
Henri Rouart est un artiste-peintre né à Paris en 1833. Il effectue un parcours scolaire plutôt classique, et fait la rencontre d’Edgar Degas lorsqu’il est élève au lycée Louis-le-Grand. Il va ensuite se diriger vers le monde des inventions et des nouvelles techniques en intégrant l’École polytechnique. Parmi les inventions qui lui sont attribuées se trouvent les « pneumatiques », des boîtes cylindriques servant à distribuer le courrier au moyen d’air comprimé pour les propulser dans un réseau de tuyauteries. Durant la guerre de 1870, il va intégrer l’armée en tant que capitaine d’artillerie. C’est lors du Siège de Paris qu’il va retrouver son ami Edgar Degas et qu’il va commencer à se pencher sur sa passion pour la peinture.

Le peintre Henri Rouart
Ancien élève de Millet et Corot, il s’insère dans le courant des impressionnistes et va commencer à exposer pour ces derniers dès 1868 et ne ratera qu’une exposition sur les huit proposées par le groupe. C’est aussi un grand collectionneur et mécène de Delacroix, Degas, Millet, Corot, Coubet ou Toulouse-Lautrec entre autres. Il a permis la mise en place de trois des expositions par une participation financière.
Durant la fin de sa vie, côté professionnel, Henri Rouart a également été maire de La Queue-en-Brie, dans le Val-et-Marne, fonction qu’il a exercée entre 1891 et 1912, année de sa mort. Il a été inhumé au cimetière du Père Lachaise. Sa collection a été vendue par sa famille lors de sa disparition, rapportant une somme très importante. Dès lors, les toiles impressionnistes ont vu leur valeur marchande augmenter de manière drastique.
L’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui, la Joueuse de mandoline, a été produite dans les dernières années de vie de Henri Rouart et va nous poser quelques questions sur la peinture que produisait l’artiste de son vivant mais aussi sur le modèle féminin lié aux arts lyriques. Il semblerait que ses descendants aient également été des peintres reconnus de leur vivant donc nous analyserons quelques productions d’Ernest et Augustin Rouart pour voir si ces derniers ont gardé le style de leur ancêtre ou bien s’ils se sont tournés vers un autre type d’expression.
La Joueuse de mandoline : une ouverture sur les peintures de Rouart
Henri Rouart a été un peintre caractérisé notamment par la mise en place de ses scènes de paysages. Il n’a que très rarement réalisé des toiles avec des personnes, la plupart du temps des femmes qu’il mettait en scène dans un décor fourmillant de détails. Henri Rouart excellait particulièrement dans ses créations florales.

Sur la Joueuse de mandoline (seconde moitié du XIXe siècle), une peinture à l’huile acquise par le musée des Beaux arts de Pau en 1907, un vase imposant aux reflets bleus nous expose un bouquet impressionnant composé de grandes fleurs blanches et rouges. Les feuilles en vert sombre sont parfois difficilement visibles à cause du rideau qui sert d’arrière-plan. Tout un travail est apporté aux pétales par des aplats de peintures ainsi que des ombrages. L’attention qu’il porte aux fleurs se retrouve aussi dans Massif de fleurs, une huile sur toile de moyen format, bien que les détails ne soient pas aussi prononcés que sur la Joueuse de mandoline. En effet, les traits qui apparaissent révèlent une technique de pinceau différente, davantage portée sur la précision que la spontanéité de Massif de fleurs.

L’arrière-plan ainsi que la literie nous montrent un grand soin apporté à des éléments servant de support à la scène. Ce même intérêt pour le moindre élément se retrouve dans bon nombre des paysages d’Henri Rouart. En premier, nous pouvons voir le talent du peintre dans l’environnement avec Les arbres, La Queue-en-Brie, une huile sur toile qui expose en premier plan un pré ensoleillé, élément visible par un changement de couleur au niveau de l’herbe tandis que les arbres, centraux selon le titre de la toile, se dessinent dans un espace séparant le ciel du champ.

