Beatriz Gonzáles, seguir para siempre

Au cas où certains auraient manqué les grandes manifestations de l’année 2017, dédiées aux relations France-Colombie, il ne leur reste plus que quelques jours pour découvrir la Colombie à travers les yeux de Beatriz Gonzáles. En effet, le Centre d’arts plastiques contemporains de Bordeaux (CAPC) consacre une rétrospective à l’artiste qui a commencé sa carrière dans les années soixante.

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La première impression du visiteur lorsqu’il entre dans l’immense espace de la Nef principale, c’est la profusion de couleurs très vives, très gaies. Avec l’absence de perspective, la superposition de plans dans des compositions dynamiques, l’utilisation d’une palette colorée a pendant un temps valu à Beatriz Gonzáles d’être considérée comme une artiste sud-américaine à « l’influence Pop ». Mais ne vous y trompez pas, à bien y regarder, il y a quelque chose de cynique, de plus sombre derrière cette apparente gaieté. L’œuvre présentée ci-dessous, intitulée La Caza in situ (1976), est d’une grande simplicité et de finesse. Pour un moment qui est censé être l’acmé de la chasse, tout y paraît tranquille : le chien semble plus englué dans le sol qu’en plein bond, l’oiseau semble déjà mort, tandis que le chasseur, au loin, s’est endormi.

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Assimiler une artiste femme qui a passé sa vie dans son pays natal à un mouvement de l’histoire de l’art est une vision purement occidentale, peut-être un peu réductrice. Les œuvres de Beatriz sont belles et bien issues de la culture pop, mais considérée dans son sens initial, à savoir le populaire. Sans a priori politique ou considérations artistiques. Se voulant « une artiste de province » mais pas « provinciale », Beatriz Gonzalez sillonne les marchés populaires de Bogota et utilise ce qu’elle en retient pour traduire une vision du goût colombien.

Intimité et universalité

Si le début de l’article met en avant « la découverte de la Colombie » à travers les yeux de l’artiste et non pas « la découverte de Beatriz Gonzáles, artiste colombienne », c’est parce qu’il y a cette impression d’être face à une production qui délivre à la fois de l’universel et de l’intime. Depuis près d’un demi-siècle, cette figure majeure de l’art en Amérique latine ne transmet pas la réalité de la Colombie, à la manière d’un journaliste, non, elle transmet sa réalité, ce qu’elle perçoit, qui pourrait – et qui a sûrement – échappé à une grande partie. Et sa réalité, elle la perçoit dans les journaux de Bogota. Ainsi, à la manière de nombreux artistes des années 1960-1970, comme Erró (voir article Florilège), Beatriz Gonzáles s’alimente des images des journaux de Bogota. Seulement, l’utilisation qu’en fait l’artiste colombienne est autre qu’Erró. En effet, Beatriz Gonzáles se sert des images des journaux, mais sans les décontextualiser du propos initial.IMAG0245

Par exemple, pour une œuvre comme El Silencio (1997), qui illustre le massacre d’une famille par des guérilleros, l’artiste n’illustre pas simplement l’histoire, elle l’universalise. L’Autoportrait de l’artiste qui s’est représentée nue en pleurant, peut être vu comme une icône symbolisant toutes les femmes colombiennes – les mères, les grands-mères, les épouses – pleurant la disparition d’un être cher. Ainsi, en créant à partir de ce qu’elle ressent au plus profond d’elle-même, Beatriz Gonzáles parvient-elle à faire de son œuvre à la fois une forme de journal intime et un témoignage politique plus universel.

 

Au-delà de la politique

Cette rétrospective laisse voir au spectateur le déroulement de la carrière de l’artiste colombienne, de sa quasi iconique œuvre Los Suicidas del Sisga n° 2 (1965) à nos jours; mais également des évènements marquants dans l’histoire de la Colombie. IMAG0260Ces évènements peuvent tout aussi bien être des faits divers, qui, aux yeux de Mme Gonzalez sont tout aussi représentatifs de la vie en Colombie que les évènements historiques mondialement connus comme la prise du Palais de Justice de Bogota le 6 novembre 1985 par les guérilleros du M-19 qui entraîna une réaction rapide et violente de la part du gouvernement en place le 7 novembre, des centaines de personnes ayant été tuées. Dans le documentaire datant de 2011 qui est présenté dans la salle d’exposition, l’artiste raconte que c’est d’ailleurs cet évènement qui marque un tournant dans son travail. De créations critiques que l’on pourrait définir comme ironiques et moqueuses, Beatriz Gonzáles considère qu’il n’est plus possible de rire en évoquant son pays et créée des œuvres plus tragiques. Cela ne se ressent pas nécessairement dans le choix de sa palette, qui reste vive, mais dans la composition de ses œuvres. De créations aux multiples médiums (sérigraphies sur tissus, émaux sur support de métal, peintures sur postes de télévisions…) Beatriz Gonzáles se consacre alors à la peinture à l’huile dans un style pictural plus tranchant que ses premières années.IMAG0225

C’est comme cela, en témoignant du quotidien de son pays à travers son art qu’elle parvient à être de moins en moins considérée comme une artiste « fine et intelligente » mais comme une artiste « transgressive ». Et pourtant, elle ne fait que « témoigner », selon ses propres mots, ce qu’il se produit dans son pays. Et Beatriz compte bien ne pas s’arrêter là.

Il est intéressant de voir, à travers une production artistique si diverse, la gravité de la situation politique colombienne, à un moment où les représentants politiques essaient de (se) convaincre que tout s’arrange et que les médias enchaînent la production de séries hollywoodiennes aguicheuses sur le thème du narcotrafic. Heureusement, il y a fort à parier que, tant qu’elle en aura la capacité, Beatriz Gonzáles continuera de témoigner, selon ses propres mots, de la vie en Colombie.

Article rédigé par Amélie Pascutto

Infos:

  • Beatrix Gonzales, Rétrospective 1965-2017
    Jusqu’au 25 février 2018
    CAPC musée d’art contemporain, 7 Rue Ferrere, 33000 Bordeaux
    Ligne B, arrêt CAPC musée d’art contemporain

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