Shakespeare et son conte d’hiver

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Hermione et Leontes, mise en scène de Donnellan, photo de Cheek by Jowls

Traiter de Shakespeare peut sembler pareil à se mettre en tête d’escalader l’Everest. Auteur extrêmement prolifique (on compte 37 de ses pièces auxquelles on doit rajouter des poèmes) et emblématique d’une époque, il est l’un des écrivains et metteurs en scène les plus connus au monde.

Premier article d’une série s’étant donné pour but de traiter certaines des pièces de Shakespeare (note : les préférées de l’auteure de l’article), nous allons ici ouvrir le bal en ce mois de janvier avec l’une des late plays du grand auteur, The Winter’s Tale (Un Amour d’Hiver en VF mais ici il a été plus simple d’écrire soit avec le titre original soit avec la traduction québéqoise, Un Conte d’Hiver). Si la catégorisation des pièces du dramaturge est toujours relativement difficile, on arrive à en mettre certaines sous des étiquettes : comédie, tragédie ou pièces historiques. Cependant les ‘problem plays’ défient toute catégorisation ; tout comme les late plays que sont Periclès, Cymbeline, The Winter’s Tale et The Tempest qui, pour certaines, se parlent d’une pièce à l’autre et surtout ont été écrites à la fin de la carrière de dramaturge de Shakespeare.

‘Time is out of joint’ (acte I scène 5 Hamlet)

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Florizel et Perdita, mise en scène de Donnellan, photo de Cheek by Jowls

Le Temps.

Pas la simple aiguille se contentant de tourner. Le Temps, le Dieu. Si Shakespeare ne respecte que peu les règles des unités énoncées par Aristote (pour ne pas dire qu’il le fait ironiquement dans The Tempest) il y a seize années qui s’écoulent entre les deux parties de ce conte d’hiver. L’une, se déroule en Bohème, l’autre en Sicile. L’une est teintée d’horreur, l’autre est aux couleurs de la Renaissance du printemps. La narration commence ainsi : le roi de Sicile, Leontes, a une femme et un fils. Mais lors d’un séjour de son frère Polixenes, Leontes vient à douter. Et si sa femme lui était infidèle, pour lui préférer son frère ? S’ensuit une chute dans la paranoia, culminant jusqu’à la mort de personnages après un procès, puis une fuite d’un serviteur avec le nouveau-né de la reine vers d’autres rives, celles de Bohème. Puis le Temps parle à la première scène de l’acte 4 (la pièce en compte 5). Il révèle que le temps a passé et que le lieu de l’action a changé, pour maintenant se dérouler en Bohème. Le bébé a grandi et est devenu une adolescente nommée Perdita. Elevée par des bergers, elle s’entiche du fils du roi tout en n’ayant aucune idée de leur lien de parenté. Ils finissent par fuir pour se marier… En Sicile, lieu de la révélation finale.

Des adaptations et clins d’oeils.

Shakespeare est à lui seul une part importante de la culture anglophone, au point qu’on le retrouve sans le savoir dans des œuvres très connues. Par exemple si vous avez lu la série pour jeunes ados Quatre fille et un Jean, dans le dernier tome une des protagoniste joue… Perdita.

Cependant la pièce connaît moins de succès que d’autres de Shakespeare : jouée pour la première fois en 1611 elle est boudée après la mort de l’auteur, avant d’être redécouverte au XXème siècle. Si certains critiques disaient au XVIII et XIXème siècles que les late plays sont la preuve que Shakespeare s’ennuyait (cf. p21 du livre Shakespeare’s Late Plays a guide to Essential Criticism par Nicholas Potter). Ils disent même plus : qu’il a perdu de son génie, en essayant de parfaire des thèmes déjà abordés dans des pièces précedentes. De fait le Conte d’Hiver n’a que peu été mis en scène, même si les interprétations commencent à se multiplier au siècle dernier, lorsque la pièce fut enfin considérée comme un chef d’oeuvre.

De toutes les mises en scène, nous allons ici traiter de celle montée par Mr. Donnellan, chef de la compagnie Cheek by Jowl, jouée au Théâtre du Nord (à Lille) il y a deux ans. Etant donné que la compagnie rejoue régulièrement les mêmes pièces, notamment lors de tournées nous ne sommes pas sans espoir de la voir repasser en France, comme ça a été le cas en 2017.