Les feuilles sont cette fois-ci bien différenciées de l’arrière-plan par un changement dans la palette, point qui n’est pas d’actualité dans la Joueuse de mandoline. Les troncs bien identifiables Des arbres, La Queue-en-Brie restent suffisamment uniques pour que n’importe qui puisse compter ces derniers. Cette identification peut aussi se retrouver dans les draps, la peau de tigre ainsi que la couverture carrelée.
Au niveau de la palette, Henri Rouart nous offre une grande diversité de couleurs partant de tons les plus clairs et chatoyants comme dans de multiples toiles de paysages : par exemple La Terrasse au bord de la Seine à Melun, toile peinte dans une période proche de 1874. La clarté est aussi présente dans Une Allée à La Queue-en-Brie illustrant un moment de sérénité. A contrario, Henri Rouart peut très bien dépeindre des paysages ou des scènes avec des tons très sombres comme La Seine aux environs de Rouen.

La Joueuse de mandoline est un cas qui lie les deux palettes d‘une façon qui vient renforcer l’importance de la jeune femme et des fleurs qui servent d’éléments centraux à l’œuvre.
Henri Rouart maîtrise aussi le dernier aspect qui nous intéresse dans cette peinture, la femme. Ce n’est pas la première qu’il a représentée. Certaines de loin comme dans le Chemin au Mée, Melun, portant un bébé et se reposant à l’ombre des arbres. La deuxième est visible sur la Jeune femme au jardin qui nous montre une peau bien plus rose que celle figurant sur La Joueuse de mandoline. La femme est un élément assez récurrent dans les toiles, notamment comme nous allons le voir, en compagnie d’instruments de musique.
La femme et les arts : un élément récurrent en peinture?
Le monde des arts a souvent été représenté sur des toiles de divers artistes comme Le Joueur de luth, œuvre de Laurent Fauchier qui est localisée au musée des Beaux arts de Pau en est un bon exemple. Ce tableau nous offre un protagoniste masculin jouant d’un instrument à corde assez répandu au XVIIe siècle. Mais une autre vision, enjolivée par une présence féminine, n’est pas rare non plus. En effet, en plus de multiples portraits de bustes de femmes comme le Portrait de Louise Boulé de la Balmondière, réalisé par Jeanne Marie de la Balmondière durant le XVIIIe siècle, les artistes les ont également représentées s’adonnant aux arts littéraires et musicaux comme notre chère Joueuse de mandoline mais cette dernière n’est point la seule. Si nous prenons une autre des toiles peintes par Madame de Balmondière, cette dernière a produit Portrait de M. Philiberte de Balmondière en 1786.
A noter, bien que la femme du tableau porte dans ses mains un instrument à cordes, ni la pratique musicale ni le nom de l’objet ne sont indiqués, ne laissant aucun doute ici sur l’utilisation décorative de l’instrument. Sur la toile d’Henri Rouart, la Joueuse de mandoline est la protagoniste. L’artiste veut nous montrer que la jeune femme est active et qu’elle maîtrise cette pratique musicale. Mais des tableaux qui illustrent une scène en lien avec la musique sans pour autant en être centrés sur l’art musical en soit sont aussi nombreux. En effet, Le Concert improvisé de Louis Léopold Boilly nous transporte dans une atmosphère romantique entre la jeune harpiste, habillée de blanc, et son prétendant ou amant qui la regarde. La demoiselle est mise en avant par la lumière d’une fenêtre. Les deux tourtereaux ne sont pas les seuls personnages de la scène comme le montrent les visages en arrière-plan qui sont assombris par la pénombre.

Cette mise en relief clair–obscure peut nous rappeler La Joueuse de mandoline qui est elle aussi mise en avant par le contraste qui met également en relief les fleurs, et par extension la nature qui était un des points forts d’Henri Rouart. Les arts musicaux ne se limitant pas aux instruments, quelques toiles représentent des femmes chantant parfois en groupe comme dans Le Concert : chanteuse et joueuse de luth théorbe ou dans Le Duo : chanteuse et joueuse de luth théorbe, deux toiles de Gérard Ter Bosch peintes au XVIIe siècle.
Une autre thématique qui ressort lorsqu’une femme est peinte, c’est son rapprochement avec le monde littéraire. Portrait de Mme Véron de Forbonnais montre une dame posant et gardant dans ses mains un livre bien qu’elle ne lise point et qu’elle regarde le spectateur. Mais il arrive également que les femmes soient peintes actives comme dans Jeune femme lisant une lettre de Jean Raoux.

