
The Diamond ring a été réalisée entre 1971 et 1972 par l’artiste d’origine islandaise Gudmundur Gudmundsson, dit Erró. Petit focus sur cette œuvre exposée au Musée des Beaux-Arts de Pau.
L’objet du titre, et donc ce que l’on suppose le sujet du tableau, à savoir l’anneau de diamant, se trouve en haut à droite du tableau. Cependant, du fait de la composition agitée du tableau, la compréhension de ce dernier n’est pas immédiatement visible au premier regard. Différentes scènes sont superposées sur le même plan dans un espace spatial très resserré qui est ouvert sur un fragment de paysage par des arcatures et damé de carreaux. Au niveau du plan le plus avancé, est représentée une scène pseudo érotique qui créé des liens formels et symboliques avec les corps nus des femmes, des animaux tels que le serpent, l’âne et la murène, mais aussi d’objets comme la bouilloire fumante à l’extrême gauche du tableau. Le second plan est quant à lui moins chargé et est divisé en deux par une diagonale de trois socles. On peut y voir un homme de dos, le corps coupé à mi-cuisse, recevant sur la tête un liquide doré s’apparentant à du métal en fusion. Enfin, au tout dernier plan des bras mécaniques tenant des tuyaux font le lien entre l’intérieur et le paysage de montagnes à l’extérieur. Malgré des formes distinctes et une certaine symétrie dans la composition, l’instabilité règne dans cette œuvre. Il n’y a pas véritablement de sens de lecture, le regard du spectateur va partout et ne sait pas où se fixer. Ce qui a alors tendance à en compliquer son interprétation.
Le travail de l’artiste
Pour comprendre plus aisément cette œuvre, il est essentiel de connaître le mode de fonctionnement de l’artiste. C’est pourquoi avant d’entrer dans une interprétation de The Diamond ring , il semble important de décrire les différentes étapes du travail d’Erró. Tout d’abord, le voyage a toujours été un élément constitutif de la créativité d’Erró, qui adopte ainsi une perspective mondiale de son art. Cela fait des dizaines d’années que ces divers déplacements lui permettent de renouveler son travail et ses thèmes car, à chaque fois, il collecte des centaines voire des milliers de sources diverses pour les ajouter à sa banque d’images. L’artiste va chercher partout ce qui lui permet de compléter sa collection. Mais les images qui apparaissent le plus sont celles issues de la Bande Dessinée, du cinéma et des affiches de propagande. Ce processus de collecte est un travail de longue haleine, qui s’étire dans le temps et qui demande beaucoup d’attention et d’implication. Il y a quelque chose comme une forme d’obsession dans cette attitude de collection et de classement systématique par thèmes et par registres. Par le recensement de visuels qui font notre contemporanéité, nous pouvons dire qu’Erró projette sa vision de la société à travers des compositions qui apparaissent comme des petites saynètes. Il les réalise d’abord avec la technique du collage qui est chère aux dadaïstes et surréalistes. A la manière de ses prédécesseurs, l’artiste dit les composer dans un premier temps de façon hasardeuse en parcourant machinalement ses tiroirs afin d’y trouver l’inspiration. Lorsque l’artiste est lancé sur une série peinte, ses collages servent de modèles aux peintures. Mais il ne faut pas croire qu’il les considère comme de simples esquisses. Bien au contraire, ces productions sont considérées comme des œuvres à part entière ce qui leur confère donc une double nature : modèle et projet achevé. Toutefois, lorsque Erró projette ses collages pour les passer en plus grands formats, il ne suit pas forcément les premières lignes et laisse libre cours une fois de plus à l’automatisme.
