
Nous sommes en 1976 au 29e Festival de Cannes, un jeune réalisateur talentueux issu d’une famille modeste sicilienne de Little Italy crève l’écran avec le film Taxi Driver. Rien ne prédestinait Martin Scorsese au cinéma mise à part une enfance ponctuée de crises d’asthme où la seule activité permise était la fréquentation des salles obscures. Le jeune Martin épris de foi se destinait à l’entrée au séminaire, mais son trop jeune âge de l’époque ainsi qu’un caractère trop turbulent l’en empêchent. C’est au détour d’un cours de cinéma à l’Université de New York qu’il trouve sa voie vers le 7e Art.
Les débuts du cinéaste sont prometteurs grâce à des courts métrages couronnés de succès. Le plus remarqué fut The Big Shave sorti en 1967, mettant en scène un homme se rasant jusqu’à se mutiler dans sa salle de bain, symbole d’autodestruction des Etats-Unis durant la guerre du Viêt-Nam.
S’en suit le premier long métrage Who’s That Knocking at My Door sorti aussi en 1967. Histoire d’un jeune homme voyou à la petite semaine du quartier de Little Italy qui l’inspire tant et amoureux d’une jeune femme abimée, qu’il fuie dans un premier temps après avoir découvert son outrage. Illustration d’une réalité perturbante.
Puis tout s’enchaine, le réalisateur acquiert rapidement la renommée avec Mean Streets sorti en 1976. Réalisé avec un style s’inscrivant dans la continuité, toujours à Little Italy, il présente l’histoire tragique de deux jeunes ambitieux désireux de réussir dans la mafia. Ce fut également la grande rencontre avec Robert De Niro, qui restera l’un de ses acteurs favoris.
Le film étant encensé par la critique, Martin fait ainsi son entrée parmi les grands du cinéma américain, tout en gardant son âme originelle. La sortie de Alice n’est plus ici un an plus tard vaudra à Ellen Burstyn l’oscar de la meilleure actrice pour son rôle de veuve voguant vers son rêve d’enfance afin de s’extraire d’une vie modeste et ordinaire.
Le succès est là, et pourtant nous sommes bien loin des standards du cinéma américain. La Palme d’or reçue en 1976 pour le film Taxi Driver est une consécration par le cinéma international, notamment américain. C’est une œuvre centrée sur la personnalité d’un ancien marine solitaire, montrant le côté sale de New York, le cauchemar américain. Critique d’un pays en déclassement économique, social et moral.
Le film est bien éloigné du grand divertissement de masse pour lequel le cinéma américain est connu et reconnu, élevé au rang d’industrie. L’œuvre se doit d’être économiquement rentable avant d’être un aboutissement artistique. Les européens ont fait du cinéma un art ; les américains eurent l’art d’en fait un business.
Le cinéma européen se veut d’auteur, avec l’idée que le réalisateur détient un rôle social consistant à compter, voire dénoncer, des situations moralement inacceptables ou de belles histoires, sans oublier de les magnifier à l’écran. Le film contient une signature très caractéristique permettant de reconnaître son créateur parmi tous, comme dans la haute couture.
Nous sommes dans les canons du cinéma européen qui fascine tant Scorsese. Ce film, bien qu’ayant un succès commercial indéniable, n’est pas destiné à faire vendre mais à faire réfléchirsur son époque. Il s’agit de l’adaptation d’un roman de Richard S. Elman, auteur connu pour son engagement politique et sa critique du monde qu’il côtoie.
L’influence politique et humaine du film, voire d’engagement, est là aussi une caractéristique du cinéma européen comme l’a souligné le critique cinématographique italien Roberto Lasagna dans son ouvrage consacré au célèbre réalisateur.
Cette influence se retrouve dans les autres films de cette période, notamment La couleur de l’argent, Les affranchis ou Casino. Tous seront auréolés de succès, faisant de Scorcese l’un des rares d’Hollywood à ne jamais avoir connu de « bide » commercial, ce qui peut même arriver aux meilleurs.
Scorsese va par la suite succomber aux charmes du cinéma box office et banquable avec Gang of New-York en 2002, film au budget de 97 millions de dollars. Nous sommes dans les grosses sensations avec la spectaculaire baston entre gangs. Le genre de film au large public, consensuel, que l’on va voir dans les vastes salles d’un multiplexe plutôt que dans l’intimité d’un petit cinéma de quartier.
Avec Hugo Cabret, le célèbre réalisateur fait un clin d’œil au cinéma européen. Un véritable hommage à Georges Méliès, l’un des pères fondateurs du cinéma européen, à qui l’on doit l’invention de nombreuses techniques cinématographiques avec les célèbres Voyage dans la Lune et Monte là-dessus ! qui malheureusement, malgré son talent, n’a jamais pu prospérer du cinéma.
Ironie de l’histoire, Hugo Cabret a été récompensé aux Oscars la même année que The Artist de Michel Hazanavicius. Le premier étant un film américain rendant hommage au génie du cinéma européen, le second un film européen rendant hommage aux grandes années d’Hollywood. La majeure partie de la critique n’avait pas fait écho de cette curieuse coïncidence.
Ecrit par Adrien Cané (Nancy).