
La révolte contre le régime de Bachar el-Assad a suscité une floraison d’œuvres pleines de rage et de puissance. Tous les domaines sont heurtés et mobilisés : cinéma, dessin, musique, spectacle vivant, art plastiques ; aucun n’y échappe. Revenons sur ces années menées de front par les artistes syriens.

La Syrie est un pays riche en histoire et en culture artistique. Au commencement de sa civilisation ; sur ses 185 000 km2 de superficie ; les influences notamment issues de la Méditerranée et de la Mésopotamie se croisent pour donner, il y a 3000 ans, les premières productions artistiques. Chanceuse de son cadre géographique, bordée par la Méditerranée à l’ouest et de vastes voies de communications naturelles dans les zones arides, elle offrit alors un Eldorado, un carrefour commerçant prospère pendant des millénaires. De nombreuses civilisations se succèdent, notamment les Assyriens, les Babyloniens et les Perses etc. Ce pays connaît aussi de nombreuses périodes de troubles, entraînant des guerres désastreuses pour les royaumes syriens.
Pourtant, même trois millénaires plus tard, la Syrie n’est pas à l’abri de la guerre. Depuis 2011, le pays mène sa révolution. Pourtant, cette insurrection, porteuse d’espoir, permet avec étonnement d’être un acte de création par excellence, jusqu’ici inadmis sous l’autorité du gouvernement de Bashar El’Assad.
Les premiers temps de la révolution ; précurseur de création :
Ce mouvement débute en mars 2011, un groupe de jeunes adolescents âgés de 10 à 16 ans, étincelles de la révolution, décident de griffonner des graffitis dans la ville de Deraa ; une bourgade agricole où tout le monde se connait. Considéré comme un vandalisme anodin sur le globe terrestre, ce cas ne fait pas le même bruit dans ce pays. Sur les murs de leur école est écrit : « Ton tour arrive, docteur », expression libre et spontanée de la jeunesse syrienne. Le « docteur » en question, c’est Bachar al-Assad, ophtalmologue de formation. Les adolescents sont alors emprisonnés et torturés, la détention se prolonge plusieurs semaines et des rumeurs de sévices sexuels commencent à se propager. Les familles souhaitant récupérer leurs enfants n’obtiennent pas gain de cause. La rumeur court qu’un des agents a menacé les femmes de ces hommes. Il en est trop. Un premier rassemblement s’organise le 15 mars 2011. Ce sera le premier d’une longue série, les trois coups de la révolution sont frappés.

Longtemps contenus, dès les premiers jours du délit les opposants au régime de Bachar el-Assad prennent les armes. Ces armes sont des instruments d’arts (pinceaux, brosses, photo etc.) dont la toile est le support le plus utilisé pour répandre l’information. Cette plate-forme de résistance artistique, déjà utilisée à la naissance du « printemps arabe », notable en Tunisie et en Egypte, a pris de l’envergure en Syrie où le régime de Bachar el-Assad réprime la contestation. Le Web est une planche de salut pour les créateurs spontanés ou confirmés qui n’ont pas choisi l’exil. Ces artistes, ces nouveaux portes-paroles de la contestation sont principalement des étudiants issus des facultés de grandes villes, des amateurs ou des personnalités cotés à travers le monde. Il faut prendre en compte que cet engouement opportun pour la toile n’est pas né avec l’insurrection syrienne. En effet, tardivement introduit dans la forteresse syrienne par le président actuel, Internet permet une ouverte avec le monde et les nouveautés qui s’y découlent, notamment pour les jeunes cinéastes qui se font connaître à l’étranger ou les plasticiens qui ont par ailleurs bénéficié de la récente privatisation du marché de l’art en Syrie et du boom qu’il connait dans les Émirats Arabes.
L’urgence est de diffuser et partager les productions maîtrisées, produits complexes de censure et d’autocensure. Grâce aux réseaux sociaux (Facebook en première ligne) et les sites d’hébergements (Youtube, DailyMotion, Vimeo) la jeunesse syrienne fait entendre sa voix. Témoignages de la violence, leurs images accompagnent et développent le mouvement révolutionnaire. Les événements liés à l’insurrection s’enchainent et deviennent de plus en plus néfastes pour les populations, à contrario, ces difficultés offrent une liberté de création inespérée aux artistes. Les codes et les valeurs transmis par l’Académisme d’instituts d’art néocoloniaux, le conformisme du marché de l’art local, la censure du gouvernement et la morale société atteignent leurs limites qu’il est nécessaire de rompre. Si l’on regarde de plus près ces productions, les artistes ne se prêtent pas pour autant à des recherches esthétiques, quasi impossibles en ces temps d’atrocités. L’objectif est de faire comprendre la barbarie omniprésente, le présent insupportable. Ils produisent pour que leur pays survive.