De père en fils : l’évolution des techniques et des modèles de prédilection
Parmi les successeurs potentiels, deux hommes se sont distingués par leurs aptitudes en peinture. Le premier est Ernest Rouart, fils d’Henri Rouart et frère de trois garçons dont Eugène Rouart qu’il a peint en 1904. Il se distingue par sa maîtrise de plusieurs médiums : l’aquarelle, le pastel et la gravure. De plus, il est collectionneur d’art, comme l’était son père, qui a permis de mettre en évidence Édouard Manet, Berthe Morisot ainsi qu’Edgar Degas. Il va aussi se rapprocher de la famille Manet en épousant Julie Manet, la fille d’Eugène Manet, et nièce du peintre impressionniste. Il a fait don de plusieurs toiles à des musées parisiens comme L’hortensia qui est maintenant au Louvre ou La femme à l’éventail qui est exposée au Quai d’Orsay.
Ernest Rouart est un important artiste du courant impressionniste, tout comme son père. Il va peindre de nombreuses toiles dans un style se rapprochant beaucoup de son prédécesseur au niveau de la touche et de la palette comme nous allons le voir par la suite. Il a notamment appris les rudiments de la peinture à l’École des Beaux-Arts ainsi qu’avec son maître Degas.

La première toile que nous pouvons étudier est L’homme au chien, portrait d’Eugène Rouart, œuvre représentant l’aîné de la fratrie. Son frère est représenté assis au premier plan, les jambes croisées et regardant au loin, son visage légèrement triste. Un chien est couché et endormi aux pieds de sa chaise. L’arrière-plan se démarque par des touches de couleurs différentes qui permettent la distinction de plusieurs éléments. Il faut toutefois noter que les formes restent abstraites comme dans les toiles d’Henri Rouart telles que Massif de fleurs. Ce même travail de la touche est visible sur une autre peinture : Le Jardin de La Queue-en-Brie. Par contre, la personne d’Eugène possède des traits bien définis qui nous rappellent les formes de La Joueuse de mandoline, même la peau s’en rapproche. Lorsqu’il s’attaque à des paysages, il dévoile de façon précise tous les éléments constituants, bâtisses ou espaces verts.
Notre artiste, à l’instar de son père qu’il tient pour modèle, a peint des femmes s’adonnant aux arts comme sur La Joueuse de mandoline. En effet, Ernest a souvent peint sa muse et femme Julie Manet comme nous pouvons le constater sur Le Portrait de Julie Manet ou encore Julie et son fils aîné Julien, enfant d’Ernest et Julie.
Le dernier successeur d’Henri Rouart est Augutin Rouart, son petit-fils. Il se rapproche des arts par son aïeul ainsi que par goût de l’argent. Le côté musical se ressent grâce à sa grand-mère. Contrairement aux autres membres de la famille Rouart, son art ne va point se diriger vers l’impressionnisme mais bien vers le réalisme. Ceci est vérifiable avec sa toile Métro dans la nuit qui nous montre une ambiance nocturne des plus réelles.

Un point qui le rapproche tout du moins à Henri et Ernest Rouart, c’est le sens du détail qui complète l’aspect réaliste, presque photographique des œuvres d’Augustin. Sa palette est aussi empruntée à ses prédécesseurs qui n’hésitaient nullement à utiliser des couleurs sombres pour les ambiances nocturnes et les couleurs claires pour la nature et les chairs. Déjà visible dans Le petit pêcheur, on retrouve un personnage qui rappelle La Joueuse de mandoline dans Lagrimas y penas. Cette toile nous montre une jeune femme pleurant sur son lit, scène qui peut évoquer la demoiselle jouant de son instrument dans sa chambre. Chez Augustin Rouart, la femme est ici triste bien que l’ambiance générale de la pièce est plutôt chaude et joyeuse tandis que chez son grand-père c’était l’inverse, un espace sombre et oppressant illuminé par la demoiselle et les fleurs.

Nous avons peut-être ici une inspiration d’Henri Rouart qui transmet des émotions plus personnelles puisque la mère d’Augustin Rouart, Christinne Lerolle est morte en 1941 , et son oncle Ernest mort en 1942.
Tout au long de notre propos, nous avons pu voir que La Joueuse de mandoline d’Henri Rouart a été révélatrice de nombreuses techniques du peintre en ce qui concerne la palette ou le détail porté aux éléments peints. Nous avons également pu appréhender le sujet de la femme en lien avec les arts littéraires et musicaux par ce biais et enfin nous avons vu découler un art familial chez les Rouart passant de l’impressionnisme au plus pur réalisme en seulement trois générations.
Article écrit par Andres Camps