’orchestration de ces divers symboles (végétaux, géométriques, etc.) exprime l’endroit où repose une personne (ou une famille) sans forcément d’inscription gravée. Les stèles discoïdales les plus anciennes remontent au IXe siècle.

Régis Pochelu a travaillé sur des espaces de dispersion à Hasparren et Jatxou, et réfléchit actuellement sur un projet à Louhossoa. Le choix du matériau privilégie le grès (pierre locale), dont nos aïeux connaissaient les vertus. Ainsi, Baratza (jardin en basque), situé à Hasparren…

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Baratza : Hasparren

Il est composé d’un cromlech de seize pierres gravées. On y trouve par exemple Mari, la Déesse Mère en Pays Basque. À droite, un stylet de 3m40 de hauteur (le 3 et le 4 ne sont pas anodins : ils font référence au chiffre 7, chiffre de la Déesse-Mère). Aux équinoxes, à midi solaire, un rayon de soleil vient éclairer le centre du cromlech en symbole de régénération. Enfin, un monolithe, à l’est, est présent pour rendre hommage au Soleil, en venant caresser l’aube par sa surface lisse et inclinée. Elle est percée de part en part par un symbole féminin pour aller vers le principe de l’unité et de totalité.

10Quant à celui de Jatxou, l’espace de dispersion est un Tumulus, contenu dans un cercle de 3 m de diamètre, au centre duquel se trouve un amas de galets de la Nive, affluent de l’Adour, rappelant les eaux primordiales. Au-dessus, à 3 m de hauteur, on trouve un cercle de fer de 1,85 m de diamètre (référence au nombre d’or), y apparaît un Labyrinthe ajouré. Le Labyrinthe, c’est l’entrecroisement de chemins. Il amène la personne à regarder vers le ciel, à se rapprocher de Soi. Il conduit à l’intérieur de soi-même, sanctuaire dans lequel siège le plus grand mystère de l’âme humaine.

 

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Le passage entre l’ancien cimetière et la nouvelle partie se fait à travers un passage rappelant la Mandorle (symbole ancestral de la Déesse-Mère, gravée d’entrelacs dans son intérieur (symbole d’éternité). Cet espace d’harmonie se veut un « lieu de méditation et de recueillement » dans le plus profond respect de chacun.

Régis Pochelu travaille actuellement sur un projet pour la commune de Louhossoa. L’espace envisagé parle de nos vies, en tout cas celle des habitants de ce village. Tout comme une pierre sur la montagne, elle se décroche et tombe (le déroulement de la vie). Elle finit par tomber dans l’eau « primordiale« . En y entrant, elle dessine un cercle qui se déploie en ondes symétriques. Le symbole du cercle fait référence à l’esprit. Remuée par les eaux, elle devient galet. Ainsi transformée, elle permettra aux cendres épandues de se disperser en s’écoulant autour d’elle.

Quelques oeuvres choisies

Nuit blanche, 2013
55 x 40 x 7 cm

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Sculpture en pierre blanche de la Rhune (montagne culminant en Labourd au-dessus d’Ascain à 905 mètres). Elle raconte le moment où l’on se couche, on éteint la lumière, et on se retrouve avec Soi. Parfois, des questions sans réponses arrivent. Pour pouvoir enfin s’endormir, on se fabrique une réponse, et la boucle est bouclée. Mais il faut toujours laisser la porte ouverte à la vérité…

Argia, 2013
210 x 100 x 10 cm

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L’oeuvre raconte l’union de deux êtres, joints par la force de leur amour, qui s’exprime par le rayonnement des stries, pièges à ombre, qui orientent le regard vers cette puissance.

8ème province, 2016
110 x 50 x 8 cm

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Créée pour répondre à l’appel d’offre et candidature pour l’événement : San Sebastien, capitale de la culture européenne 2016, l’idée de base est de faire référence à tous les déracinés, mais aussi d’entamer une réflexion sur l’exil. Beaucoup de Basques, peuple voyageur, sont partis, notamment en Amérique du Sud, sans un retour espéré, en tout cas dans cette dimension.

C’est pour cela que la forme globale de cette œuvre est apparentée aux stèles discoïdales. Elle est ici brisée, symbole de cassure. On y voit le Soleil –ekhia– et la Lune –ilhargia-, symbolisant le site perpétuel de la vie. La forme intégrée dans le disque solaire fait référence aux trainières (embarcations qui servaient à la pêche à la baleine). Pour le socle, la forme globale est celle d’une hache plantée dans le sol. Elle fait référence à Ortzi (entité qui fait le temps), le temps qu’il fait et le temps qui passe : on a donc les deux espaces. Tout cela nous rattache à la terre ; c’est pour cela que figure un carré ( symbole primitif de la terre). La 8ème province, c’est donc le reste du monde, avec l’idée d’aller dans l’unité.

Oeuf, 2009
55 x 35 x 25 cm

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L’histoire de cette sculpture raconte la légende de l’empreinte de l’ange. Elle nous apprend que l’enfant à naître connait tous les mystères de la vie. Au moment de la naissance, un ange apparaît et lui pose délicatement un doigt sur la bouche, laissant cette jolie petite marque en creux au-dessus de la lèvre. L’artiste a voulu raconter au monde que l’on sait tout, tout au fond de nous. Pour représenter cela, il a fait appel au fœtus post-natal, avec une position enfantine qui fait vie. Il a un peu l’air de nous narguer et de dire « moi, je sais ! ».

