When Beauty visits : une furtive performance de l’intime

when beauty visits

Lee Mingwei, When Beauty Visits, 57th International Art Exhibition – Biennale di Venezia « Viva Arte Viva », 2017May-November.

 

Avant-propos

Certains ont pu voir cette performance à Lors de la 57e édition de la Biennale de Venise qui était aussi à vivre. Le genre des performances est apparu dans les années 1960 pour subsister jusqu’à aujourd’hui. Mais les propositions qui sont faites de nos jours peuvent être considérées à plusieurs égards moins percutantes. De nos jours, qui peut affirmer que les actes performatifs nous touchent, nous bouleversent, nous marquent sur le long terme ? Si il est certain que des œuvres d’art peuvent nous toucher et laisser des traces en nous, cela vaut peut-être plus pour les actes performatifs, d’autant plus quand le spectateur joue un rôle. Une performance n’a pas le même impact lorsqu’on la regarde que lorsqu’on la joue. Le système, les gestes et le concept restent les mêmes mais les points de vus diffèrent, ce qui amène nécessairement à une perception différente.

Nota au lecteur : ce texte se présente de manière expérimentale, se trouvant à mi-chemin entre le témoignage et une analyse de la performance. C’est pourquoi il se veut, et s’assume être exceptionnellement à la première personne du singulier. En effet, il serait malhonnête d’affirmer que l’auteur s’exprime en toute objectivité alors même que qu’il a été pendant un moment un élément acteur/sujet de cette performance. Il vous partage ici, avec vous, son intimité et les sentiments intérieurs qui l’animaient aux différents stades de cette expérience.

Le moment de l’expérience

Cela se passait donc à Venise, dans le pavillon italien des Giardini.

L’immense pavillon italien – dont les œuvres présentées pouvaient se retrouver sous le thème de l’utopie et de l’appel à une interprétation nouvelle de la réalité – était pensé comme un parcours cohérent divisé en neuf chapitres qui rassemblait aussi bien des créateurs récents que des artistes de générations précédentes. En vérité, face à cette profusion d’œuvres provenant d’artistes aux origines et générations différentes, je me suis retrouvée un peu déconcertée.

J’étais donc au beau milieu d’un espace qui présentait des œuvres diversifiées, et je me demandais quelle direction j’allais choisir pour parcourir la salle. Puis une femme est apparue à travers une petite porte de service. Elle était vêtue de ce qui m’apparaissait comme un vêtement traditionnel chinois. Je la suivais du regard alors qu’elle se déplaçait d’un pas lent et maîtrisé au milieu du public qui semblait à peine la remarquer. Puis, s’étant rapprochée de moi, la femme m’invite à la suivre dans le jardin. Je ne prétends aucunement avoir été « élue » comme me l’affirmèrent un groupe de touristes français par la suite. Je pense que c’est l’insistance de mon regard qui a attiré la performeuse vers moi. En effet, la plupart des personnes présentes dans le même espace que nous ne lui prêtaient même pas attention, ou alors très rapidement. Moi j’étais là, figée, curieuse de voir la suite des évènements. Et lorsqu’elle s’est dirigée dans ma direction je n’ai pas cherché à éviter le contact. En revenant sur les lieux de la performance, pour observer l’évènement d’un œil plus extérieur, j’ai remarqué que certaines personnes en revanche évitaient tout contact, visuel ou physique. Une personne a même refusé l’invitation. Quoiqu’il en soit, à ce premier contact, intimidée mais curieuse j’acceptai la proposition et la suivis en essayant de garder le même rythme qu’elle. A ce moment-là, je ne prêtais plus vraiment attention à ce qu’il se passait autour mais me concentrais sur le moment présent. C’est lorsque nous avons franchi la porte qui mène au jardin, que nous avons atteint l’unique chaise disposée en son centre et que la jeune femme m’a invité à m’asseoir que j’ai remarqué qu’un groupe de visiteurs nous avaient suivi pour assister à la performance. Une fois assise, la performeuse m’a annoncé qu’il fallait que je reste assise à l’attendre, qu’elle avait un présent pour moi.

