L’Hiver, par François Girardon : la froideur hivernale dans le jardin du Roi-Soleil

         Le 1er Septembre 1715, au matin, le roi Louis XIV s’éteint après un règne de soixante-douze années… Mais ce jour a aussi son importance pour l’histoire de l’art car il est aussi celui de la mort de François Girardon, l’un des plus grands sculpteurs du règne et qui pousse sa fidélité envers son maître jusqu’à mourir le même jour que lui.

Né à Troyes en 1628, il est fils de fondeur et il est rapidement remarqué par le Chancelier Séguier, tout puissant garde des Sceaux et grand mécène de son époque. Celui-ci va l’envoyer à Rome se former auprès de l’antique et des réalisations modernes de la Ville éternelle. Girardon fait partie des grands artistes réunis à Vaux-le-Vicomte par le Surintendant Nicolas Fouquet avec Charles Le Brun, André Le Nôtre et Louis Le Vau. Il est l’un des sculpteurs œuvrant pour la réalisation des stucs de la Galerie d’Apollon au Louvre. Arrivé à Versailles en 1666, il va s’imposer avec un chef-d’œuvre : Apollon servi par les nymphes, en collaboration avec Thomas Regnaudin. François Girardon va alors exercer une sorte de direction sur l’ensemble des sculpteurs du chantier.

Membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture qu’il intègre en 1657, il est une figure majeure de la sculpture versaillaise. L’apogée de sa gloire est marquée par cette fameuse année 1674, celle de la Grande Commande, où il va affirmer sa prééminence. Bien sûr, tout le monde connait le célèbre groupe de L’Enlèvement de Proserpine par Pluton, prodige de marbre, placé au bosquet de la Colonnade et aujourd’hui rentré à l’Orangerie. Mais il est un autre chef-d’œuvre du maître, plus discret peut-être et que je vous propose de découvrir : L’Hiver. Vieillard quelque peu renfrogné nous toisant aujourd’hui du haut de son piédestal. Que fait-il ? Pourquoi cette attitude sévère et presque menaçante ?

                L’Hiver est une des figures les plus célèbres de la Grande Commande de 1674. Pourquoi la « Grande Commande » ? Aujourd’hui, nous avons tous de Versailles, cette vision d’un jardin tout entier dédié à la sculpture, véritable musée à ciel ouvert, mais il faut savoir que tel n’a pas toujours été le cas. C’est vers 1664 que le projet de Louis XIV d’édifier une immense demeure royale à Versailles voit le jour. A l’époque, ce n’est rien d’autre qu’un modeste pavillon de chasse entouré de forêts et de marais. Le roi s’obstine néanmoins et de cet environnement à première vue hostile, un jardin voit le jour. Le jeune souverain y donne des fêtes somptueuses comme celle des Plaisirs de l’île enchantée en mai 1664, où la sculpture apparait déjà mais celle-ci n’est bien sûr qu’éphémère. Avec l’embellissement du château, le parc commence alors à se parer de ses premières réalisations sculptées, c’est la Petite Commande. Réalisées en pierre, ces sculptures ne sont pas parvenues jusqu’à nous mais les choses sérieuses commencent dans les années 1670… Nous sommes alors à l’apogée du règne et en pleine période de construction de Versailles où le roi fixera sa cour et son gouvernement la décennie suivante en 1682. C’est alors que survient la Grande Commande ! Bien sûr, jamais aucun contemporain de Louis XIV n’a employé ce terme, c’est une invention du XXe siècle mais elle montre bien que cette commande des Bâtiments du roi auprès de vingt-quatre sculpteurs différents marque le sommet de la sculpture versaillaise, son « âge du marbre ».

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Portrait de François Girardon, par Jacques d’Agar

Les vingt-sept sculptures qui composent la Grande Commande sont réalisées pour le compte du roi et de l’ornement des jardins de Versailles et en particulier du parterre d’Eau se situant devant le corps de bâtiment est du château, dans l’alignement de la grande perspective. L’aménagement de ce parterre venait d’être achevé en 1674, après plusieurs projets successifs dont la conception est à attribuer à Charles Le Brun, premier peintre du roi. Ce premier parterre d’Eau devait comprendre cinq bassins et en son centre un immense rocher symbolisant le Parnasse pour une fontaine des Muses. Les sculptures devaient être disposées autour de ces bassins, dans une vision cosmique, un élan éternel et immuable où les Saisons, les Éléments, les Parties du monde, les Heures du jour, les Tempéraments de l’homme émergent sous l’action bienfaitrice d’Apollon (ou Louis pour les intimes…). Bref, un véritable discours mythologique et cosmique chantant les louanges de « l’astre des rois ».