Lumière du monde, 2006
100 x 35 x 35 cm

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L’histoire de cette sculpture : pour voir la lumière, il te faut la chercher. Chacun doit chercher ses propres raisons dans son histoire. L’idée, c’est que si l’on s’unit, on peut tenir et soulever la terre. Il y a une notion d’invulnérabilité. Sur le socle, Régis Pochelu a exprimé des références à des symboles ancestraux, universels, qu’on retrouve notamment dans les grottes : les chevrons (symbole de la Mère primitive).

Sperare, 2017
55 x 50 x 16cm

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La toute dernière création de l’artiste. Il a pris un bloc de pierre, a vu sa beauté et a voulu la mettre à l’honneur. Il fallait donc utiliser le maximum de surface de cette pierre de Cantabrie. Il a d’abord réfléchi sur des croquis, puis est passé au dessin sur la pierre. Il a fallu du temps et des essais pour arriver à trouver l’harmonie du décalage des Centres. On retrouve la symbolique du cercle, l’esprit. Lors de son exécution, sa pensée s’est alors orientée vers ces migrants sur leur embarcation. Ils arrivent parfois à cet espace, « terre promise d’aujourd’hui », qui passe par l’Italie, avec cet espoir : « SPERARE », espérance en italien.

Pour conclure, l’artiste exprime sa pensée : « Je me sens l’outil des gens qui veulent matérialiser ce qu’ils sont. Lorsqu’ils viennent me voir, ils me racontent des choses très intimes. Je crée ainsi quelque chose qui leur parle d’eux-mêmes. Le récit de l’œuvre leur appartient : ils peuvent alors transmettre ce qu’ils souhaitent. Ceci fonctionne aussi pour les lieux…

« Mon plus grand bonheur est de créer des sculptures monumentales, et il y a urgence : je parle ici de finances, de logistique, et de ma santé physique. C’est ce qui me démange. Je ressens une inspiration qui pulse, pas seulement en mon nom ; j’y englobe mes pairs. »

Pour terminer, je citerai Nelson Mandela : « Je ne perds jamais ; soit je gagne, soit j’apprends. »

www.regispochelu.com

contact : regis.pochelu@gmail.com

CV ARTISTIQUE

Expositions collectives (sélection) :

2016 : salon d’Art contemporain à Bordeaux, Pont Alexandre III à Paris
2015 : salon d’Art contemporain à Bordeaux, au P.A.D. à Paris, à Antibes
2014 : salon d’Art contemporain avenue Foch à Paris
2014/13/12 Sentier Sculpturel de Marmau, Hasparren
2013 : nouveau siège de Seaska à Cambo les Bains
Cloitre de Bayonne
2012 : maison Carrée de Nay
2011 : Lego Art à Hendaye
Sentier Sculpturel de Mayronnes (Aude)
2010 : Salle Capitulaire de l’abbatiale du XIIième siècle de Saint-Savin (Hautes-Pyrénées)
2009 : Carmaux (Tarn)
Crypte Sainte Eugénie à Biarritz
2008 : Galerie d’Art Contemporain Villa Bellartea à Anglet
2007 : Biennale d’art contemporain de Garazi – Saint Jean Pied de Port
Villa Ducontenia à Saint-Jean-de-Luz
2006 : Benoîterie de Saint Pierre d’Irube
Benoîterie D’Arbone
2005 : Musée Basque de Bayonne

Expositions personnelles (sélection) :

2014 : invité d’honneur à Morlaas
2013 : Médiathèque Pierre Espil à Hasparren
Musée Georgette Dupouy à Dax
2011 : Grande galerie d’art Molay Al Hassane à Oujda (Maroc)
2010 : Salle La Poudrière à Bayonne
Invité d’honneur à Tarnos

Annexes / performances :

2016 : Conférence sur l’évolution de l’Art funéraire Basque à Larressore, Saint-Jean Pied-de-Port
Formateur des « Raconteurs de Pays »
2013 : Conférence à la Médiathèque de Hasparren sur une lecture d’œuvre en lien avec La Mythologie Basque
2012 : Co-fondateur du sentier sculpturel de Marmau (Hasparren)
2011 : Création du Monument aux Morts de Jatxou
Bas-relief de 15m carré sur falaise de Gafait (Maroc), culture basco-bèrbère
Présentation du film « Empreintes et civilisation au Maroc » aux cinémas d’Hasparren, et Multiplex de Dax
2009 : Conférence, présentation de Baratza, oeuvre dévolu à l’incinération à Hasparren
2007 : Semaine culturelle, l’approche du ronde-bosse sur sable à Hasparren
Linteau du château d’Espelette (récit historique depuis 1059 en symboles)
2006 : Mai des arts plastiques à Saint-Jean-de-Luz sculpture sur la plage
2005 : Conférence sur « l’évolution de l’art funéraire » à Bayonne

Article écrit par Isabelle Aguirre

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