«IL N’EST PAS QUESTION DE COPIER TOUT SIMPLEMENT LE COLLAGE PRÉPARATOIRE, LE PROJET SE TRANSFORME AU FUR ET À MESURE QUE JE LE TRANSPOSE SUR LA TOILE. C’EST LA MAIN QUI CONTRÔLE TOUT.» ERRÓ
L’une des caractéristiques principales du collage, c’est l’hétérogénéité des différents éléments qui le composent. Le fait de redessiner sur la toile permet d’unifier l’ensemble et c’est également ce qui rend la marque de l’artiste franco-islandais : un ensemble d’éléments composites, accumulés certes, mais dans un ensemble unifié. Cette méthode de travail, qui consiste à collecter et classer les images, amène l’artiste à travailler par séries. Le travail en série apparaît alors comme une façon d’épuiser un thème formel jusqu’à son extrême. Si l’on prend l’ensemble de la production artistique d’Erró, il semble peu probable que The Diamond ring fasse partie d’une série. Mais lorsqu’on le replace dans la carrière de l’artiste, nous pouvons observer de possibles parallèles.


Dans les American Interior de la fin des années 1960, nous retrouvons la juxtaposition brutale, sans nuance des différents plans que nous avions évoquée dans la description du Diamond Ring. Nous retrouvons également l’absence de justesse dans les proportions une série plus ou moins contemporaine à The Diamond ring : la série Made in Japan. Les œuvres de cette série sont beaucoup moins chargées que The Diamond ring, et sont principalement basées sur la contradiction de deux éléments qui sont un paysage et/ou un contexte de guerre et une scène érotique.
The Diamond ring ne fonctionne pas par contradiction et antagonisme mais plus avec des liaisons et des affinités entre les éléments constitutifs : la panthère et l’anneau, la murène se rapprochant des jambes écartées de la femme ou encore le crustacé et le homard. Tout cela rentre bien évidemment dans le thème de la sexualité et de l’érotisme. Mais, contrairement aux Made in Japan où l’on voit un érotisme ouvertement dévoilé, cet érotisme-là est seulement fortement suggéré par des images symboliques. C’est pourquoi, il peut être intéressant de rapprocher The Diamond ring d’une série intitulée les Scapes, que l’on peut ici traduire par « paysages ». Ce sont des tableaux construits avec ce qui semble être une infinie variation d’éléments picturaux portant le même sujet. Donc les Scapes peuvent ne pas être considérés comme des séries en soi puisqu’à chaque fois c’est un thème différent qui est développé. Mais la particularité de cette série c’est que, contrairement aux autres qui se produisent finalement sur une période assez courte comme un ou deux ans grand maximum, cette dernière s’étale sur toute la carrière de l’artiste, jusqu’à aujourd’hui. C’est ce terme « scape » qui les unit les uns aux autres. En réalité ce mot n’existe pas dans la langue anglaise mais se trouve être un jeu de mot avec « landscape », « le paysage », sujet classique en peinture. Ajouter le thème comme préfixe à chaque « scape » amène à considérer ces accumulations d’images semblables comme un paysage dérivé de son sens initial. Certes, The Diamond ring ne comporte pas le suffixe « scape » mais, on distingue très bien la répétition d’un même motif qui est celui du corps féminin fortement érotisé, de la symbolisation de la femme comme objet de désir.

C’est exactement cette sexualité animale que l’on retrouve dans Lovescape de 1973 conservé à la Galerie Godula Buchholz de Munich. Fidèle au concept des scape, le tableau est surchargé de corps de femmes et d’animaux qui s’adonnent à des occupations proches de la zoophilie. Là, l’animal ne joue plus avec la proximité du corps mais se trouve dans et à travers le corps. Nous retrouvons également dans ce tableau le même paysage montagneux de fond, mais l’espace est cette fois-ci plus ouvert qu’en 1971. Il serait donc possible de considérer que The Diamond ring puisse faire partie d’un processus de traitement du thème de la sexualité sauvage, bestiale, dont l’aboutissement pourrait être Lovescape.
