
Les écrits d’artistes font partie de ce que l’on appelle la littérature artistique, c’est-à-dire des textes littéraires qui ont pour thème l’art.
Parcours des écrits d’artistes parallèlement à l’Histoire de l’Art
S’ils n’ont été pris en compte que tardivement, les premiers écrits d’artistes connus datent de la Renaissance. Ils étaient alors principalement dus à des peintres, des sculpteurs et des architectes. Afin d’assouvir une volonté de reconnaissance sociale, ces derniers pratiquaient l’écriture en complément de leurs activités principales d’artistes de cour.

En effet, désireux de s’émanciper du statut de l’artisan, l’artiste du Quattrocento met en avant ses capacités intellectuelles dans le but d’atteindre un niveau au moins égal à celui des hommes de lettres. Voient ainsi le jour les premiers traités sur l’art écrits par des artistes. La tradition italienne de l’artiste-écrivant se développe ensuite dans les autres foyers artistiques européens, les Pays du Nord et la France, essentiellement.
Toutefois, la pratique de l’écriture ne se généralise véritablement chez les artistes qu’au moment du développement des avant-gardes historiques. Cette simultanéité pourrait s’expliquer par le fait que les artistes modernes ressentent le besoin d’expliciter des créations qui déconcertent bien souvent le public. Les changements opérés sur le plan artistique trouvent écho dans des formes d’expression écrite qui leur correspondent. C’est ainsi que des groupes d’artistes – tels que les futuristes italiens – qui veulent radicalement rompre avec la tradition s’approprient le manifeste, un genre déjà exploité dans le domaine politique pour communiquer avec force leurs messages et proclamations.
Mais l’élément véritablement novateur de cette époque est l’émergence d’une figure inédite de l’artiste. En effet, si nous considérons qu’à chaque période historique pourrait correspondre un type d’artiste, nous pouvons penser qu’avec la modernité, c’est l’artiste-théoricien qui entre en scène. À cette époque, certains artistes considèrent qu’ils sont les mieux placés pour aborder le sujet de l’art et devenir ainsi leurs propres théoriciens. Contrairement aux critiques et historiens d’art, ils n’examinent pas les choses d’un point de vue extérieur, mais c’est en tant que praticiens qu’ils s’expriment, même quand ils entendent avoir une vision objective [Kandinsky].
Par la suite, il semble que la production d’écrits d’artistes décroît avant de connaître une recrudescence dans les années soixante. Il est possible que le bouleversement profond des pratiques artistiques qui sont l’objet de multiples expérimentations, entraîne de nouveau chez les artistes un impérieux besoin de se faire entendre et d’asseoir leurs positions. On voit alors apparaître des textes argumentatifs sur l’art qui frôlent la philosophie [Buren]. À la figure de l’artiste-théoricien s’ajoute celle de l’artiste-philosophe.
Une pratique aux formes hétérogènes et hybrides
Dans le domaine de l’histoire de l’Art, les écrits d’artistes occupent une place singulière ; d’une part parce-que les auteurs de ces textes ne se définissent pas nécessairement comme des « auteurs » ou des « écrivains ». Ainsi, un artiste peut emprunter un autre mode d’expression que celui du champ artistique à travers des voies discursives, mais il n’en garde pas moins son identité d’artiste.

Ils prennent des formes très variées qui vont du plus intime au plus « extérieur ». Si certains écrivent pour eux-mêmes, ou pour un cercle restreint, tels que le journal ou la correspondance, d’autres ont parfois l’intention de diffuser au plus grand nombre leurs écrits dès le début. Dans un tel cas, le registre de langue a tendance à changer en fonction du public visé. D’autres écrits peuvent ne relever que de la création littéraire, tels que les poèmes et les essais. Enfin, l’ouverture des champs de réflexion au xxe siècle conduit peu à peu à une hybridité des écrits qui deviennent difficilement catégorisables car ils se trouvent bien souvent à la frontière de genres prédéfinis (traités, notes de cours, manifestes, tracts, etc…). Une telle hybridité ne se conçoit guère hors du phénomène de décloisonnement des pratiques artistiques qui aboutit à un effacement des frontières entre les arts au point où des artistes conceptuels vont jusqu’à considérer que c’est le texte qui fait office d’œuvre. [Joseph Kosuth]

Cette diversité des formes peut-être s’expliquer par la montée en puissance d’une individualisation croissante de l’artiste qui amène ce dernier à affirmer de plus en plus sa « singularité » que ce soit auprès d’autrui ou pour lui-même. (voir Nathalie Heinich, L’élite-artiste). Cette mise en avant de sa singularité semble avoir également transformé les modalités du discours de l’artiste. En effet, il semble que par rapport au siècle précédent, qui était une période de développement des écrits, les artistes contemporains écrivent moins sur leur pratique, ou sur tout autre chose. En revanche, il apparaît que le discours, en tant que parole orale, a pris une place plus importante. Cette forme active et immédiate de la pensée de l’artiste contemporain se produit en des occasions particulières, comme les interviews, les vernissages, les entretiens, etc…
Quoiqu’il en soit, les écrits d’artistes ne peuvent être considérés comme de la simple littérature, du fait de la double identité de leurs auteurs (artistes-écrivant) et posent toujours la question du rapport entre les écrits et les œuvres d’art. Bien que les écrits n’apparaissent plus uniquement comme le prolongement, ou l’explication de l’œuvre d’un artiste, la question de la place et de la nature de cette activité se pose toujours. Peut-être que les écrits d’artistes sont une autre forme d’art ? La question reste ouverte….
Article rédigé par Amélie Pascutto
Je suis une ancienne étudiante en lettres, et je n’ai jamais eu l’occasion de me pencher sur ce thème. Votre article et votre point de vue sont très intéressants !!
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