
A l’occasion de ce deuxième épisode de mes aventures en terre zolienne, laissez-moi vous parler des deux derniers romans de la célèbre saga des Rougon-Macquart que j’ai eu l’occasion de dévorer au cours du mois passé, après une petite trêve au cours du mois de janvier, largement due à la déception qu’a été pour moi La Faute de l’abbé Mouret – mais n’ayez crainte, ce sont ici deux très belles lectures qui vont suivre.
Le premier, Son Excellence Eugène Rougon, propose une plongée au cœur du microcosme des élus politiques sous le Second Empire, avec bien entendu une attention toute particulière prêtée au parcours d’Eugène Rougon, fils aîné de Pierre et Félicité Rougon, le fameux couple évoqué par le titre La Fortune des Rougon. Ce dernier, président du Conseil d’Etat au début du roman, se trouve plongé dans la disgrâce et démissionne… avant de tout mettre en œuvre pour retrouver la faveur de l’empereur, et le pouvoir qui vient avec. On découvre ainsi sa cour, un petit groupe de députés assoiffés de pouvoir, qui roulent à l’opportunisme, mais aussi et surtout son alter ego, sa rivale, Clorinde, jeune femme d’origine italienne dont l’arrogance n’a d’égale que le sens de l’absolu.
Là où ce sixième tome proposait le récit des plus grandes ascensions sociales et des plus féroces ambitions, le septième, L’Assommoir, l’un des plus connus de la fresque, qui a accessoirement failli me causer une dépression lorsque je l’ai lu en classe de Seconde, va au contraire disséquer la misère telle qu’elle a émergé au XIXe siècle, la fatalité, la lutte entre les vices et la vertu, dans une chute d’autant plus vertigineuse qu’elle fait donc immédiatement suite au récit de la vie d’Eugène, cousin de Gervaise, mais à la vie radicalement opposée à celle de la jeune femme.
On suit ces deux protagonistes sur de nombreuses années, avec des bouleversements qui se jouent a priori à des échelles totalement différentes : que pourrait bien avoir en commun une nomination en tant que ministre avec l’ouverture d’une petite blanchisserie dans un quartier populaire de Paris ? Et pourtant, lire ces deux romans l’un après l’autre fait ressortir des parallèles inattendus.
Le plus intéressant dans cette double lecture est ainsi l’étonnante similarité entre les parcours des deux protagonistes, bien qu’ils diffèrent bien entendu dans leur contexte et leur dénouement. Chacun des deux cousins a le même objectif : une vie tranquille et plaisante, qui passerait par le pouvoir pour Rougon et par un travail routinier et aussi peu épuisant que possible pour Gervaise. Tous deux s’échinent lorsqu’il le faut dans le but de pouvoir ensuite se reposer sur leurs acquis, mais se font rattraper par leurs vices propres : l’arrogance de Rougon, qui le pousse à sous-estimer Clorinde, et la faiblesse de Gervaise qui creuse sa propre tombe à travers ses erreurs et ses mauvaises décisions.
Pour autant, condamne-t-on ces deux personnages ? Pas le moins du monde, et ce malgré – à cause de ? – leurs défauts, qui sont comme souvent dans la littérature ce qui rattache le lecteur aux protagonistes. On a au fond chacun au fond de soi une part des excès des Rougon-Macquart, transmise de génération en génération, nourrie par son environnement, comme voulait tant le montrer Zola.
Un autre lien indéniable entre les deux textes demeure enfin leur ton désabusé, perpétuellement cynique, d’une lucidité si aigüe qu’elle en devient dérangeante. Rien n’échappe au regard acéré de Zola, ni les pires travers du genre humain, ni ses réflexes inavouables, ni son instinct d’autoconservation, du moindre effort, la façon dont il entremêle paresse extrême et ambition avide. Ces réflexions à la fois insupportables, passionnantes, indéniables et révoltantes sont comme toujours servies par une plume qui se met au service de l’univers décrit : technique, froide, cruelle dans Son Excellence, truculente, populaire et triviale dans L’Assommoir. Aucun détail ne lui échappe, pas la moindre pique d’ironie, que ce soit lors des séances à l’Assemblée où les députés songent plutôt au déjeuner qu’à l’ordre du jour, ou la visite au musée le jour du mariage de Gervaise, où la noce s’émerveille plutôt du parquet que des œuvres exposées.
N’hésitez donc pas à faire comme moi et à sacrifier votre vie sociale et votre optimisme, plongez-vous dans les Rougon-Macquart et leur enseignement dur, certes, mais ô combien riche !
La suite au prochain épisode, avec Une Page d’Amour, Nana, Pot-Bouille, Au Bonheur des Dames…
Un article de Mademoiselle Bouquine !