Si il est assez évident de percevoir le thème de la sexualité dans The Diamond ring , il reste dans le langage d’Erró quelque chose que les spécialistes appellent « l’opacité de l’évidence ». Cela signifie que même si le spectateur pense percevoir au premier coup d’œil le sens de l’œuvre, lorsqu’il y parvient, les distorsions visuelles et l’énergie associatives des productions le perturbent dans un second temps et provoquent instantanément un choc visuel.
Deux interprétations possible
La première interprétation est celle d’une critique monde moderne par l’allégorie. Ainsi, Erró nous livre avec la profusion des images un enchevêtrement de situations caricaturales, voire surréalistes et mêle sur un même tableau les ingrédients de notre histoire contemporaine. Et mise à part les rapports de force représentés par la guerre, quoi de plus présent dans cette société que le sexe ? De par le titre, Erró va même plus loin que l’érotisme, l’anneau symbolisant dans un sens la vanité. Mais celle-ci reste encore un défaut commun à tous alors que dans cette production, ce sont clairement les femmes qui sont mises en avant. C’est pourquoi, il est possible d’interpréter ce tableau comme une allégorie de la luxure, l’un des sept péchés capitaux énoncés par l’Église catholique. Nous retrouvons d’ailleurs des symboles récurrents, comme le serpent, à la gueule grande ouverte signifiant clairement le vagin de la femme devant laquelle il est placé. Pour l’Église catholique il existe différentes formes de luxure, dont la bestialité que l’on retrouve ici, l’adultère et la fornication, c’est-à-dire un rapport sexuel en dehors du mariage. Tous ces éléments se trouvent suggérés dans ce tableau. D’autant plus que le seul homme représenté est habillé et se fait brûler par un récipient contenant du métal en fusion. Ce contenant de métal en fusion se trouve exactement sur la même ligne que l’anneau et sont mêmes reliés physiquement par les moulures des colonnes. Donc, sous la première vision érotique et sensuelle du tableau, se trouve un sens plus angoissant.

Lorsque l’on prend en compte la composition du tableau, et lorsque l’on sait qu’Erró au début de sa carrière a été selon ses propres mots obsédés par l’Oeuvre de Jérôme Bosch, il est possible que The Diamond ring fasse référence à l’une des œuvres les plus connues de l’artiste allemand, à savoir Le Jardin des délices. En effet, l’œuvre générale de Jérôme Bosch se caractérise par un monde onirique et cauchemardesque dans lequel les formes semblent se modifier sous les yeux du spectateur. Interprété par les spécialistes du XXe siècle comme la représentation d’un âge d’or, le panneau central d’un triptyque représentant le Paradis et l’Enfer est désormais vu comme la symbolisation des péchés de la chair, ce qui donne un propos hautement moralisant de l’œuvre. Quelques siècles plus tard, Erró ne voit pas en ce triptyque le message moralisateur mais l’intérêt de la complexité de la composition de l’image. Le jardin des délices n’est pas la seule référence à laquelle fait allusion l’artiste. En effet, la perspective fortement accentuée de la scène, située dans un espace protégée par des arcatures fait référence aux artistes de la Renaissance et de leur obsession pour la justesse de l’espace.

Au centre d’un cercle bleu, une poupée est posée sur un socle. Cette poupée n’est pas sans rappeler les productions de Pablo Picasso à une certaine époque. Lorsqu’on regarde l’ensemble de son travail, nous remarquons qu’Erró a fait un grand nombre de fois référence à des figures reconnues en histoire de l’art.
En conclusion, l’œuvre The Diamond ring , du fait de sa composition par assemblages d’éléments divers sur un même thème, et de par ce thème justement, revêt une pluralité de significations dont nous avons abordé aujourd’hui une partie. La pluralité des signes dans un agencement complexe donne une pluralité de sens qui rend la lecture d’une narration difficile puisque très référencée. D’un autre côté, cela permet aux spectateurs et spectatrices une certaine liberté d’interprétation.
Article écrit par Amélie PASCUTTO