
Derrière les figures de renom de l’impressionnisme français tels Degas, Monet, Manet ou encore Renoir, se cache une jeune américaine d’origine française : Mary Cassatt(1844-1926). Malgré sa nationalité et sa condition de femme qui ont parfois pu la desservir, elle sut néanmoins faire sa place auprès des plus grands au point d’être la seule américaine à avoir exposé à leurs côtés. Le musée Jacquemart-André retrace le parcours de cette femme de caractère résolument moderne à travers une très belle exposition, à voir absolument jusqu’au 23 Juillet 2018.Le parcours
Comme toutes les expositions du musée Jacquemart-André, un petit film tiré du documentaire Edgar Degas, Mary Cassatt, les enfants terribles de l’impressionnisme (production MFP) introduit l’exposition. Nous le retrouverons également à travers de courts extraits qui ponctuent la visite. Les commissaires, Dr Nancy Mowll Mathews et Pierre Curie, ont fait le choix de suivre un fil chronologique qui déroule sur les 7 salles dédiées à l’exposition la vie de Mary Cassatt, de son arrivée à Paris jusqu’à ses derniers tableaux avant la Première Guerre Mondiale où elle se retirera à Grasse et arrêtera définitivement de peindre.
La première salle retrace donc les débuts impressionnistes de l’artiste et ses recherches stylistiques. Une belle chronologie efficace permet de comprendre le contexte historique, artistique et social dans lequel s’inscrit Mary. Après avoir étudié à la Pennsylvania Academy of Fine Arts de Philadelphie, elle déménage à Paris en 1865 et ses œuvres feront partie des Salons de 1868 (La Joueuse de Mandoline) et de 1874 (Ida). Mais en 1877, ses œuvres seront refusées par le comité et c’est alors qu’Edgar Degas dont elle est une fervente admiratrice, va lui proposer de rejoindre le groupe des impressionniste. Ainsi, la deuxième partie de la salle met légèrement en lumière cette relation intime qui va se créer entre les deux, mêlant des tableaux de l’un et de l’autre. Mary Cassatt s’inspire nettement des artistes masculins impressionnistes comme Auguste Renoir avec Dans la loge, conservée à Boston. Trône sur la dernière cimaise la tête d’affiche de l’exposition, Petite Fille dans un fauteuil bleu, réalisée pour le pavillon américain de l’Exposition Universelle mais malheureusement rejetée. Après analyse du tableau aux rayons infrarouges, il est apparu qu’initialement une plinthe et un mur fermaient le tableau, mais que Mary se serait ravisée et – sur les conseils de Degas ? – aurait rajouté les canapés et fauteuils en arrière-plan, augmentant ainsi le volume.

Sa famille, très présente avec l’artiste depuis qu’ils se sont installés à Paris en même temps qu’elle au début des années 1880, joue un grand rôle dans sa vie et son Œuvre, notamment les deux figures que sont sa sœur Lydia et son frère Alexander. Ils figurent ainsi tous les deux sur de nombreux portraits que Mary Cassatt exposera à l’Exposition impressionniste de 1881. Se ressent également à travers ses portraits familiaux, le goût particulier pour la mode développé par les deux sœurs, avec un rendu des drapés, des tissus et de la dentelle incroyablement fin. Pierre Curie en a profité, lors du vernissage auquel nous étions conviés, pour présenter le caractère de Mary Cassatt qu’il dit très facilement cernable : femme au caractère bien trempé, orgueilleuse, souvent fâchée (mais aussi réconciliée), un petit peu bourrue avec quelques fois aussi des tendances dépressives. Evidemment, le portrait tranche totalement avec la douceur qui émane de ses tableaux, les tons pastels qu’elle utilise et surtout ces enfants qu’elle peint admirablement ! Mais il nous aide à comprendre comment une femme américaine a réussi à se hisser parmi les grands noms de son domaine, dans une France à l’époque très nationaliste et bien sûr, résolument masculine.
L’exposition regroupe des œuvres de nombreux pays et collections différentes, majoritairement des musées parisiens (Petit Palais, BNF, INHA – collection Jacques Doucet) et américains (New York, Pittsburg, Washington, Philadelphie etc…) et nous permet de comprendre à quel point Mary Cassatt est célébrée aux Etats-Unis– par la richesse des collections là-bas – mais oubliée en France, malgré ses contacts étroits toute sa vie avec le galeriste Paul Durand-Ruel qui contribua à sa première exposition monographique à Paris en 1891 puis à une seconde, plus grande et complète, en 1893 et enfin en 1895 à New York.

Le commissariat de l’exposition 2018 a compris l’enjeu de présenter toutes les techniques par Mary Cassatt comme les huiles sur toile, les pastels et les eaux-fortes mais surtout une technique qu’elle va beaucoup utiliser autour des années 1890, à savoir la pointe sèche et aquatinte en couleurs. En effet, à cette période-là en France arrivent un grand nombre d’estampes japonaises qui fascinent les artistes, influençant ainsi tous les arts et créant le japonisme. Mary Cassatt se donne alors pour pari et chalenge de rivaliser avec ces estampes en perfectionnant sa technique de gravure en creux, en la rendant sophistiquée et difficile mais qui donne alors un rendu unique, comme une composition à peine ébauchée. Ses productions sont magnifiquement mises en valeur et très bien commentées dans la salle numéro 4.

