
Le 23 janvier dernier, Louis Chevillard, étudiant de Master 2 en archéozoologie au Muséum National d’Histoire Naturelle est venu nous présenter sa passion, la cryptozoologie. Littéralement, le terme « cryptozoologie » signifie l’étude des animaux cachés. Licornes, dragons, yétis et autres monstres légendaires… Le grand public associe souvent la cryptozoologie à une traque fumeuse de créatures fantasmagoriques et souvent liées au paranormal. Mais dès que l’on creuse un peu, on trouve rapidement des personnes passionnées et méthodiques, loin d’une quête illusoire de fantasmes mais plutôt à la recherche de la frontière entre mythologie et biologie.
Notre conférencier nous explique alors qu’il existe trois types de cryptozoologues : les scientifiques, qui font généralement de la cryptozoologie sans le savoir, les sceptiques qui tentent de différencier les canulars des faits biologiques et enfin les « believers », les plus médiatisés, les plus faciles d’accès qui vont se fixer sur des lubies. Où se place donc Louis dans tout ça ? Entre les scientifiques et les sceptiques sans aucun doute. Issu d’une formation en biologie, il se base sur deux postulats essentiels pour étudier les cryptides, les objets d’étude de la cryptozoologie :
- Il reste des animaux de grande taille à découvrir. En effet, on découvre plusieurs milliers d’animaux chaque année, de taille et d’espèces variées.
- Les populations autochtones, autrefois qualifiées de « primitives » ont connaissance d’espèces encore inconnues de la biologie.
Mais revenons sur les cryptides. Un cryptide ou un cryptozoaire est un animal caché. Il s’agit d’une espèce biologique (ce qui exclut les fantômes, spectres et aliens) absente de la littérature scientifique, jamais décrite avec précision mais présente dans les mythes, le folklore ou les imaginaires populaires d’une ou plusieurs région(s). De plus, le cryptide s’étudie toujours dans un contexte anticipatif. Puisqu’il n’y a pas de description scientifique de cette espèce et puisqu’on ne sait pas encore avec certitude si elle existe, le cryptozoologue doit d’abord créer un portrait-robot de l’animal en fonction des données existantes.
Pour prendre un exemple concret, le calamar géant était à une certaine époque un cryptide. Son existence était remise en question et il relevait plus du mythe que de la biologie. Son existence a cependant été prouvée, l’espèce a été découverte au cours du XIXe siècle. En fait, nous explique Louis pendant la conférence, le travail du cryptozoologue est de monter des enquêtes pour déterminer le réel de l’irréel, tout en gardant à l’esprit, comme dans toute démarche scientifique que l’absence de preuvesn’est en aucun cas une preuve.
Comment procède-t-on en tant que cryptozoologue ? Le travail est à 90% théorique. Le matériel de base du cryptozoologue se trouve dans les données folkloriques, les données testimoniales, toutes deux subjectives, et les données matérielles (ADN, poils, restes osseux, individus entiers !) qui constituent les preuves objectives. Le cryptozoologue commence par effectuer des recherches bibliographiques, historiques, écologiques, ethnologiques avant de se rendre sur le terrain afin de trouver (ou non) des traces de l’existence d’une nouvelle espèce.
Il ne faut pas oublier que beaucoup d’espèces, aujourd’hui très bien connues l’étaient d’abord par les mythes des autochtones. C’est le cas du gorille par exemple, qui était appelé « pongo » ou encore « impungu » par des peuples d’Afrique subsaharienne, qui évoquaient un grand homme couvert d’un pelage noir qui enlevaient les enfants et violaient les femmes. S’il est peu probable que les gorilles adoptent ce genre de comportement, il y avait tout de même un animal à l’origine de ces mythes. C’est le cas également pour l’okapi ou le varan de Komodo entre autres. L’exemple de l’ornithorynque est particulièrement parlant: lors de sa découverte au XIXe siècle, les scientifiques étaient perplexes, croyant à un canular. Mais non, il existe bien un mammifère en Australie, à mi-chemin entre le canard et le castor.
