Keith Haring, un artiste ubiquiste

Qui a déjà entendu parler de l’œuvre de Keith Haring et de ses bonhommes dessinés sur des aplats colorés ? La réponse est tout le monde ! Cet artiste dont l’ouvrage est encore omniprésent de nos jours a réussi son pari. Rendre son art accessible. Encore aujourd’hui, des milliers de produits dérivés se vendent chaque année ce qui fait de lui un artiste accompli et reconnu.

Revenons sur les traces de cet artiste fureteur puisant son inspiration dans les sources visuelles qui l’entourent …

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« Je voudrais faire de l’art qui soit vécu et exploré par le plus grand nombre d’individus possible, avec autant d’idées diverses individuelles sur une œuvre déterminée, sans qu’un sens soit fixé définitivement. C’est le spectateur, qui le premier, donne à l’œuvre sa réalité, sa conception et sa signification. Je ne suis que l’intermédiaire qui tente de rassembler les idées. » Extrait de son Journal de 1978.

Un style propre et identifiable :

Cet artiste est né en 1958, en Pennsylvanie, dans une famille ordinaire et conservatrice. Baigné par l’art dès son enfance, Keith Haring témoigne d’une envie de dessiner grâce à son père, en apprenant les rudiments de la BD et en découvrant à la télévision la culture populaire comme Walt Disney ou les Tex Avery. Puis, jeune adulte, il s’inscrit à la SVA (School of Visual Art) et c’est dans cette école qu’Haring affirme son style. Il délaisse les formes abstraites de ses prédécesseurs de la fin des années 70, comme l’essai Du spirituel dans l’art de Vassily Kandinsky ou les paysages urbains carreaux de Paul Klee au profit d’une figuration dynamique. Sa ligne noire, contour omniprésent de ses éléments s’élabore. Il l’exécute sans pause, ni recul jusqu’à son achèvement. Cette ligne est ininterrompue. Elle deviendra son moyen d’expression.

Untitled 1978, Encre de chine sur papier, 290.271, NY Keith Haring fondation
Keith Haring, Dessin, 1978. 

A la SVA, il participe activement à des cours de sémiologie et de langage. Ses connaissances influent son travail. Dans son langage pictural et iconographie, Keith Haring invente un répertoire composé de pictogrammes, des « icônes » comme il l’aime les appeler dans son Journal. Il s’amuse à les réutiliser en les modifiant sournoisement ou en les combinant dans ses œuvres. Par exemple, on trouve des silhouettes humaines cernées, des soucoupes volantes, des visages rieurs, des cœurs, des monstres et un bestiaire fantastique.

 

Ces éléments proviennent de la culture populaire, du cinéma, de la bande dessinée ou des dessins animés qui sont autant de signes entremêlés à déchiffrer. Deux d’entre eux sont majeurs ; le chien auréolé de rayons qui aboie et le bébé à quatre pattes.

Les personnages de Keith Haring évoluent sur un support préalablement choisi. Tableaux publicitaire de métro, bâches, sculptures, affiches et murs de bâtiments ; tout devient un prétexte pour y faire de l’art. Ses figures sont alors simplifiées au maximum, interchangeables et faciles à reproduire. Cette aventure pictographique et œuvre de vie débute en 1980.

Pour donner sens à ces pictogrammes, l’artiste combine ses figures entre elles. En dotant ces pictogrammes de légères modifications ou en les mettant en scène différemment, de nouvelles significations émergent. Ainsi, la silhouette libre du chien à la gueule grande ouverte peut aussi bien représenter un chien qui aboie, qui mord ou qui halète.

Un artiste qui transpose des expériences de son époque :

Ses expériences personnelles et les actualités de son époque enrichissent son œuvre. D’une part, arrivé à New-York, il découvre peu à peu la scène underground. Il fréquente alors les boîtes de nuits et les clubs les plus réputés de la ville et devient l’amant de nombreux D-J. La danse et la musique font partie intégrante de son nouveau quotidien même s’il ne pratique pas. Ces expériences et la joie vibrante qui en découle sont des sources d’inspirations qu’il n’hésite pas à retransmettre dans ses œuvres. Son art nous amène à célébrer l’humanité en chacun de nous dans lequel l’homme est considéré dans toute son individualité.

D’autre part, il s’engage activement contre le système et participe à des manifestations et des revendications. Il multiplie les causes à défendre et s’insurge par son art. En effet, il se bat contre l’oppression de l’individu des dictatures, contre le racisme, la religion et le capitalisme. Il s’investit pour la santé des enfants, contre le crack et l’épidémie de sida, participe au combat contre l’apartheid en Afrique du Sud et il se dresse contre le nucléaire et la pollution croissante.

Plus tard, le SIDA préoccupe l’œuvre Keith Haring. Depuis les années 80, la population tend à prendre conscience des effets ravageurs du SIDA et porte une attention particulière à cette maladie. Haring est directement confronté à ce syndrome qui détruit son entourage culturel. Nombre de ses amis et connaissances sont décédés. Se sentant menacé à son tour, il s’investit dans des campagnes contre le SIDA et distribue des affiches dans la rue en signe d’information.