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Une fois qu’elle fut partie, je commençais à être gênée, mes mains devenaient moites car j’entendais de façon de plus en plus prononcée les bruits causés par les regardeurs. Afin de rester concentrée, je détournai le regard de l’autre côté. Et là, en regardant la beauté de la lumière qui se reflétait sur les feuilles d’une plante grimpante, en traînant mon regard sur les reflets dans le bassin habités par de beaux poissons rouges, et en écoutant le chant mélodieux d’oiseaux que je ne parvenais pas à voir, je parvins presque à oublier la présence du groupe de spectateurs à quelques mètres de moi. Je réussis à me calmer en faisant tout pour profiter du moment qui m’était offert. Je ne sais pas combien de temps cela a duré : deux minutes ? Ou cinq ? Ou alors quarante-cinq secondes ? Peut-être plus. Le son d’une clochette se rapprochant de l’endroit où nous étions fit taire les badauds et détourna mon attention du chant des oiseaux. Je regardais la femme avancer vers moi. Cette fois-ci elle portait de façon très solennelle un plateau. Lorsque nous fûmes face à face elle me chuchota – tous nos échanges s’étaient effectués dans le chuchotement – qu’elle souhaitait me faire un présent à travers une enveloppe au papier épais, cacheté d’une cire rouge. Mon hôte m’informa en anglais que lorsque je vivrais un moment de beauté, émotionnellement fort je pourrais ouvrir la lettre. Je pouvais le faire d’ici des mois, ou des années, ou même dans la journée. L’unique condition était que je ne devais pas l’ouvrir devant elle. Une fois ma promesse tenue, elle est repartie, de son pas lent et contrôlé. Dès que je ne l’aperçus plus, je me levai, inséra la précieuse enveloppe dans mon sac et retournai à la réalité en me confrontant aux gens qui m’interrogeait sur ce que je venais de vivre, et ceux qui prenaient des photos.

Je voulu continuer mon chemin. Seulement, le moment d’intimité que j’avais partagé avec cette inconnue restait gravé dans mon être. Au bout d’un moment, je ne pus m’empêcher de retourner sur les lieux pour observer ce que je venais de vivre. J’attendis donc l’apparition de la femme. Lorsqu’elle invita quelqu’un à la rejoindre – un homme cette fois-ci – j’ai spontanément pressenti qu’il n’y avait aucun intérêt à rester. Ce n’était pas pareil. Je trouvais cela moins fort que dans mon proche souvenir. D’un point de vue extérieur, il ne me semblait même plus percevoir la moindre émotion. Et puis je savais ce qui allait se passait. J’ai préféré partir.

Réminiscences de l’expérience

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De retour chez moi, j’ai voulu effectuer quelques recherches sur l’artiste qui m’avait fait vivre une expérience performative. Je ne dirais pas que bien mal m’en a pris, mais il est sûr qu’avec le temps, loin de Venise et les explications trouvées sur internet, le charme s’est quelque peu rompu. La première des raisons étant que, moi qui avais imaginé tant de choses sur le contenu de la mystérieuse enveloppe cachetée, je fus déçu d’apprendre qu’elle ne contenait que le témoignage d’une personne ayant rencontré « elle aussi » un moment de beauté. Ainsi donc le propos de l’artiste se complexifiait. Au lieu d’un simple acte performatif basé sur la rencontre entre deux inconnus, l’œuvre perdure, sans limite dans le temps et dans l’espace. Le deuxième élément – qui ne m’a pas réellement déçu mais qui a participé à rompre le charme – est que l’artiste raconte avoir recueilli des histoires d’amis ou d’étrangers ayant rencontré la beauté pour les mettre dans ces enveloppes. Peut-être étais-je déçue d’apprendre que l’artiste n’avait pas récolté les témoignages uniquement d’étrangers. J’avais le sentiment que l’artiste avait quelque peu « gâché » son œuvre en ne poussant pas le concept de la rencontre avec un étranger jusqu’au bout. Pourtant, les gens qui sont familiers à cette personne que je ne connais pas reste pour moi des étrangers ! Bien que déçue par la nature du contenu de la lettre, je ne me suis pas permis de rompre le pacte. La cire a difficilement supporté le voyage du retour et s’est décachetée. Je vous avouerai que j’ai gardé la lettre dans mon sac pendant plus d’une semaine après mon retour, avec cet espoir et ce désir de [re]vivre un moment de beauté et d’avoir la lettre sur moi pour la lire au moment voulu. Je ne considère pas avoir revécut un moment aussi beau que celui où j’attendais l’hôte en écoutant le chant des oiseaux dans le jardin ensoleillé par la lumière si particulière de la Sérénissime, mais je n’ai toujours pas lu le contenu de la lettre. A peine j’ose m’en approcher pour ne pas gâcher mon plaisir futur, ne serait-ce qu’en apercevant le bout d’un mot, ou d’une lettre.