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Projet du parterre d’Eau (1671 – 1672), dessin de Charles Le Brun

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Dessin de Charles Le Brun pour la tétrade des Quatre Saisons

                Et L’Hiver, en tant que saison, y a bien sûr toute sa place. Pour la réalisation de cette figure, la commande est donc passée à François Girardon. Cependant, il faut savoir que les sculpteurs ne sont pas totalement libres pour la réalisation de ces commandes. Le projet est placé sous la supervision d’un artiste que Girardon connait bien depuis Vaux-le-Vicomte, un autre protégé du Chancelier Séguier qui n’est autre que Charles Le Brun. Le premier peintre du roi prévoit tout, c’est lui qui a conçu le parterre d’Eau et c’est lui qui construit le programme de l’ensemble et qui fournit même des dessins aux sculpteurs. Attention, néanmoins, ces dessins sont indicatifs et il ne faudrait surtout pas y voir une contrainte dans le processus de création.

Mais quand est-il de L’Hiver ? C’est un vieillard appuyant son bras gauche sur un tronc d’arbre, son corps et sa tête sont enveloppés d’un drapé et à ses pieds se trouve un brasero. Mais encore… description aride pour une œuvre aussi pleine de vie, un paradoxe en réalité car ce vieillard est en fait frigorifié, il est transi de froid, on dirait même qu’il meurt de froid… Pas loin de la vérité car ce personnage est bel et bien en train de s’envelopper tant bien que mal dans son manteau qui découvre une partie de son corps nu tout en se blottissant au-dessus du brasero. Et c’est là qu’apparait le génie du sculpteur et son détachement par rapport au dessin de Le Brun… La psychologie du personnage ! Girardon a dramatisé sa figure par sa pose : le visage incliné, le regard fixe des yeux traités en globe, le buste replié sur les bras et la main gauche agrippée sur un vêtement qu’il tente de retenir. Toute l’attitude du personnage mais surtout l’expression de son visage expriment sa résignation et son introspection. Cet homme est surpris en pleine lutte avec le froid et la statue acquiert une dimension dramatique voire lugubre puisqu’on y verrait la représentation d’un homme marqué par l’âge et les rigueurs de l’hiver, qui sait sa mort proche. Réjouissant je sais… Mais quelle force se dégage de cette œuvre ! Elle est si vivante et apparait comme une flamme. On pourrait presque imaginer la nuit sombre et glaciale qui nous enveloppe et là apparait ce vieillard dont les flammes du brasero éclairent le visage marqué par le temps. Un clair-obscur digne du Caravage et une tragédie inéluctable digne d’une pièce de Racine.

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En outre, Girardon multiplie les points de vue sur son œuvre pour donner, à chaque fois, au promeneur une impression différente du personnage. Ainsi, tantôt la figure semble menaçante avec la violence de sa main qui rabat le manteau et la position de son corps blotti contre le brasero, tantôt, par une vision frontale, on peut prendre toute la mesure de la fragilité du personnage avec un haut du corps découvert, une position instable des jambes, les bras serrés contre le torse et surtout la tête penchée avec un air pensif et résigné. Le personnage semble alors accepter son sort en opposition à la révolte qui semblait l’agiter par une vue latérale. On note la grande nervosité et l’agitation de cette statue. Cet homme est à un carrefour, il est saisi au moment d’un choix : poursuivre sa révolte contre les rigueurs de la Nature ou lâcher prise… La lutte et la survie ou la résignation et la mort.

                Quand je vous disais que c’était une sculpture incroyable ! Et c’est aussi l’avis de ses contemporains, car L’Hiver a toujours été considéré, dès sa création, comme l’un des chefs-d’œuvre de la Grande Commande. Et bien sûr, qui dit succès dit postérité… Et les exemples sont nombreux. Il y bien sûr L’Hiver, terme de Jean-Baptiste Théodon du parc de Versailles, mais aussi le terme de Jean Raon et Jean-Melchior Raon, d’après François Lespingola, que l’on peut aujourd’hui admirer dans la cour Puget du département des sculptures du Louvre. Mais si vous préférez le plein air, allez jeter un œil à la façade de l’hôtel de Soubise, aujourd’hui siège des Archives Nationales, dans le 4e arrondissement. Vous verrez alors une autre figure de l’Hiver, par un certain Robert Le Lorrain, élève de François Girardon. Ça ne vous rappelle rien ?

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         En résumé, la prochaine fois que vous irez à Versailles, allez dans le parc, ne suivez pas la foule mais prenez à droite au lieu de descendre vers le bassin de Latone, dirigez-vous vers l’Allée d’eau, regardez à votre gauche et découvrez L’Hiver à son emplacement voulu par Jules Hardouin-Mansart en 1683. Bon, je vous préviens, il s’agit d’un moulage en résine, la vraie statue a été rentrée dans le château pour la préserver des ravages de l’exposition en plein air, un but bien louable. Mais sa symbolique, sa force expressive restent les mêmes… Bref, regardez là et laissez-vous émouvoir !

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