
Au sein de la City de Londres, se cache un petit musée : la Guidhall Art Gallery. Ce lieu, restauré il y a peu, contient de nombreuses surprises comme les restes archéologiques d’un théâtre romain. Cohabite avec cet élément antique un espace d’exposition temporaire où aujourd’hui se tient « Nature Morte : Contemporary Artists Reinvigorate the Still Life ». Exposition d’art contemporain mise en lumière par des oeuvres plus anciennes qui sont, souvent, la source d’inspiration des artistes.
Cette exposition européenne a été réalisée par Roberto Ekholm et Michael Petry, directeur du Moca de Londres, qui la place dans la programmation hors-les-murs de cette institution.
Itinérante, elle est passée depuis 2015 par la Pologne, la Suède et la Norvège avant de poser ses bagages à Londres jusqu’au 2 avril 2018, en rajoutant quelques œuvres pour cette ultime présentation. Plusieurs types d’arts sont mêlés : peinture, sculpture, photographie ou encore animation numérique. Ils s’entremêlent pour aborder une thématique souvent classée inférieure : la nature morte. L’exposition regroupant une centaine d’oeuvres est organisée par catégories. On voyage à travers cet univers qui, dans l’esprit, peut sembler figé à cause des notions de mort mais qui est en réalité plein de vie et de réflexion.
Les artistes présentés sont aussi bien londoniens qu’internationaux. Quelques frenchies s’y faufilent notamment Fantin-Latour, peintre de fleurs du XIXe siècle qui a influencé un bon nombre de créateurs. Les matériaux aussi diffèrent, la taxidermie est présente tout comme le sont des matériaux industriels (sac poubelle ou livre) et des « plus classiques » comme la peinture ou la reproduction photographique.

La première partie présente les échanges entre les artistes d’avant et ceux de maintenant. Les thématiques les plus connues sont alors mises en avant : le végétal avec les fleurs, les animaux et la vanité pour la mort. Car les artistes contemporains ont forcément dans l’esprit les visions de leurs prédécesseurs, parfois datant de quelques siècles. Cela peut être la reprise de motifs dits anciens sur des matériaux modernes comme le montre l’oeuvre Unfold (2007) de Janne Malros. Un héritage est aussi utilisé pour donner un sens, la nature morte peut évoquer le temps passé et révolu avec des acteurs dorénavant décédés ; un memento mori en quelque sorte, que l’on retrouve dans la partie des vanités. Cette idée est beaucoup plus explicite et on a aujourd’hui une critique de la société de consommation avec des objets que tout le monde peut utiliser et surtout, de manière très rapide.


Les animaux ont aussi leur place car ils sont des êtres subissant la mort, naturelle ou à cause de l’Homme. On les retrouve dans les natures mortes depuis le début du genre, vivant ou non. L’animal est un être symbolique, faisant passer de nombreuses idées par sa place dans une oeuvre : la cruauté d’un rongeur, la fidélité du chien, la liberté d’un oiseau… Chaque espèce a ses propres codes. Ici, la technique de la taxidermie est plusieurs fois représentée. On joue avec le corps mort pour lui donner une seconde vie et ce, dans une position voulue. L’artiste Nancy Fouts a suivi cette technique pour son Rabbit with Curlers (2010) où elle utilise la tête d’un lapin taxidermisé disposé comme un trophée de chasse avec des bigoudis et pinces-croco pour enrouler ses oreilles. Un des messages qu’elle souhaite faire passer est que, malgré le fait qu’il soit mort, l’animal souffre toujours. La taxidermie touche aussi le monde des insectes, dont leur fragilité est une référence à celle de la vie. Ils sont parfois apposés sur une oeuvre picturale comme une peinture. C’est le cas de Still life + real Life (2011) de cette même artiste. Elle joue sur le fait que la nature morte de fleurs est souvent hyperréaliste, au point qu’elle a attiré ici des papillons voulant les butiner. Mais, cela peut aussi être une référence à la présence d’insectes dans les compositions florales peintes avec le souhait ici de mélanger les techniques pour que la peinture prennent du relief et joue avec la sculpture.
La seconde partie de l’exposition est uniquement centrée art contemporain. On y retrouve des arts numériques mais aussi de la photographie, peinture et sculpture. Tous les genres sont mélangés et les œuvres se répondent les unes aux autres. On entre alors dans plusieurs univers et il est parfois difficile de comprendre le schéma logique de ce choix de présentation. Mais, ce qui est intéressant, c’est l’architecture de cet espace. En effet, si on lève la tête, on peut admirer les collections permanentes qui se trouvent au premier étage. Ce jeu de profondeur dû à la non présence de plafond est totalement incorporé dans la scénographie : entre les toiles victoriennes on remarque la présence de Very Big Chocolate Cake (2006) d’Andro Semeiko. Le spectateur est invité à explorer le reste du musée et pour ceux ne venant visiter que cette exposition permanente, à avoir un avant-goût de cette nature morte contemporaine qui est à découvrir.
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Du côté de la peinture, la tendance vogue entre le réalisme et l’abstrait, c’est à se demander s’il existe un juste milieu. On retrouve ce réalisme chez Bird rib (2011) de Maurizio Bongiovanni. La mésange est dépeinte avec minutie pour que l’effet des plumes apparentes soit le plus réel possible. On retrouve un effet de photographie animalière avec ce focus réalisé sur l’oiseau et l’arrière-plan flou où juste quelques couleurs évoquent la végétation ambiante. Cette mise en scène est comme pour capter ce cri silencieux, exercice pictural mis en avant par Caravage. On laisse cet oiseau chanteur, symbole des jardins de campagne, dans un cri d’effroi, comme si sa voix s’en était allée. Ses pleurs de désespoir font alors dégouliner la peinture acrylique sur cette toile en des traits rectilignes. Une réflexion profonde se mêle alors à la performance car, depuis l’invention du genre, la performance est mise en avant et devient un exercice de style. Certes, la nature morte est tout en bas de l’échelle de la hiérarchie des genres mais les artistes qui la produisent font naître de l’admiration de toute part, autant collègues qu’amateurs.

Cette notion de performance est visible dans le catalogue d’exposition qui est très complet et développé. Il détaille un peu plus les œuvres présentées en expliquant la volonté de l’artiste et sa vie car ils peuvent être peu connus du grand public. Sous la direction de Michael Petry, cet ouvrage est une référence dans le domaine de la nature morte contemporaine. Le corpus d’artistes, et surtout d’oeuvres, réuni est impressionnant. Il permet surtout d’avoir une base solide et diversifiée pour découvrir ce genre ancien mais toujours présent et lance des pistes de recherche qui ne demandent qu’à être explorées.
Cette exposition est une réussite par sa volonté de comparer maîtres anciens et contemporains, par sa scénographie jouant avec l’architecture du bâtiment et par son côté voyageur en voguant dans toute l’Europe. Le côté négatif est sa petitesse et sa seconde partie où, sans bases solides dans ce domaine ou plus généralement dans l’art contemporain, le visiteur se perd.
Cette exposition permet à chacun de se glisser dans cet univers qui peut paraître désarmant au premier regard et de montrer les talents de demain en brisant les stéréotypes de l’art contemporain.
Pour plus d’informations :
Exposition « Nature Morte : Contemporary Artists Reinvigorate the Still Life »
Jusqu’au 2 Avril 2018