A Mary Cassatt doit être associé le terme de moderne, fait que s’attache à démontrer la dernière partie de l’exposition. En est révélatrice sa participation au comité artistique du Pavillon des Femmes de l’Exposition Universelle de Chicago en 1893. Pour l’occasion et sur le thème de la Femme Moderne, elle peint la fresque « Femmes cueillant les fruits de l’Arbre de la connaissance », désormais perdue, qui s’opposait à la Femme Primitive. Bien que l’exposition mette l’accent sur son côté féministe, s’inscrivant dans la tendance actuelle, il faut replacer le terme dans son contexte ; contrairement à certaines de ces amies américaines, elle ne va pas mener d’actions en faveur de la reconnaissance de la femme, mais incarne elle-même la réussite féminine dans un monde masculin. Parvenue à vivre de ses œuvres, elle acquiert avec son argent le château de Beaufresne (Oise) en 1894. Elle y peindra en plein air ses œuvres « les plus impressionnistes », emplies de calme, de sérénité, bercées par les reflets de l’étang de sa propriété telles Été entre 1894 et 1895.
La salle 6, bien que très petite, « passage » et sans œuvre, offre une plongée immédiate dans le contexte social de l’artiste à la fin du XIXe – début XXe siècle par une magnifique photo de Mary Cassatt à Beaufresne en 1910 entourée de ses amies Durand-Ruel.
Moderniste, l’artiste l’est aussi dans ses portraits, et notamment d’enfants puisque, telle Vigée-Le Brun, elle leur accorde une place toute particulière. Magnifiés tant par la scénographie que par le style de l’artiste, ils deviennent le sujet unique du tableau. L’artiste se concentre sur la figure enfantine parfaitement dessinée au pastel plutôt que sur le reste de la composition, comme un mord sur le vif de l’enfance. J’ai personnellement eu un véritable coup de cœur pour le Portrait de Marie-Thérèse Gaillardpeint en 1894 et issu d’une collection particulière. Mary Cassatt réinvente aussi la traditionnelle Madone à l’Enfant. Même si elle ne fut jamais mère elle-même, ses Mères et enfants diffusent à profusion tout l’amour porté par cette relation intime. Sur certains, Mary frôle même les limites du symbolisme, se rapprochant de l’art des Nabi et d’artistes tels Vuillard. L’exposition se clôt avec un de ses derniers tableaux, peint juste avant la Première Guerre Mondiale, puisque Mary arrêtera définitivement sa carrière dès 1914, en raison de la guerre et surtout de son problème de cataracte qui trouble sa vue. Elle ne reviendra qu’une seule fois sur Paris, pour l’enterrement de son ami de toujours, Edgar Degas, en 1917.
La muséographie
C’est une très belle exposition assez girly que nous propose le musée Jacquemart-André. Très sobre et épurée, les salles nous transportent dans une atmosphère très féminineavec des cimaises aux tons roses pastels, taupe et grisés, un peu comme une chambre de petite fille. Cependant, cela fonctionne parfaitement avec l’étroitesse des salles, créant une ambiance très intimiste et dans laquelle on se sent tout à fait à l’aise. De plus, les couleurs correspondent parfaitement à celles des tableaux par un jeu de couleurs complémentaires, les bleus impressionnistes répondant aux taupe et les ocres aux gris. Le visiteur est plongé dans l’univers de Mary Cassatt et à aucun moment ne se sent oppressé, ce qui a pu arriver dans certaines expositions proposées par le musée (Roberto Longhi, 2015).
Un plus incroyable de cette exposition est l’éclairage. Souvent limité aux œuvres dans les expositions, trop fort ou pas assez, créant des surbrillances et reflets, il est ici parfaitement diffus grâce à une source de lumière zénithale, placée derrière une toile tendue au plafond. Les œuvres sont alors éclairées « naturellement » et vraiment, ça vous change votre perception d’une exposition ! Pas besoin d’aller juste au-devant des œuvres pour les voir correctement ou trouver le bon angle pour ne pas être dérangé par la lumière du spot.
Nous avons aussi beaucoup apprécié la signalétique : les panneaux introductifs de salle, les cartels, les nombreuses citations de l’artiste ou de ses proches, la biographie dès la première salle et surtout les highlights de certains thèmes comme celui de l’Exposition Universelle de Chicago ou encore sur son frère, Alexander. Très bien écrits, ces différents niveaux conviennent à tous les types de visite et un parcours enfantest en plus proposé pour les plus jeunes, que nous n’avons malheureusement pu explorer.
Le musée Jacquemart-André réussit à nous faire entrer dans l’univers de Mary Cassatt, une femme artiste exceptionnelle pour son époque, en retraçant magnifiquement son parcours et ses styles avec des œuvres magnifiques venues des quatre coins du monde. Une très belle rétrospective que la rédaction vous conseille chaudement d’aller voir !
Plus d’informations :
Exposition Mary Cassatt, une impressionniste américaine à Paris, proposée par le Musée Jacquemart-André, du 9 Mars au 23 Juillet 2018. Commissariat : Pierre Curie et Nancy Mowll Mathews.
Horaires d’ouverture : Tlj, 10h à 18h, nocturne le lundi jusqu’à 20h30
Tarifs : Plein tarif : 13,5 € ; tarif réduit : 10,5 € (dont étudiants)
Accès : Métro : lignes 9 et 13 (Saint-Augustin, Miromesnil ou Saint-Philippe du Roule)
RER : RER A (Charles de Gaulle-Étoile)
Bus : lignes 22, 28, 43, 52, 54, 80, 83, 84, 93