La Tempête : coups de vent sur la Comédie-Française

Après Roméo et Juliette, c’est une autre adaptation de William Shakespeare que propose la Comédie-Française : La Tempête, écrite en 1610. Depuis le 9 décembre, l’on peut y découvrir l’adaptation de Jean-Claude Carrière (scénariste de Milou en mai de Louis Malle, écrivain de La Controverse de Valladolid), mise en scène par Robert Carsen. Il signe ici sa première collaboration avec la Comédie-Française et sa grande première en tant que metteur en scène de théâtre en France. Et quelle mise en scène ! Moderne, originale et audacieuse : La Tempête coupe le souffle. 

Pour cette première, il qualifie son choix d’intuitif. La Tempête lui est apparue comme une évidence. Le caractère ambigu de la pièce y est pour beaucoup : on parle d’une comédie puisque personne ne meurt, mais la mort y est omniprésente. Puis, comme le théâtre de Shakespeare en général, la pièce est profondément humaine.

L’intrigue

Il y a douze ans, Prospéro, le duc de Milan a été destitué par son frère, Antonio, avec la complicité d’Alonso, le roi de Naples. Envoyé en exil avec sa fille Miranda, ils échouent sur une île inhabitée. Prospéro profite du voyage d’Antonio et de la cour de Naples et de leur passage près de l’île pour faire chavirer leur navire, avec l’aide d’Ariel, un esprit des airs qu’il a sauvé et asservi. Les naufragés sont disséminés sur différentes parties de l’île et chaque groupe porte sa propre intrigue. Pendant que Prospéro orchestre la rencontre de sa fille Miranda et Ferdinand, le prince de Naples, personnages dont l’amour est immédiat, Antonio et Sebastian complotent contre Alonso, tout comme Stephano, Trinculo et Caliban qui complotent contre Prospéro. Tout au long de la pièce, Prospéro usera de sa magie et de sa soif de vengeance pour confronter ses ennemis et se libérer du poids de l’humiliation. 

Alonso et sa cour

So Shakespeare

Malgré leur aspect tragique, les pièces de Shakespeare sont avant tout profondément humaines. Les enjeux de ses pièces, aussi durs et insupportables soient-ils pour les personnages et le spectateur, sont toujours contrebalancés par des moments de légèreté. Ces courts passages permettent de mettre en valeur les moments de tension extrême mais aussi de désamorcer la violence ambiante de la pièce pour garder l’intérêt du spectateur. A la Comédie-Française, la mise en scène de La Tempête conserve ces caractéristiques et les renforce avec audace. Dans cette pièce où les questions de vengeance et de mort sont omniprésentes, violence et légèreté ne s’affrontent pas mais se complètent subtilement.

Dès l’ouverture de la pièce, la violence et la légèreté sont mêlées, notamment grâce au duo Prospéro/Miranda (respectivement joués par Michel Vuillermoz et Georgia Scalliet). La pièce commence avec fracas et fureur, amplifiés par la projection d’une scène de tempête filmée : on est directement plongé dans la vengeance de Prospéro. L’arrivée de Miranda adoucit quelque peu cette passion : pendant le récit de la destitution de son père et de leur exil, les interventions de la douce Miranda équilibrent la violence qui émane de Prospéro. On saisit alors immédiatement le traumatisme de Prospéro, enjeu principal de la pièce. Parfois, on assiste à des scènes de pure légèreté, une sorte de calme après la tempête. Au détour d’une scène tragique ou de forte tension, on retrouve la tendresse de l’amour que se portent Miranda et Ferdinand (joué par Loïc Corbery). Celle-ci est accentuée par la sensibilité et la complicité palpables des deux comédiens.

Dans certaines scènes, on retrouve aussi le classique comic relief (ou « notes d’humour »), caractéristique typiquement shakespearienne. Ces scènes, où les comiques de geste et de mots dominent, peuvent sembler grotesques et crues. Elles apaisent néanmoins la tension extrême de la pièce, afin que nous puissions reprendre nos esprits et rester attentif. Le majordome Stephano (joué par Jérôme Pouly) et le bouffon Trinculo (joué par Hervé Pierre) accompagnés de l’esclave rebelle de Prospéro, Caliban (joué par Stéphane Varupenne) sont les personnages principaux de ces scènes. Leurs bouffonneries, leur ton gras et leur caractère simplet ne manquent pas de nous surprendre et de nous faire rire. Finalement dans cette pièce, toutes ces caractéristiques mènent à un dénouement joyeux et absolutoire.

scène des bouffons

Les costumes, un contraste moderne

Un contraste simple mais puissant se joue. Les costumes d’un blanc immaculé des personnages insulaires s’opposent brutalement aux costumes gris, froids et autoritaires des naufragés. La civilisation semble s’opposer au retour à la nature, nécessaire aux deux parties pour prendre du recul par rapport à une épine finalement commune. Le dénouement de la pièce est peut-être symbolisé par l’amour de Miranda et Ferdinand mais il est surtout montré à travers Prospéro, qui finit par porter les deux costumes. Ils symbolisent à la perfection ce voyage sur l’île, étape cruciale pour dépasser une situation en attente de dénouement depuis douze ans.

Une mise en scène audacieuse

« Nous sommes de cette étoffe dont les rêves sont faits »

Si l’on devait résumer la mise en scène de la pièce en une phrase, cette citation de Prospéro l’illustrerait parfaitement. Elle n’en reste pas moins épurée, afin que nous puissions nous y retrouver.

L’île est un lieu neutre, ainsi des livres, des caisses de bateaux échouées, des valises  évoquent simplement la vie mais aussi le naufrage. Seul un tas de bouteilles usagées dénote lorsqu’il tombe sur la scène : un petit clin d’œil contemporain aux conséquences de la vie humaine peut-être ? 

L’île est aussi un lieu propice au déploiement du rêve et Robert Carsen en joue. Il intègre un élément de décor original (mais que l’on retrouve souvent à la Comédie-Française ces derniers temps) : des écrans. En fond, la projection du flux et du reflux de la mer nous propulse immédiatement sur l’île, mais la projection de moments vécus par Prospéro nous propulse aussi dans son cerveau. De ce fait, les écrans représentent à la fois un espace scénique, qui cadre la pièce, et un espace mental.

scène d'arrivée de Ferdinand (photo à la une)

Lorsqu’ils sont éteints, on perd tout repère, c’est souvent la magie d’Ariel qui prend le dessus. Les écrans deviennent le support d’un jeu d’ombre et de lumière et intensifient la scène que nous avons sous les yeux. La pièce prend alors plusieurs dimensions, qu’elles soient tragiques ou dramatiques.

En plus d’accrocher le spectateur, les écrans modernisent la pièce. Ils matérialisent l’usage de la magie et amplifient l’émotion du spectateur. La mise en scène transmet un rêve à travers des éléments classiques et des techniques modernes. Le travail de Robert Carsen et de son scénographe, Radu Boruzescu, donne un nouvel élan à la pièce.

La Tempête - Comédie Francaise -

On y va, on y court, on y vole

La mise en scène peut sembler décalée par rapport à l’aspect classique du monument Shakespeare. Cependant, cette originalité met en valeur le côté tragique de la pièce et la modernité de Shakespeare. Elle rend la richesse de l’oeuvre. Cette mise en scène mérite d’être découverte.

LA TEMPÊTE DE WILLIAM SHAKESPEARE, TEXTE DE JEAN-CLAUDE CARRIÈRE ET MISE EN SCÈNE DE ROBERT CARSEN. LES VENTS VOUS SERONT FAVORABLES DU 9 DÉCEMBRE 2017 AU 21 MAI 2018.

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