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Ignorance = Fear, Silence = Death, 1989, Poster, 61*110 cm New York, The Keith Haring Foundation

Malheureusement, la maladie ne l’épargne pas à la fin des années 1980. Néanmoins, elle lui apporte une introspection dans son travail qui prend une tout autre tournure. L’ouvrage de Keith Haring s’enrichit par des lectures philosophiques, sociologiques et des amitiés naissantes comme William Burroughs. Il acquiert une finesse et une complexité toute neuve auquel il ressent le besoin de créer des œuvres plus exigeantes sur le plan du contenu. Il crée des tableaux forts dont certain ont un caractère agitateur ou d’autres sont inachevés. Peu à peu ses messages iconographiques perdent peu à peu de lisibilité. Il laisse alors des traînées de peintures.

Rendre un art accessible à tous en y célébrant la vie :

Dès son arrivée à New-York, Keith Haring fait le choix de sortir de l’atelier, de travailler devant les passants en se confrontant aux questionnements de l’espace urbain par des interventions éphémères ou pérennes. Ainsi, il donne l’élan d’une dynamique artistique urbaine différente de celle des graffeurs. Il met en place un acte performatif perceptible par tous les passants. Ainsi, il invente les « subways drawings » – œuvres réalisées à la craie sur les panneaux publicitaires noires des stations de métro – qui peuvent toucher le plus grand nombre. Le métro devient son « laboratoire » comme il le formule. Il se livre à d’innombrables expériences en variant les thèmes qu’il peignait déjà dans son atelier.

 

Aussi, la façade d’immeuble est une toile à ciel ouvert idéale pour se faire remarquer. Il en réalise de nombreuses lors de ses voyages et même à New-York. C’est un artiste dynamique qui ressent toujours le besoin de parcourir le monde pour y entreprendre son art. Il laisse de nos jours un ouvrage conséquent et multiple.

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La fresque de l’hôpital Necker, Paris.

Toutefois, même si l’intention première de Keith Haring est d’un art démocratisé, par les rencontres comme Léo Castelli, il ne refuse pas d’exposer son travail dans des musées ou des galeries du monde entier. Sa première exposition officielle se situe dans la galerie de Tony Shafrazi, auquel il a travaillé deux ans plus tôt en tant qu’assistant. C’est à cette exposition qu’il choisit de peindre sur des bâches, matériau pratique à utiliser et disponible en grande quantité.

Keith Haring solo exhibition opens at Tony Shafrazi Gallery in SoHo
Vue de l’exposition Keith Haring, galerie Tony Shafrazi, New York, 1982.

Grâce à la rencontre avec Angel Ortiz, jeune graffitiste repéré dans la rue, il se met à peindre ses pictogrammes sur des sculptures en y mêlant des peintures fluorescentes. Les deux artistes transforment des symboles culturels en jouant sur leur échelle et sur leur matière, en des objets « pop » de la société de consommation, sans respecter leurs significations culturelles et politiques, mais qui pourtant trouve sa place en musée. En effet, leur statue de la Liberté est réduite à taille humaine et recouverte de couleurs vives. Cette dernière est parée par les deux artistes de leurs formes d’expressions, ce qui peut être perçu comme un acte politique de profanation.

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Keith Haring et LA II, Statue of Liberty, 1982, acrylique et émail fluorescent sur figure, fibre de verre et ampoule noire, 241,3*88,9*35,6 cm

C’est en rencontrant Andy Warhol en 1986 que se déclenche naturellement la commercialisation de son art. Il ouvre son premier Pop Shop en 1986 à Manhattan où il vend des objets de la vie quotidienne à l’image de son art ainsi que ceux de quelques amis. Par cette opération, il peut mettre à disposition un art populaire compréhensible de tous et par la même occasion, il tient à son propre marchand pour pouvoir préserver son intégrité et sa distance vis-à-vis du marché de l’art établi.

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Pop Shop à Tokyo

Haring se moque des revenus que peut rapporter le Pop Shop. Il reverse la majeure partie des recettes à des œuvres caritatives. Cet accès illimité par le public lui permet d’échapper à l’idée d’un art sophistiqué produit pour une certaine élite et accessible uniquement à elle seule. Seulement, la critique reproche cette démarche commerciale, qui semble à l’encontre de ses idéaux alors que l’aspect commercial n’est pas la préoccupation première de Haring qui veut surtout satisfaire le besoin de plus en plus fort du public de participer à son art. A la fin des années 1980, il renouvelle l’expérience à Tokyo. Malgré une demande importante, l’entreprise n’a pas fonctionné en raison des prix trop excessifs.

Pour conclure, Keith Haring n’a pas emprunté les chemins conventionnels de l’art. Il a en effet « sauté » la phase de reconnaissance muséale et s’est tourné directement vers le vaste public, veillant personnellement à la propagation de son art. Il se distingue de ses contemporains comme Jean-Michel Basquiat, Eric Haze ou encore John Ahearn et Rammellzze en touchant le plus grand nombre d’individus possible. A la fin de sa vie, il décide d’ouvrir sa fondation : The Keith Haring Foundation, à l’aide de son assistante Julia Gruen, où chaque bénéfice peut être reversé à des œuvres de bienfaisance consacrées aux enfants et des organisations qui militent pour la prévention contre le sida. Par la même occasion, il pérennise son art. Il décède en janvier 1990 à cause du SIDA.


Pour aller plus loin :

  • HERGOTT Fabrice. Keith Haring, the Political Line, expo, Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (19 avril- 18 août 2013), Paris, Paris-Musées, 2013.
  • KOLOSSA Alexandra. Keith Haring. Taschen, Paris, 2004.
  • LITTMAN, Klaus. Keith Haring, Editions On Paper 1982-1990. Cantz, Stuttgart, 1997

 

Article écrit par Laëtitia Raawan.

 

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