Philippe Descola à la Fondation Louis Vuitton : une autre vision de l’art contemporain

Dans le cadre de son exposition « Au Diapason du Monde », la Fondation Louis Vuitton propose plusieurs conférences autour de personnalités diverses et variées. Après un premier opus consacré à l’Oeuvre de Takashi Murakami en présence de l’artiste, la fondation invitait l’anthropologue Philippe Descola qui, par le biais de ses nombreuses recherches et de son système des ontologies, éclairait certaines oeuvres présentées au sein de l’exposition. Cette conférence intitulée « Composer des Mondes » permettait de s’interroger sur la manière dont se structure notre monde actuel mais surtout, réfléchir sur ces images fabriquées et leurs (potentielles) significations.

L’exposition, à travers l’art contemporain, interroge sur la place de l’Homme dans le monde. L’humain et le non-humain se transforment chaque jour via l’anthropisation de la planète. Dans un sens général, il est possible de définir une image comme quelque chose que l’on perçoit ou imagine. Mais, cette chose a du être discernée avant par le biais de qualités données. Une ontologie regroupe des systèmes qui eux-mêmes regroupent des qualités. Les humains et non-humains sont des blocs possédant des qualités différentes.

L’humain parle et invente des règles et techniques. Pour l’Occident, il est un élément à part mais dans les autres sociétés cela peut être différent car les qualités sociales, mentales et morales sont parfois appliquées sur des non-humains.

Les quatre ontologies

L’hypothèse est qu’il y ait quatre ontologies qui sont des organisations avec des plans physiques et moraux. Les états et qualités sont des éléments singuliers. L’ontologie est donc un fractionnement des êtres et des choses.

L’animisme est une ontologie présente notamment chez les indiens d’Amazonien et dans l’ère Arctique. Les objets sont traités comme des humains car ils ont une âme et peuvent communiquer, les rapports sont alors considérés de personne à personne. L’animisme a été propulsé par Tylor à la fin du XIXe siècle et est devenu aujourd’hui un terme un peu « fourre-tout ».

Le naturalisme est une ontologie présente chez les Occidentaux. L’humain est le seul à entreprendre mais il est régie par des choses autres. On dissocie alors la nature qui est la régularité physique et les principes universels à la culture qui est l’Homme. L’humain a un esprit et c’est par lui qu’il se différencie des non-humains mais divise aussi sa catégorie en différents groupes.

Le totémisme est une ontologie présente notamment chez les aborigènes d’Australie. Les principes sont autant pour les humains que pour les non-humains et toute discontinuité est ignorée. Il y a un un prototype ancestral qui siège et est au plus haut degré. « L’être du Rêve » est le noyau.

L’analogisme est une discontinuité de l’intériorité et des physiques des humains et non-humains. C’est un monde qui est difficile à penser. Un des traits saillants est l’accent sur une fragmentation des intériorites. Ces sociétés sont souvent dualistes.

Il peut y avoir des transitions. Par exemple, le monde grec antique était analogiste et était sur la voie de transformation pour être naturaliste mais il n’a pas eu le temps de la terminer.

L’expression des images

Philippe Descola donne comme définition de figurer le fait de « donner à voir l’armature physiologique du réel. » Mais, rendre présentes des choses invisibles créé des contraintes. Chacun détermine à sa manière un certain guide de la représentation.

Dans l’animisme, on donne au non-humain des choses dites humaines. Par la figuration, il y a la volonté de rendre visible sous diverses formes les intériorités des existences. Ce sont souvent des images composites avec des attributs.

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Masque, culture Yupik, début du XXe siècle, musée du Quai Branly – Jacques Chirac.

La métamorphose est le basculement entre l’intériorité et le corps. Ce changement de point de vue est une sorte d’anamorphose. Il y a besoin de dispositifs comme des masques. Mais cela passe aussi par d’autres moyens comme de la peinture corporelle ou des danses car le mouvement aide à passer d’un état à un autre.

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Masque anthropomorphe à transformation, culture Haida, XIXe siècle, musée du Quai Branly – Jacques Chirac.

Chez les naturalistes, on voit apparaitre au XVe siècle une nouvelle figuration de l’individu. On aperçoit cela dans les enluminures qui ont un cadre réaliste. Les sujets humains ont une physionomie propre mais la manière de les figurer est instable. On remarque une virtuosité croissante dans la peinture de l’âme et une volonté d’imiter la nature.