Enfin, le dernier élément qui m’a définitivement fait prendre du recul avec la performance est lorsqu’il m’a été révélé que Lee Mingwei n’était pas une femme. La personne avec qui j’ai partagé un moment si particulier n’était pas l’artiste en personne, l’auteur de la performance mais une interprète de cette même performance ! Pendant le voyage je m’étais déjà questionné sur la possibilité pour qu’une personne puisse reproduire des dizaines de fois par jour pendant six mois le même acte. En effet, à ce rythme-là cela ne tient plus de la performance mais de la torture. J’aurais donc dû me douter qu’il fut fort peu probable que la personne avec qui j’avais partagé le moment ne soit pas l’artiste lui-même. Pourtant je fus désappointée. Cela signifiait que je n’avais pas eu un bref contact avec Lee Mingwei mais avec une inconnue, une femme qui me restera à jamais anonyme. A bien y réfléchir, ne me contredis-je pas à penser que d’un côté il est décevant que l’artiste ne « pousse » pas le concept de la rencontre de l’étranger jusqu’au bout avec les témoignages, mais que de l’autre il soit décevant que ce soit justement une hôte anonyme qui fasse vivre la performance ? J’avais vécu la performance When Beauty visits, de Lee Mingwei comme un acte ouvrant à l’intime entre deux personnes étrangères. Mais peut-on vraiment parler de performance de l’intimité lorsque cette personne n’est pas l’artiste lui-même ? Contrariée, je me suis dit pendant un temps que cela était propre aux artistes contemporains, qui ne pouvaient s’empêcher de se décharger personnellement de toute émotion, de tout sentiment intérieur, même lorsque cela est le propos de leurs œuvres. Qu’en faisant reproduire ce qu’ils pensent par d’autres, ils finissent par prendre trop de distance et que cela dessert quelque peu le propos initial. En fait je me suis sentie un peu trahie. J’avais donné ma confiance, m’étais ouverte à une personne que je pensais s’appeler Lee puisque je me suis fiée à l’enveloppe et au cartel. Et des jours après j’apprends que cela n’en était rien. Quelle naïveté !

Et finalement, peu importe que je me sois ouvert à une femme totalement anonyme, puisque le moment que nous avons vécu, ensemble et pendant un temps chacune de notre côté, était réel. L’important comme le dit François Jullien dans son livre De l’intime. Loin du bruyant amour, c’est la rencontre avec l’autre, qu’importe qui il puisse être.

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La colère – si on peut vraiment appeler cela de la colère – retombée, j’ai vu les choses d’une autre manière. Et si le propos de Lee Mingwei n’était pas de partager un moment d’intimité avec un inconnu mais de faire partager un moment d’intimité entre des inconnus ?

Alors, à ce moment-là – et peut-être est-ce le détail qui nous fait basculer dans l’intime – ce n’est pas qui agit qui importe mais ce qui doit apparaître, se partager entre deux personnes, qu’importe les regards inquisiteurs. Peut-être ma déception tient-elle du fait que le partage de l’intimité ne dure pas sur le long terme mais ne se produit véritablement qu’au moment de la rencontre physique. L’apparition de l’intime dans cette performance se fonde sur la rencontre et l’engagement mutuel. Lorsque je considérerai que c’est le bon moment, je lirais la lettre, et peut-être que ce moment d’intimité resurgira à travers ma lecture, même si l’histoire différera de ce que j’ai vécu. De là se pose tout de même cette question finale : la performance «  a réussi » dans le sens où j’ai ressenti quelque chose à ce moment-là. Mais les personnes qui comme moi, sont allées dans le jardin sont-elles parvenues à s’ouvrir à leur hôte ou sont-elles restées dans le contexte performance/public ? Ont-elles rompu le pacte pour voir avec leurs amis le contenu de la lettre ? Là encore, je préfère ne pas trop m’appesantir sur le sujet, et préfère ne penser qu’au moment singulier et unique que j’ai pu partager. Le reste, je le laisse aux autres.

Article rédigé par Amélie Pascutto

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