
Le Prix du jury à Cannes en 2007 ne fut qu’une de ses multiples distinctions. Persépolis, film d’animation réalisé par Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, est devenu très rapidement un « classique » de nos années collège auquel nous avons difficilement pu échapper. Et pourtant, c’est un film qu’il est bon de découvrir et redécouvrir aujourd’hui, pour ne pas le laisser se tarir dans nos lointains souvenirs, redonnant à l’œuvre de Satrapi tout son universalisme et son humanisme raffiné.
Marjane, issue d’une famille moderne et cultivée, a 8 ans lorsqu’elle assiste au début de la révolution iranienne qui va mener à la chute du régime du Shah et à l’instauration de la République islamique. C’est le début de la répression et la réduction des libertés, un tout nouveau monde que la petite Marjane, à la langue bien pendue, a du mal à supporter. Ses parents décid
ent de l’envoyer à Vienne pour poursuivre ses études, le tout coïncidant avec le début de son adolescence, une période qui mêle quantité de sentiments contradictoires, entre amour, liberté, rejet et exil… La petite et la grande histoire s’emmêlent pour créer un récit à la fois simple dans sa narration et complexe dans ses intentions.
Ce film est une adaptation de la bande dessinée autobiographique de Marjane Satrapi, publiée au début des années 2000. C’est son point de vue, de petite fille, d’adolescente, de jeune femme qui est ici développé, avec une justesse de l’intime toujours teintée d’une certaine pudeur.
En puisant dans sa propre histoire, Marjane Satrapi tourne le dos à une critique superficielle et policée. Loin des critiques occidentalo-centrées, qui sont déconnectées de la réalité de ceux qui vivent les événements, c’est un témoignage brûlant que nous offre la réalisatrice, une expression réelle et sans tabou d’un spectre s’étendant de l’amour à la douleur, n’hésitant pas à toucher les profondeurs abyssales de ces sentiments.
Pour autant, Persépolis n’est pas une œuvre de pathos mélodramatique. Même si les larmes sont parfois dures à retenir, jamais le film ne recourt à des techniques malhonnêtes pour les extraire de nos yeux. Il est plutôt question d’une mélancolie diffuse et omniprésente pour laisser place à une palette d’émotions large et subtile, et ce sans sentimentalisme, ce qui n’empêche pas pour autant une sensibilité puissante. L’humour est toujours de mise pour désamorcer les situations douloureuses, prouvant s’il le fallait, ce refus de la binarité émotionnelle trop facile. Malgré un message éminemment intime et politique, la pudeur est présente. C’est une œuvre intemporelle et universelle que nous livre Marjane Satrapi, une œuvre que l’on peut revoir des années après, en pouvant toujours s’y raccrocher. Le point de vue subjectif est offert au spectateur tel une invitation à l’humanisme.
Parmi tous les choix de réalisation, celui de retranscrire la bande dessinée noir et blanc à l’écran comme son exact double animé est un pari réussi qui sert le propos. Le style si typique et reconnaissable de Marjane Satrapi devient l’ADN du film à la faveur de ce dernier. Visuellement très abouti, entre Munch et Otto Dix, entre l’estampe et le croquis, le crayon de la réalisatrice est celui de l’expressivité même. Toutes les intentions de réalisation se concentrent dans le minimalisme d’un dessin qui permet de cerner avec justesse cette époque trouble, tant devant les yeux de Marjane qu’à l’intérieur de son cœur. Du noir, du blanc et quelques nuances de gris : l’esthétique de l’image est constamment symbolique, chaque plan semble pensé au millimètre et le hasard n’a pas de place. Couleurs, lumières et cadrages : tout ici sert un propos et une symbolique léchée. Il faut aussi compter sur une utilisation ingénieuse de l’animation qui est elle-même soumise à cette ambivalence de la liberté et de l’oppression.
Pésépolis est important. C’est un film nécessaire, hier comme aujourd’hui, permettant de sortir d’une critique occidentalo-centrée de ces régimes dictatoriaux. Il est nécessaire de donner la parole et d’écouter ceux qui ont vécu ces événements de l’intérieur avec toute l’ambivalence que cela suppose.
Visionner Persépolis, c’est élargir notre regard sur une histoire trop longtemps ignorée et méprisée à force de recourir à la généralisation par l’ignorance. Visionner Persépolis, c’est prendre du plaisir à cette conscientisation devant une adaptation sublimée par l’usage du film d’animation dans toutes ses subtilités.
Manon Faure, membre de l’équipe du ciné-club de l’école du Louvre.
Le ciné-club de l’école du Louvre projette Persépolis le mercredi 21 février à 18h en amphithéâtre Michel-Ange. Séance pour 2€, réservation obligatoire pour les extérieurs à l’école à cineclubecoledulouvre@gmail.com (au plus tard 24h avant !) Plus d’infos.
Je n’ai pas vu l’adaptation en film mais j’ai vraiment adoré ce livre, effectivement c’est un livre nécessaire. Il apprend beaucoup de choses et reste à la fois très touchant.
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