‘All too Human – Bacon, Freud and a century of painting Life’ à la Tate Britain, Londres

Comment rendre palpable un corps peint? Comment faire ressentir au visiteur la violence même de ses torsions, ou la douceur de sa peau? En bref : comment rendre substance ce qui est surface ? En réponse, la Tate Britain a développé l’exposition ‘All too Human – Bacon, Freud and a century of painting Life’. Ne cherchant pas à montrer un ensemble de corps idéaux mais différentes visions de corps de toutes formes, l’exposition retrace l’évolution de sa représentation au sein de l’Angleterre du XXème siècle – et c’est à la fois beau et brutal.

 

Dans chaque peinture, le corps est mis en danger. Non pas littéralement mais dans sa réalité physique. Ce que l’exposition montre ce n’est pas un réalisme dans sa représentation, mais plutôt une volonté de présenter le corps comme une traduction physique de sentiments, de pensées et même de névroses. Qu’il soit seul – comme dans Portrait de Francis Bacon – ou multitude – avec le Children’s swimming pool de Leon Kossof – le corps se tord, s’enchevêtre. Il cherche à montrer ce que le sujet pense. Tout comme l’esprit fluctue et les idées changent et évolue, l’intégrité du corps humain ici s’effrite. Tout d’abord à travers la peinture, en tant que matériau, mais aussi à travers les sujets : la baignade, le mariage, la famille. Ces sujets ne sont qu’un prétexte pour montrer un corps dynamique et changeant.

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Francis Bacon, Portrait, 1962, Tate Britain

 

L’exposition prend une approche chronologique : les salles se suivent de façon à montrer les liens de ‘parenté’ entre les artistes. Bien que les styles et approches soient différents, la constante narrative réside dans cette volonté de montrer le corps comme changeant. Pour cela, le visiteur comprend rapidement que chaque peintre est lié au prochain : alors que Walter Sickert enseigna la peinture à David Bomberg, ce dernier enseigna à Frank Auerbach et Leon Kossof. Un fil auquel le visiteur peut se raccroché est ainsi crée. Pour comprendre une peinture, il faut avoir compris la précédente, et imaginer la suivante. Ainsi un sentiment de groupe émerge.

 

En effet, cette exposition présente ce que R. B. Kittaj avait défini en 1976 comme la ‘School of London’. Lors de son exposition The Human Clay pour le Arts Council of Great-Britain, il identifia un groupe de peintre figuratif animé par cette même volonté de travailler en dehors de l’avant-garde rigide de l’époque. Et le corps humain fut le principal vecteur de cette volonté. Lucian Freud voyait en la peinture une substance similaire à le peau : ‘I want the paint to work as flesh does’. Ne cherchant non pas la similitude mais l’expression, non pas la ressemblance mais la subversion, ils utilisèrent le corps humain, la peau et la chair comme moyen d’attaquer les conventions artistiques.

 

Bien qu’appelé ‘école’ tout comme l’école de Paris, ou l’école de New York, ce groupe n’en était pas vraiment un : les artistes ne communiquaient pas réellement entre eux. Ils étaient rassemblés non par un style similaire, mais par une même dynamique artistique. Six artistes sont reconnus comme en étant la fondation : Michael Andrews, Francis Bacon, Lucian Freud, Frank Auerbach, Kitaj et Leon Kossoff. Chacun de ces six artistes est présenté dans cette exposition. Bien que celle-ci ne repose pas entièrement sur eux, ils apparaissent néanmoins comme la pierre angulaire, comme le tournant ayant mené à une libération dans la représentation du corps. Ainsi une salle entière met en parallèle Kitaj et Andrews, tandis qu’une autre se focalise presque entièrement sur Freud.

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Michael Andrews, Melanie and Me Swimming, 1978, Tate Britain

 

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Lucian Freud, Sleeping by the Lion Carpet, 1996, Tate Britain

La toute dernière salle se veut être le plus innovante. Présentant la ‘relève’, les héritiers de cette école, on y observe des corps différents du classique corps masculin blanc, majoritaire dans les salles précédentes. De Celia Paul se représentant en peintre et modèle dans un intérieur sombre à Lynette Yiadom-Boakye peignant un homme noir presque imaginaire dans Coterie of questions, l’impact est là. Cependant, le fait que seulement une salle soit dédiée à ces sujets ‘alternatifs’ rend la démarche presque forcée. De plus, la présence d’une sculpture de Giacometti pose question : au-delà du fait que ce corps soit différent des autres, pourquoi présenter une seule sculpture et ne pas continuer dans cette voie?

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Celia Paul, Painter and model, 2012, Courtesy of Celia Paul and Victoria Miro, London/Venice

 

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Lynette Yiadom-Boayke, Coteries of Question, 2015, Private Collection

Bizarrement, la puissance et brutalité des corps présentés contrastent avec un accrochage bien trop simple: sur un mur blanc, les toiles sont disposées de façon rythmique, régulière, éclairées par une simple lumière sommitale. Une scénographie trop classique qui déçoit dans la mesure où les œuvres ne ressortent pas assez. Alors que chaque œuvre marque, l’ensemble n’est pas assez frappant. Bien que cette disposition égalitaire supporte l’idée que chaque corps et chaque vision du corps se valent, aucune des peintures n’est individualisée. Peut-être que des salles plus sombres, qu’un mur gris et qu’une lumière se focalisant sur chaque œuvre auraient permis de rendre chaque œuvre encore plus frappante, tout en créant un ensemble distinct mais percutant. Et c’est peut-être la seule chose que l’on pourrait reprocher à cette exposition : une scénographie trop classique pour un thème, un ensemble et une approche innovants.

 

 

Cette exposition reste néanmoins une des plus réussie de cette année : chaque œuvre laisse un souvenir vif et tranchant. Malgré une centaine d’œuvre, on souhaite être toujours plus charmé, frappé, effrayé, gêné et surtout émerveillé par ce qui semble être un corpus à la fois doux et brutal.

 

‘All too Human – Bacon, Freud and a century of painting Life’ a lieu à la Tate Britain, Londres et se déroule du 27 Février au 28 Août 2018

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Francis Bacon, Screaming Pope – study after Velazquez, 1950, The Estate of Francis Bacon

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