
En ce moment, le musée du Quai Branly – Jacques Chirac vous propose quelques expositions aux thématiques diverses et variées. Aujourd’hui, petit focus de l’autre côté de l’Atlantique avec la mise en lumières de populations antérieures aux Incas.
L’exposition « Le Pérou avant les Incas » (jusqu’au 1er avril 2018) a été réalisée par un archéologue directeur des fouilles de Huaca de la Luna, Santiago Uceda, mais qui est aussi directeur du musée Huacas de Moche au Pérou. Le parcours de l’exposition est clair et divisé en cinq parties. Le choix des œuvres aide à la compréhension sans l’alourdir. Des civilisations souvent oubliées sont remises sur le devant de la scène, à leur juste valeur. Un accent est mis sur la notion de pouvoir qui permet d’avoir une idée de la manière dont ces sociétés fonctionnaient réellement. L’imaginaire européen actuel est bercé par les contes et légendes de l’El Dorado et c’est avec ces a priori que l’on rentre dans ces quelques salles et que l’on découvre ces œuvres. Il faut donc que le propos exprimé puisse aider à réprimer ces idées préconçues pour que la science et l’histoire l’emportent.
Un espace géographique, des vies
Une première section est centrée sur l’environnement pour découvrir les nombreux climats et les espèces végétales cultivées. En effet, ce qui entoure ces hommes est leur première source d’inspiration pour la création d’objets, notamment la céramique sous les Mochica. La faune et la flore sont sollicitées en tant que motifs mais aussi pour la forme. Cela peut tout aussi bien être la faune marine que les mammifères terrestres ou les oiseaux.
D’ailleurs, beaucoup d’oiseaux sont représentés sur les bouteilles à anse-goulot en étrier. Il peut autant s’agir de cormoran que de colibri ou de balbuzard pêcheur. Ce denier est le plus présent au niveau iconographique car il a été divinisé.
Une architecture complexe et symbolique
La seconde partie est consacrée à l’architecture et permet une transition entre l’environnement dans lequel elle s’établit et la notion de pouvoir. La construction est visible de tous, autant le riverain que le voyageur de passage, et symbolise alors toute l’importance et la force de son propriétaire. La vision de ce à quoi pouvait ressembler le milieu dans lequel ces populations vivaient se dessine de plus en plus dans l’esprit du visiteur. Il y a des maquettes ainsi que des vidéos pour mieux comprendre les techniques.
Les temples et palais sont alors mis en avant. Un focus est réalisé sur l’ancien temple de Huaca de la Luna, spécialité du commissaire de cette exposition, et sur comment on peut prouver les sacrifices humains autant par les décors architecturaux que par les fouilles archéologiques qui ont permis la découverte de restes humains. Mais ces sacrifices n’étaient pas nombreux. A raison de deux ou trois par an, ils étaient peut-être réalisés pour la fête des morts ou lors des semences agricoles. Après un défilé public, les prisonniers étaient sacrifiés à l’abri des regards et seules ressortaient les coupes remplies de leur sang qui servaient aux divers rituels.
Cependant, la tombe reste aussi une architecture du pouvoir qui est souvent oubliée. Nombreuses, elles sont la cible des pilleurs car renferment une multitudes de trésors que leurs occupants ont voulu garder auprès d’eux. Ce sont parfois des mini-complexes architecturaux et permettent de comprendre la manière dont les objets étaient traités mais parfois aussi leur utilisation et leur valeur.
Des croyances aux divinités multiples
C’est de manière quasi naturelle que la troisième partie traite des divinités. C’est donc après avoir vu leurs maisons terrestres que l’exposition en présente certaines. Elles sont nombreuses et des variantes sont possibles selon les populations.
La première divinité de la société Cupinisque est un homme aux traits de félin. Il perdure jusqu’aux Incas mais sous diverses formes.
Le panthéon se complexifie avec les Moche. Ils reprennent les dieux des sociétés antérieures et en rajoutent d’autres. Il y a par exemple la divinité de la montagne qui est solaire, la divinité marine qui représente le monde souterrain et celle ancestrale qui est représentée sous les traits d’un homme âgé qui fait le lien entre les hommes et les dieux.
Les animaux choisis pour représenter les divinités ont la plupart du temps la caractéristique de savoir chasser et d’égorger leurs proies. On retrouve donc des félins mais aussi des rapaces comme le hibou.
Un pouvoir terrestre
À la suite du côté légendaire, le côté terrestre. Le pouvoir est visible par les forces armées car ces populations sont belliqueuses et les guerres sont nombreuses pour avoir des prisonniers qui étaient sacrifiés. Leur place était importante dans les rituels car, après les avoir sacrifiés, leur sang était recueilli pour être versé dans les champs afin de les fertiliser.

On peut voir l’importance et la richesse du roi par les tombes. En effet, ce sont souvent des tombes de seigneurs qui nous sont parvenues plus ou moins intactes. Une vitrine est donc dédiée au célèbre seigneur de Sipán dont la tombe a été découverte en 1987. Ce mochica a emporté avec lui de nombreux choses comme du mobilier, des parures et des objets illustrant son pouvoir lors de sa vie. Les matériaux utilisés pour leur réalisation sont précieux et l’or, autant que l’argent, a une place importante. Ce sont ces genres de découvertes qui ont nourri l’imaginaire des occidentaux. Un environnement pas trop connu et des trésors à foison lorsque des fouilles sont bien menées.
La femme au coeur du pouvoir

C’est cependant la dernière partie de l’exposition qui est la plus importante d’un point de vue actuel et sociétal. Quelques vitrines sont consacrées au pouvoir exercé par les femmes dans ces civilisations ante Incas. Pour le commissaire Santiago Uceda, c’est la partie féministe et il est très fier de pouvoir la présenter au sein d’une telle exposition.
Ces femmes exerçaient un pouvoir aussi bien politique que religieux. Des recherches ont démontré que, sur la côte nord du Pérou, certaines devaient avoir un rôle important dans leur gouvernement. Cela a du être le cas de la dame de Cao Viejo qui a été mise au jour en 2004. Dans son paquet funéraire, étaient notamment présents des couronnes, sceptres et masses. Ce sont des objets ayant un rapport direct au pouvoir politique mais qui sont originellement masculins.
Mais plus nombreuses sont les prêtresses. Un mobilier composé d’objets en céramique pouvait les accompagner en plus des éléments en métaux précieux. La tombe de la prêtresse de Chornancap de la société Lambayeque est prise en exemple.
C’est donc une exposition complète et didactique que nous propose le musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Le professionnalisme de Santiago Uceda se retrouve dans chaque recoin. Spécialiste de la côte nord du Pérou et plus précisément de l’architecture et des formes du pouvoir, il arrive à mettre ces thématiques en scène avec les moyens français. C’est une exposition claire qui est ouverte à tous, initié aux arts précolombiens ou non, car les uns se satisferont des pièces exceptionnelles qui sont exposées et les autres découvriront des cultures trop peu mises en lumière lorsque le Pérou archéologique est abordé.