« L’être du Rêve » est le noyau des aborigènes d’Australie qui sont classés dans l’ontologie totémiste. La figuration est l’identité de la présence des humains et non-humains. Ils veulent rendre le monde conforme aux subdivisions et donnent alors une présentation structurale. Cela s’illustre notamment par les « peintures rayons-x » qui sont des silhouettes humaines et animales dont les squelettes et organes sont visibles. Les caractéristiques sont une netteté de l’organisation morphologique en englobant les attributs, une immobilité figée et pas de d’arrière-plan.

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Peinture sur écorce, aborigènes d’Australie, 1963, musée du Quai Branly – Jacques Chirac

 

 

Les actions de l’« être du Rêve » font des traces comme des dessins dans le sable. Ces enchainements de graphems ponctuent des récits.

Pour l’analogisme, l’objectif figuratif est de rendre présent des correspondances entre des éléments discontinus. On a aussi une désindividualisation. Ce n’est pas imiter le processus culturel mais faire une trame. C’est une méta-relation.

Et dans l’Art Contemporain ? Focus sur quelques oeuvres de l’exposition

L’art contemporain a des problèmes de distinction de ces ontologies. Dans les sociétés occidentales européennes, l’impressionnisme marque un tournant et le cubisme une rupture. L’intuition des formes fait que l’on se dégage de la culture naturelle visuelle. Il y a aussi une expérimentation sur ces formes qui mène à l’art abstrait.

Les images ont une puissance d’agir car elles comportent des signes qui agissent sur les humains et donnent des impressions à qui elles s’adressent.

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©️ Fondation Louis Vuitton

 

 

Anthropométrie sans titre (ANT) 104 d’Yves Klein datant de 1960. Ce sont des empreintes de corps, des traces qu’il a laissé dans le monde. C’est un signe iconique et indiciel d’un processus de continuité spatiale. Il y a de plus en plus de dynamique et il reconstruit le corps du modèle.

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©️ Fondation Louis Vuitton

Dans Untitled (Human Mask)  de Pierre Pluyghe, on retrouve l’ontologie animiste. Le singe vagabonde dans un lieu désaffecté de Fukushima. Il est habillé de vêtements de fillette et porte un masque No. Il montre son intériorité humaine et marche uniquement sur ses pattes arrières. C’est une communication entre l’espèce typée par le corps, les membres sont velus, et l’intériorité humaine.

 

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©️ Fondation Louis Vuitton

Animitas réalisé en 2014 par Christian Boltanski. C’est la représentation de la voir des âmes des morts qui sont invisibles mais sonores par le vent. On a une question de présence et une manière de remplacer l’absence de physique. Souvent, les esprits apparaissent par les bruits et rarement par la vue (souvent lors des transes de chamans). Ce sont des signes indiciels par les clochettes qui s’agitent avec le vent. Comme le dit Merleau-Ponty, « Le propre du visible est d’avoir une doublure d’invisible qu’il rend présent comme une certaine absence. »

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©️ Fondation Louis Vuitton

Emissary forks at perfection par Ian Cheng en 2015. C’est en quelque sorte une histoire darwinienne mais avec beaucoup de mythologies amérindiennes. C’est de la spéciation avec la transformation d’une forme de vie anthropomorphe en une espèce animale ou végétale.

Pour l’Oeuvre de Takashi Murakami, on a deux grandes inspirations qui sont le bouddhisme et le shintoïsme. Cependant, elles sont mélangées avec le naturalisme créant alors une forme d’hybridation originale qui est visible dans l’art contemporain.

Philippe Descola conclut cette rencontre en disant que les manières de figurer les continuités et discontinuités des humains sont très diverses mais pas infinies. Les images ont des libertés de combinaison et de fluidité. Ce sont des mouvements larges qui protègent et renouvellent le Monde. Cependant il peut être difficile de bien voir son état actuel, le contemporain, car, comme le disait Lévi-Strauss, il y a besoin d’un « regard éloigné » pour plus de clarté.

La programme autour de l’exposition actuelle de la Fondation Louis Vuitton continue avec un prochain rendez-vous le 7 juin autour de la psychanalyste Caroline Eliacheff et de l’artiste Christian Boltanski. Plus d’informations  sur leurs évènements : https://billetterie.fondationlouisvuitton.fr/evenements-visite-css5-fondationlouisvuitton-pg1-rg13965.html

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