
Jusqu’au 8 avril prochain, à l’occasion du festival 100%, la Villette accueille une exposition originale : 100% Beaux-Arts. Installée dans la grande Halle de la Villette, elle a ceci de particulier qu’elle présente au monde les futurs grands noms de l’Art.
En effet, cette exposition a été scénographiée par l’école d’Architecture Paris-Malaquais, et présente très exactement 51 artistes dont le seul point commun est d’avoir été diplômé de l’école des Beaux-Arts de Paris au cours des dernières années. Une carte blanche a été laissée aux deux écoles, pour le choix des artistes et pour la présentation en elle-même. Pour autant, les œuvres choisies ne se concentrent pas sur un domaine en particulier ou sur un style spécifique. Sculpture, peinture, photographie, cinéma, tissage… Naturaliste, abstrait, conceptuel, art engagé… Tout y passe ! Il est même fort peu probable que vous vous rendiez à la Villette sans trouver une seule œuvre qui vous séduit parmi les dizaines présentées.
D’un point de vue scénographie, le travail des élèves de Paris-Malaquais est impressionnant ! Du grand volume qu’offre la Villette, ils ont réussi à créer un espace pour chaque artiste, qui convient au projet présenté. Les vidéos sont souvent présentées au centre de la Halle, dans des espaces fermés et plus sombres, tandis que les peintures ont été astucieusement disposées et éclairées le long des allées passantes. La disposition prend aussi en compte le visiteur. La disposition de cloisons, sans cacher l’immensité de l’espace d’exposition, permet de dégager un circuit de déambulation plus ou moins guidé. Le seul bémol de cette scénographie, si on devait en citer un, c’est que certaines œuvres sont moins facilement accessibles, comme les petites salles du centre dans lesquelles sont projetés les films, il faut donc être attentif si l’on veut voir absolument tous les travaux exposés. Une maquette de la scénographie est disponible à l’entrée de l’exposition pour ceux qui souhaiteraient avoir une vue d’ensemble.
Autre astuce, pensez à ouvrir l’œil pendant votre visite, certains artistes sont présents et pourront vous expliquer eux-mêmes leurs idées. D’autres exécuteront même des performances à la Villette pendant le festival 100%, comme l’artiste Claire Isorni dont l’idée est de réfléchir sur l’esquisse de l’autre, à savoir ce que l’on perçoit de quiconque qui n’est soi. Une troisième catégorie se détache : ceux dont l’œuvre inclut une performance. Celle-ci a au moins un représentant : Vincent Deleplanque et son Portrait en Albinos. Comme visible ci-dessous, l’œuvre est semi-performée : la photographie de l’artiste peut être appréhendée seule, mais elle est bien plus frappante quand l’artiste vêtu d’un survêtement noir et plongé dans son téléphone se tient à côté. Elle permet de prendre conscience des différences de ce « double » albinos, et de tout ce que son physique a en moins.
Détailler les cinquante et un artistes exposants serait bien trop long, bien que plus juste. C’est pourquoi, j’ai fait le choix de m’attarder sur deux coups de cœur : Léonard Martin et Justin Weiler.
Léonard Martin, trouver une forme plastique à l’écriture
Léonard Martin a réfléchi dans l’œuvre qu’il a présenté à la représentation de l’écriture : de sa lecture d’Ulysse de James Joyce, il a créé un circuit en bois et en métal. On pourrait l’assimiler de manière assez simple à une sorte de grande montagne russe. Un chariot en bois tourne sur celui-ci avec une boucle de 30 minutes. L’artiste assimile ainsi son travail dans la durée aux brèves 24h sur lesquelles s’étale le roman. Ainsi Léonard Martin est parti à Dublin, et a exploré la ville le livre à la main, revisitant les lieux marquants du roman. Il a rapporté des sons, photos et vidéos de ce voyage, et s’en
est servi pour ponctuer le circuit de son œuvre, L’échappée guère. Le chariot en tournant sur les montagnes russes passe donc devant des vidéos, des automates, des haut-parleurs. Le spectateur profite alors d’une expérience multisensorielle dans laquelle il retrouve l’univers du texte, et à l’instar d’Ulysse, c’est un projet dont il est le héros, puisqu’il peut choisir quoi regarder.
On pourrait d’ailleurs lier cette œuvre, à celle de Raphaël Tiberghien, aussi présent à l’exposition, qui répond aussi à la même problématique de donner forme à l’écriture. Un texte est noté sur une partition avec la ponctuation musicale, et simultanément diffusé en respectant cette même ponctuation à l’aide d’un tourne-disque.
Justin Weiler, contredire la peinture
Cette exposition permet d’affirmer également à quiconque qui en doutait, que la peinture est loin d’être morte. Les travaux de Jean Claracq (ci-dessus) ou encore de Justin Weiler (ci-dessous) le prouvent largement, par la finesse et la beauté du travail tout autant que par sa modernité.
Les œuvres de Justin Weiler, et plus spécifiquement Le Bouquet pour Annie, un ensemble de 27 toiles à l’encre de Chine qui forment une gigantesque nature morte de trois mètres sur quatre. Le peintre s’est inspiré d’une photo qu’il a prise à la fin d’un marché. Le rendu n’était pas supposé être aussi grand : il ne s’agissait que de la toile centrale en premier lieu, peinte il y a 3 ans. Puis l’œuvre a été étendue à 9 toiles, et ainsi de suite jusqu’aux 28 actuelles. En prenant en compte cet élément, n découvre un côté non-fini de l’œuvre : finalement la version présentée n’est qu’une représentation à l’instant T, qui le fige dans le temps, sans être obligatoirement son état définitif. L’artiste explique aussi s’être inspiré de Brueghel pour qui chaque tableau est un ensemble de micro saynètes qui forment un grand ensemble plus uni.
Mais ce qui est encore plus intéressant dans ce fameux bouquet c’est la technique employée, qui ne ressemble à aucune des techniques canoniques. Il s’agit davantage d’une synthèse entre art extrême-oriental et peinture à l’huile. D’Asie, l’artiste réutilise le matériau, et de la peinture à l’huile, le concept de superposition. Ainsi, c’est toujours la même dilution d’encre qui est utilisée, les zones les plus claires sont laissées en réserve, et les zones les plus sombres sont obtenues par la superposition d’une vingtaine de couche. Il y a un côté irrémédiable de la composition, on retire de la lumière au fur et à mesure que l’on peint.
Justin Weiler présente aussi un diptyque entre tableau et sculpture, Mapp, qui permet de montrer la multiplicité des styles de l’artiste.
Une exposition très prometteuse pour la prochaine génération d’artistes, et absolument fascinante, dont la visite est fortement recommandée !