Les combinaisons gagnantes et convaincantes :
En premier lieu, les peintres syriens qui travaillent généralement sur de grands formats s’essayent à d’autres échelles de composition dans le but d’utiliser de nouveaux cadres de production et de diffusion. Il faut répondre dans l’urgence, les formats se réduisent comme les ateliers. Stylistiquement, les plasticiens abandonnent leur mode d’expression (sculpture, installation) pour explorer et développer des productions en deux dimensions. Rapide à exécuter, ce n’est pas à négliger en temps de guerre. De plus, des médiums avec les mêmes soucis de priorités sont mis à profit : des dessins, des œuvres similaires au graffiti, des captures d’images vidéo diffusées sur Internet.
L’art numérique vie un plein boom. En parallèle à cette production, il faut penser à la transmission. Des pages Facebook se créent peu à peu, moyens efficaces pour dénoncer les atrocités. Un slogan ou quelques mots peuvent accompagner ces images. Ces deux œuvres illustrent l’impact recherché et souhaité par les artistes syriens. En premier, la photographie puissante à l’arrière est atténuée par un sorte de filtre flou, teinté de noir et de blanc et qui se couvre en surface de mots froids, à saveur médicales, chirurgicales, rappelle que disparaît par la mort, l’identité de la jeune fille dont le visage non dévoilé accentue cet effet. Tandis que Mondaseen, signifie « infiltrés« . Car les médias actuels accusent les manifestants d’être des infiltrés au service des pays occidentaux. Ici le slogan écrit sur la poitrine du jeune homme cagoulé est en réalité une réappropriation du slogan habituel du gouvernement » La Syrie pour l’éternité » qui ici est transformé en « La Liberté pour l’éternité ».
On assiste alors dans ces productions à une caricature de la propagande officielle et des symboles du pouvoir où l’humour cynique et noir est utilisé avec abondance, après 40 ans de silence.
Par exemple, il est mis en ligne sur Facebook le 1 er janvier 2012, sur la page intitulée «Stamps of the Syrian Revolution»; qui rend hommage, à chaque détournement, aux personnalités et événements marquants de l’actualité syrienne et décline le timbre, objet lié aux problèmes administratifs. Il s’agit d’une démystification de la Syrie telle qu’elle était représentée jusqu’à présent à travers l’usage du timbre. Ici, les timbres rappellent le spectateur à la réalité en détournant les grands succès politiques et économiques qui font la fierté des républiques socialistes.

Pierre par pierre, un art engagé se met en place, agissant en fonction des irrégularités causées par la révolution et intensément bercées par les rythmes de l’actualité. Pendant une période de 18 mois, la Syrie fermement rappelée à l’ordre est devenue chaos. C’est grâce en partie par les langages plastiques que se traduit toute cette répression.
Si la production peut se modifier de manière incessante, les comportements eux, se transforment plus lentement. En effet, on produit mais personne ne signe. C’est devenu un principe de guerre.
L’émergence de regroupements d’artistes :
Dans le clan de Bachar el-Assad en Syrie, le droit d’association est interdit. Les lieux d’art à vocation non commerciale et les collectifs sont très rares. Dès que l’opposition se met en place, on assiste à des regroupements d’artistes et à une création importante de pages collectives qui diffusent la production de chacun. Ces pages actualisent en permanence les vidéos, slogans et les actions révolutionnaires.
Par exemple, la page « Syrian People Know Their Way » est alimentée par un groupe de jeunes artistes, graphistes et blogueurs syriens. Depuis le 26 février 2011 sur Facebook, cette page propose des créations graphiques qui reprennent parfois les compositions et slogans de la tradition révolutionnaire internationale des années 1960-1970, en y ajoutant des caractéristiques spécifiques au pays. L’émancipation de la femme est mis en avant, répondant contre une société dominée par les hommes.
Car l’affiche est un moyen de persuasion efficace. L’affiche actuelle nous transmet une information claire en combinant des images et des textes, discours brefs destinés à un type d’audience. Les premiers prototypes apparaissent au milieu du XIXe siècle. Les progrès dans la technique de la lithographie permettent un rendu plus esthétique, d’où l’intérêt est de créer en parallèle des expressions. Ces affiches correspondent aux besoins de la société industrielle de l’époque. L’habilité de créer des affiches claires et accessibles à tous, donne dès le XXe siècle, un recyclage sous forme d’usage politique. Le pouvoir des mots, accompagné d’images et d’illustrations et d’un texte simple vise comme chez l’artiste Alexandre Rodtchenko, à convaincre l’opinion russe.