Trailer de l’adaptation de Donnellan

Les costumes sont actuels, les acteurs respectent la totalité du texte originel, parlent avec fougue. Jusque là, rien de très étonnant. Si ce n’est un rendu donnant littéralement la chair de poule. Les nouvelles technologies sont utilisées, une caméra braquée sur le visage apeuré de Hermione (la reine accusée d’adultère) lors de son procès, retransmettant en gros plan sur une caisse derrière les personnages. Puis cette même caméra montrant la face paranoïaque et pleine de colère de Leontes. Les sous-entendus sexuels ne sont plus simplement évoqués mais montrés, la peur se fait sentir. Le décor, est presque inexistant, tout se joue sur scène, entre les comédiens. Les couleurs des costumes évoquent également l’ambiance de chacune des deux parties, la première aux tons noirs, la seconde aux personnages lumineux et tous vêtus de blanc. Un chanteur fait irruption dans la salle parmi les spectateurs lors du bal populaire, et on fait face à des personnages rieurs, joyeux, résolument vivants. Cette adaptation absolument moderne est ainsi une idée de ce à quoi devait ressembler le théâtre élizabéthain transplanté à notre époque : on est loin des mises en scènes guindées et surtout édulcorant des textes jugés trop explicites au XIXème siècle : ici Shakespeare revient dans son éclat, celui de pièces vivantes et humaines, avec une véritable réflexion sur des sentiments extrêmements forts (notamment la jalousie, thème déjà abordé dans Othello) et sur le temps qui passe.

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Scène du bal, photo de Cheek by Jowls

Un conte tissé d’interprétations diverses

Shakespeare étant… Shakespeare, toutes ses œuvres ont été abordées par des critiques, discutées, analysées. L’un parfois venant contredire l’autre. Les late plays ne font pas exception à la règle. Tout d’abord, il faut revenir à l’origine des catégorisations : sept ans après la mort de l’auteur, deux de ses comédiens (Heminges et Condell) publièrent le premier folio de textes de Shakespeare, donnant trois catégories : Comédies, Tragédies et les pièces historiques. Le Conte d’Hiver fut placé dans la catégories des Comédies, malgré l’omniprésence de la mort. En effet : même si rempli d’éléments tragiques la fin fait qu’on ne peut pas le considérer tragédie. A la place, avec les trois autres, on inventa une nouvelle catégorie : celle des late plays, aussi surnommés Romances. On a ainsi plusieurs caractéristiques communes (selon l’édition de The Winter’s Tale par la Cambridge School) : un enfant perdu et retrouvé (ici Perdita), une jeune femme reliée à l’idée de renaissance et de régénération, des mythes et du fantastique comme des personnages revenant à la vie, une fin amenant sur une potentialité de bon, et une construction en trois parties : une ouverture tragique, un laps de temps nécessaire pour grandir et un dénouement qui tient de la chance ; il est à noter que dans The Tempest les deux premières parties sont contées par Prospero et ont déjà eu lieu.
Et de ce fait, de nombreux critiques se sont penchés sur le cas du Conte d’Hiver. Et ce pour y voir diverses choses, de la Divine Comédie de Dante (les trois parties reprenant les thèmes de l’Enfer, du Purgatoire puis du Paradis) au doute cartésien : si la jalousie dévore complètement Leontes c’est parce qu’il se voyait à travers sa femme, une remise en cause de sa paternité étant donc une remise en cause de sa relation à elle et pour pousser plus la réflexion une remise en cause de son existence entière. De nombreux parallèles ont été tracés, avec Othello (notamment sur le plan de la jalousie même si Desdemona est bien différente de Hermione), ou avec Lear. On peut également avoir une lecture féministe de l’oeuvre : c’est ici la virilité qui a poussé à la mort de l’innoncence (symbolisée aussi par le silence de Paulina, nourrice des enfants royaux), tout comme revenir sur l’impact du temps. De fait dans l’acte 4, le temps dit se retourner ; impliquant de la magie, bien évidemment, mais aussi et surtout une structure qui peut être mise en miroir, même si opposée en ambiance comme dans les actions des personnages.

Le temps est un personnage à part entière de cette pièce. L’article (qui se veut surtout une introduction à cet univers et n’a pas la prétention d’en faire le tour) pourra bien sûr être complété par la suite par de nouvelles recherches ou mises en scènes car n’oubliont pas le principal : l’art, et en particulier le théâtre engendrent des œuvres vivantes comme ici et pouvant donner lieu à des interprétations toutes personnelles.

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