
Le musée national des arts asiatiques Guimet s’est plongé depuis quelques semaines dans une ambiance guerrière et raffinée à la japonaise… Trente-trois armures, toutes plus riches les unes que les autres, sont exposées au sein de l’exposition Daimyo, Seigneurs de la guerre organisée par le musée. Se déroulant sur trois espaces, l’hôtel Heidelbach, la rotonde du musée Guimet et enfin le Palais de Tokyo, on y découvre les attributs des puissants personnages qu’étaient les daimyos sous l’ère Edo (1603 – 1868).
Nous vous proposons dans cet article une présentation des daimyos, de leur mode de vie et de leur époque : de quoi vous préparer à l’exposition, dont nous vous parlerons rapidement en dernière partie.
Qui sont les daimyos ?
Le titre de l’exposition le dit, le daimyo est généralement défini comme un seigneur de guerre. La dénomination n’était pas au début officielle juridiquement. On désignait comme tel les gouverneurs militaires obéissant au shogunat Ashikaga (régnant à l’époque Muromachi, 1336 – 1573), puis les barons guerriers de l’époque Sengoku (ou l’âge des guerres civiles, fin XVe s. – deb XVIe s.) et enfin les seigneurs féodaux lors de la pacification du pays (1568 – 1603) période qui va conduire à l’ère Edo.

C’est à cette dernière période, à la fin du XVIe s., que cela devient un titre précis : le daimyo est un seigneur féodal qui règne sur un territoire et possède sur lui les pleins pouvoirs.
Il est important de bien le différencier du samouraï : celui-ci est sous les ordres du daimyo, il ne possède pas de terre ni de pouvoir légal.
L’âge d’or des daimyos : l’ère d’Edo
Le début de l’ère Edo (1603 – 1868) est marquée par une politique de retour à la paix de la part du nouveau shogun Tokugawa. Pour ce faire il met en place un système hiérarchisé, dont font partie les daimyos et qui doit permettre une stabilité au pays. Sous son autorité directe, les daimyos contrôlent une partie du territoire chacun. Cela permet au shogunat d’avoir facilement la main mise sur l’ensemble du pays.
La hiérarchie est aussi présente entre les daimyos : il existe trois rangs. Les plus puissants sont les shinpan, ce sont les plus proches du shogun. Viennent ensuite les fudai : ce sont les vassaux des Tokugawa qui les ont rejoints avant la bataille de Sekigahara (marquant le début de l’ère Edo). Enfin il y a les tozama qui restent de potentiels ennemis car n’ayant pas rallié le clan avant la bataille.
On calcule ensuite la richesse d’un daimyo par sa production agricole (comptée en koku ou litres de riz nécessaire pour nourrir une personne pendant un an) qui traduit le nombre d’hommes qu’il peut nourrir et donc mobiliser.

Pour s’assurer de leur loyauté le shogun met en place de nombreuses obligations. Les daimyos doivent par exemple posséder une résidence à Edo où devait habiter sa famille et lui même six mois par an. Des châteaux d’une grande richesse ont ainsi été construits par les seigneurs autour de la capitale, en plus de leurs demeures principales.
En plus de ce devoir déjà contraignant, lors de leur voyage jusqu’à la capitale, les daimyos devaient prévoir un cortège en grande pompe pour rendre hommage au shogun.
Au final si les daimyos ont les pleins pouvoir chez eux, ils sont surtout au service du shogunat pour maintenir le pays stable et en paix. Les différents devoirs du daimyo agissent en somme comme une prise en otage. Les incessants déplacements, l’écartèlement des familles et les dépenses qui en découlent éreintent véritablement leur pouvoir économique puis politique. Cela mènera à sa chute l’ère Edo.

Armures et parades
Avec la paix de l’ère Edo, la fonction guerrière des daimyos s’amenuise. Ils se concentrent surtout sur l’administration de leur territoire. Mais, soumis à un code strict de conduite édicté par le shogun, ils conservent leur éducation militaire et la mêle à une éducation proche de celle des lettrés. Ils s’initient de plus en plus aux arts de la calligraphie, de l’arrangement floral ou encore de la cérémonie du thé.

