
Dans le cadre du cycle de conférences organisé à l’auditorium du Louvre autour de l’exposition « François 1er et l’art des Pays-Bas » , Mickaël Szanto, maître de conférences à Paris-Sorbonne, spécialiste de la peinture française du XVIIe siècle (co-commissaire de l’exposition « Poussin et Dieu » en 2015), proposait jeudi 7 décembre une conférence sur la présence des peintres nordiques en France au XVIIe siècle, et la damnatio memoriae dont ils ont fait l’objet dès la deuxième moitié du même siècle.

L’art français s’est construit avec l’Italie pour modèle : Simon Vouet est à Rome de 1610 à 1627, devient prince de l’Accademia, et est considéré comme l’introducteur du bon goût en France ; Poussin est celui qui va fonder une identité française qui repose sur le modèle italien. Pour ce qui est des peintres flamands, Rubens réalise le cycle du Luxembourg de 1621 à 1623 pour Marie de Médicis, marquant son empreinte au cœur de Paris (pour rappel, l’exposition Rubens, Portraits princiers au musée du Luxembourg se termine le 18 janvier 2018). Philippe de Champaigne arrive en France en 1620 et va travailler pour les personnages les plus importants de l’Etat. Ces deux noms sont la face émergée d’une présence nordique très importante à Paris. Ils n’auront de cesse de revendiquer la noblesse de l’art de la peinture.

Une volonté politique mise en place à la fin du XVIIe siècle entendait effacer ce passé lié au nord. Louis XIV va vouloir mettre au point une politique culturelle bien définie. Dès 1662, il acquiert la collection Jabach pour créer une collection royale. Il sollicite Le Brun pour organiser une série de conférences pour réfléchir sur les sources du beau. On définit alors une esthétique qui s’appuie sur Raphaël, Titien, Véronèse (italiens) et Poussin (qui porte les valeurs de l’italianité). Cette conception de la beauté exclut l’apport du nord. Colbert demande à Félibien de rédiger une histoire de la peinture. Dans ces cinq volumes, il néglige l’art du nord.
Les historiens de l’art ont toujours été frappés par le peu de peintres présents à Paris au début du XVIIe siècle (une vingtaine). Or le marché de l’art y est très actif. En fait, le marché de l’art est contrôlé depuis Anvers par les peintres et marchands anversois. La Foire de Saint-Germain-des-Prés, en février-mars, s’impose comme le haut lieu du marché de l’art. Tous les ans, les marchands anversois y proposaient toutes sortes d’objets d’art, et notamment des peintures de grande qualité. On pouvait trouver des paysages de Brueghel de velours, des scènes mythologiques et natures mortes de Brueghel le Jeune, Frans Snyders, des peintures caravagesques d’Adam de Coster, des scènes de genre de David Teniers, des peintures représentant des cabinets de curiosités par Frans Francken… Dans un document de 1627, on sait que les marchands flamands étaient accompagnés de jeunes peintres prometteurs, dont Jan Cossiers, qui a pu avoir une influence sur Claude Vignon, et Jacob van Es. On a tendance à oublier cette présence des marchands flamands à Paris.

Les marchands flamands veulent aussi distribuer leurs marchandises dans toute la France et vont organiser des « blanques », loteries d’œuvres d’art et d’objets de luxe. Les participants achetaient un billet, tiraient au sort et pouvaient gagner une œuvre. Les jeux de hasard ne sont autorisés que dans le cadre des foires, mais les marchands flamands vont obtenir l’autorisation d’organiser des loteries partout en France. Dans une blanque organisée à Nantes en 1636, 433 lots sont proposés : des cabinets d’ébène, des vases d’argent, des tableaux… À Toulouse en 1615, il y a 160 peintures, qui vont donc pouvoir être diffusées dans toute la région. Le tableau le plus cher est une Allégorie des quatre éléments par Louis Finson, peinte en Italie en 1611 (aujourd’hui en collection privée), estimée 1000 livres à la loterie. Il y a également un Caravage à seulement 300 livres. Mickaël Szanto rappelle qu’un Caravage, dont l’attribution est discutée, a été retrouvé à Toulouse en 2014 (voir l’article publié dans Le Monde)…

La situation change au tournant des années 1620-1630 : une vague de peintres flamands va vouloir s’installer à Paris car ils sont confrontés à une plus grande concurrence. Il y a de plus en plus de peintres à Paris : Vouet, Blanchard, Perrier… Trente-quarante artistes flamands s’installent, généralement dans le faubourg de Saint-Germain-des-Prés. Frans Pourbus, auréolé dans toute l’Europe, est sollicité par Marie de Médicis. Il s’installe au faubourg Saint-Germain. Bénéficiant pourtant du titre de peintre ordinaire de la reine, les jurés vont lui imposer de s’inscrire à la corporation des peintres, et l’obligent finalement à quitter le quartier.

Willem Kalf va rester plusieurs années et va marquer les esprits. Il peint aussi de petites scènes de genre, ce qui permet de comprendre le développement de la scène de genre à Paris. D’autres artistes s’installent durablement : Pierre van Boucle, Jean-Michel Picart, qui ouvre une boutique dans un des deux pavillons du Pont-Neuf, Pieter van Mol, grand peintre d’histoire, d’esprit rubénien, Juste d’Egmont, qui avait une place centrale dans la communauté des artistes (c’est chez lui qu’ont eu lieu les premières réunions visant à établir l’Académie de peinture et de sculpture), Jacques Fouquières, peintre de paysages, très recherché au XVIIe siècle. Le tableau le plus cher de l’inventaire après décès du cardinal de Richelieu en 1643 était un Fouquières. Les Le Nain vont capter une section du marché qui n’avait pas intéressé les artistes français. Tous ces peintres, y compris les Le Nain, vont être excommuniés de l’histoire de l’art français, et leur redécouverte n’est que très récente (et toujours en cours).