Après cette présentation globale de la discipline, Louis Chevillard s’est penché avec nous sur le mythe de l’homme sauvage et le fameux dossier du Yéti. En effet, de nombreux cryptides appartiennent au mythe de l’homme sauvage. Le mythe de l’homme sauvage est celui qui se répète avec le plus de constance dans les légendes et folklores de nombreuses régions. L’une de ses premières apparitions remonte à la très célèbre Épopée de Gilgamesh, dans laquelle ce dernier affronte Enkidu, un géant hirsute, étranger à toute civilisation. L’homme sauvage se retrouve entre autres chez les Grecs dans la figure du satyre, mais l’image restée dans l’imaginaire collectif actuel est directement héritée du Moyen-Âge, où la figure de l’homme sauvage est opposée au chevalier et à son code d’honneur. De plus, le mythe de l’homme sauvage se retrouve partout dans le monde : Big Foot au Canada, le Yéti dans l’Himalaya, … Ce mythe naît en réalité de la nécessité de trouver un lien, une jonction entre l’homme et les animaux. L’homme sauvage apparaît alors comme une figure confortable pour créer un chaînon manquant dans la biosphère.
Le mythe de l’homme sauvage le plus connu dans la « Pop-cryptozoologie » selon l’expression de Louis Chevillard, est sans doute celui du Yéti. Le Yéti, ou en tout cas une figure proche des descriptions modernes, est présent dans le folklore d’ethnies himalayennes.
Les premiers témoignages de l’existence du Yéti remontent au XIXe siècle, cependant c’est avec l’ère de « l’himalayisme » que la liste des personnes ayant vu un Yéti s’allonge considérablement. Dans les années 1930, un nombre de plus en plus important de gens s’attaquent aux pentes de l’Everest et aux autres massifs himalayens. Des photos de traces dans la neige ou de spécimens fleurissent dans la presse et font le tour du monde. Dans les années 1960, un scalp de Yéti fait débat, mais Bernard Heuvelmans, docteur en sciences zoologiques démontre publiquement, à la télévision (lien de la vidéo ci-dessous), qu’il s’agit bien d’un canular. Aujourd’hui, la communauté scientifique ne croit plus à l’existence d’un géant poilu et hirsute vivant à des altitudes défiant les limites de la résistance humaine. Notre conférencier non plus.
Selon lui, le dossier du Yéti peut être séparé en deux composantes. Au Nord de la chaîne himalayenne, le Yéti est présent de façon très agressive, responsable de carnages et de massacres violents. Dans ces régions, l’hypothèse la plus couramment admise concernant l’origine de cette créature est l’ours bleu de l’Himalaya. Quant aux régions plus méridionales, dans la péninsule Indo-malaise, au Népal et au Bouthan, l’environnement est très différent et l’origine du mythe du Yéti serait plutôt à chercher parmi les différentes espèces de singes qui peuplent (ou peuplaient) les forêts luxuriantes de la région.
Pour conclure ce petit compte-rendu qui ne suffit pas à rendre justice à l’extraordinaire conférence dont nous avons profité mardi dernier, l’Archéoclub remercie chaleureusement toutes les personnes présentes avec nous ce soir-là, les absents aussi, qui liront certainement avec intérêt cet article et bien sûr, Louis Chevillard pour nous avoir offert une présentation dont nous nous souviendrons longtemps.
Tiphaine pour l’Archéoclub de l’Ecole du Louvre
En espérant avoir attisé votre curiosité, voici quelques pistes pour en savoir plus, ainsi que le site de Louis Chevillard :
- Site de Louis Chevillard: http://cryptidophilia.com/
- http://cryptozoo.pagesperso-orange.fr/
- Bernard Grison, Du Yéti au calmar géant, Paris, 2016
- Tianying Lan, Stephanie Gill, Eva Bellemain, Richard Bischof, Muhammad Ali Nawaz, Charlotte Lindqvist, « Evolutionary history of enigmatic bears in the Tibetan Plateau–Himalaya region and the identity of the yeti », Proceedings of The Royal Society. Biological Sciences, nov. 2017
- Vidéo de l’interview de Bernard Heuvelmans : http://www.ina.fr/video/CAF97059798
Crédits photo: Canofmystery / Philip Bethge