Cela n’est pas immédiat : il était à l’époque difficile de concevoir une vraie période de paix après des siècles de conflits. Les premiers daimyos de l’ère Edo craignent un retour à la guerre et continuent à s’armer et se préparer. C’est peu à peu, vers le début du XVIIIe s, que l’on observe un changement, perceptible notamment dans la fabrication des armures.
Ces armures sont des outils de guerre en premier lieu. Mais elles peuvent aussi représenter beaucoup de choses symboliquement.
Forcés à parader pour le shogun, les daimyos incarnent leurs pouvoirs économique et politique dans des armures d’un grand raffinement où l’on ressent leur sensibilité nouvelle pour les arts. Elles rivalisent de luxe et d’inventivité par une profusion de matériaux (laque, fer, soie, cuir) et de formes exubérantes faites pour impressionner l’adversaire.

Ce sont les casques (kawari kabuto) qui sont les meilleurs témoins de ce qu’essaient de dégager les seigneurs. Ils sont censés faire peur, incarner des valeurs guerrières de courage et d’honneur. Ce sont sûrement les pièces les plus impressionnantes de l’exposition.
En bref ces armures, bien qu’utilisables sur le champ de bataille notamment grâce à leur légèreté, sont surtout symboliques. Elles ont une aura de puissance, de richesse, de présence du seigneur.
Toutes les armures d’époque Edo présentées dans l’exposition ont ainsi principalement servies à la parade, mises à part quelques unes sur lesquelles on peut observer des traces de combats. Très bien mises en valeur par la scénographie du musée, notamment dans la rotonde, elles étaient conservées par leurs propriétaires de la même manière ; vides, sur un coffre.
L’exposition : de rares objets et une association originale

Le musée Guimet a fait appel pour cette exposition au collectionneur et marchand d’art japonais Jean-Christophe Charbonnier. Aujourd’hui l’un des plus grands spécialistes français, il a rassemblé pour l’occasion des objets d’une grande qualité et rarement présentés en France (notamment parce que la plupart sont dans des mains privées).
Néanmoins on peut également admirer deux armures des collections publiques françaises : l‘armure Matsudaira (fin XVIIe – début XVIIIe s), une récente acquisition du musée Guimet, faite grâce à une campagne de crowdfunding (2016).

L’autre armure appartient au musée de l’Armée. Il s’agissait d’un cadeau diplomatique à la France sous Louis XIII : elle se trouve représentée sur les plafonds de la Galerie des Glaces à Versailles !
Par ailleurs le choix de présenter l’exposition en trois parties se justifie pleinement par les propos différents que les différents espaces portent. L’hôtel Heidelbach(dépendant du musée Guimet)présente de façon générale les daimyos, leur époque et leur équipement. La rotonde est une partie concentrée sur les armures ; elle permet une « contemplation », sans beaucoup d’informations.

Enfin on peut s’étonner de la participation du Palais de Tokyo à cette exposition historique. Mais on nous présente dans le musée d’art contemporain une réflexion plus philosophique sur la fonction de l’armure à travers une installation de l’artiste contemporain Georges Henry Longly. L’association est originale mais peut être saluée. Les deux musées profitent de leur proximité géographique pour inviter leur public à découvrir un art vers lequel il ne serait pas forcément allé.

Daimyo, seigneur de la guerre propose une belle introduction en trois actes à l’élite japonaise de l’ère Edo. Ces personnages assez peu connus en France nous ont légué des objets d’une grande qualité esthétique que nous sommes ravis de découvrir au sein du musée Guimet et du Palais de Tokyo.
Infos pratiques : exposition ouverte jusqu’au 13 mai 2018. Plus d’infos pratiques ici.
Aller plus loin :
Pour une présentation plus détaillée de l’exposition en elle même, lisez l’article de nos partenaires Tokonoma !
Pour entendre le commissaire d’exposition, Jean-Christophe Charbonnier, et la directrice du musée Guimet, Sophie Makariou, écoutez l’émission l’Art et la Matière du 25 février 2018.
Pour une description précise de la composition d’une armure japonaise : un article du Musée de l’armée.
Retrouvez aussi en librairie le Beaux-arts magazine et le catalogue consacrés à l’exposition.
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