Elle continue à être utilisée pour élaborer des campagnes et manipuler ou guider l’ordre public. Le pouvoir soviétique et maoïste développent un style et un ensemble de codes dont s’inspirent les étudiants français des Beaux-Arts et des Arts Décoratifs lors de mai 1968. N’étant pas signées, constituées de phrases chocs, de raccourcis graphiques et d’associations d’images, elles s’inscrivent parfaitement dans la tradition de l’affiche révolutionnaire. Aujourd’hui, ces idées sont reprises auprès des groupes d’activistes et d’artistes Syriens.

Le fait d’utiliser l’anonymat ou des pseudonymes n’est pas anodin. Il permet à l’artiste de protéger son identité et celle de ses proches. La palette stylistique se diversifie peu à peu, faisant place à une quantité originale de productions.
Plus tard, certains artistes signeront, rassurés par l’ampleur du phénomène reçu favorablement par le public. En effet, la page « Art & Freedom » prend plus de dangers en signant leurs œuvres. C’est leur manière d’être solidaire avec les victimes de la lutte. Car certains artistes sont obligés de fuir et d’autres sont arrêtés et détenus. La création de cette page vient de l’inspiration d’un groupe d’artistes des années 1940 et les événements au Caire du 25 Janvier 2011. Un artiste vétéran Youssef Abdelke créa la page avec un groupe d’artistes pour recenser l’ensemble des productions syriennes actuelles. Parce qu’avec l’insurrection, les artistes prennent des risques, ils abordent des sujets qu’ils n’ont jamais traité dont les enjeux sont différents.
Ici, on note la création de deux femmes photographes dont les styles se distinguent ; l’une à l’orientation poétique et réelle, tandis que l’autre s’adonne à quelque chose d’organique et d’horrifique. Pourtant leur messages est clair : dénoncer l’enfermement du régime.
Être solidaire et dénoncer :
De nombreux artistes originaires de Syrie mais résidant à l’extérieur de leur pays, prennent part à l’insurrection et décident à leur tour de produire des œuvres engagées pour témoigner de la situation actuelle en Syrie. C’est le cas de Khalil Younes, peintre, illustrateur et créateur de vidéo, originaire de Damas. Il souhaite montrer l’horreur et les souffrances commises sur le peuple syrien. Son travail fait écho aux tableaux de Goya ; Tres de Mayo, traitant les soulèvements espagnols et leurs exécutions. Le portrait Hamza Bakkour est conçu à l’aide de bombes aérosols et de pochoirs, techniques utilisées par les artistes syriens à l’intérieur du pays.

Une autre artiste, elle aussi originaire de Damas et vivant actuellement en Allemagne, met en relief, la société militaire dont les règles sont transmises dès l’enfance. Le but alors est de créer des outils du régime oppressif. La série Ongoing dénonce les atrocités de cette dictature. Une machine à coudre utilisée par une tête de mort, en train de coudre un vêtement militaire ; l’idée est de dénoncer ce système qui brise les rêves et l’insouciance. Le cycle de la violence est aussi quelque chose de fort et récurrent dans son œuvre. Elle explore la mort et la vie syrienne, les craintes qu’elle retient envers son peuple qui meurt chaque jour car la mort est le quotidien de chaque citoyen syrien.

Nous ne pouvons être indifférent à la vue de ces images. Même si notre société actuelle se compose principalement d’images ; émissions répétitives et automatiques de productions visuelles qui peuvent devenir lassantes. Il est bon de voir une facette différente de ce que nous propose les médias sur le tragique quotidien syrien. Et que l’espoir et la création peuvent être deux catalyseurs positifs face aux atrocités de l’être humain.
Article écrit par Raawan Laëtitia.
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