
Takato Yamamoto est un artiste né en 1960, dans la préfecture de Akita, au Japon. Il est à la fois dessinateur, illustrateur et diplômé de peinture de l’Université de Zokei à Tokyo en 1983.
Ukiyo-e
L’artiste est l’héritier du style Ukiyo-e 浮世絵, dans lequel il exerce de 1991 à 1993 en tant qu’illustrateur. Ukiyo-e se traduit par « les images du Monde flottant » ou encore « images du Monde chagriné ». Le concept du style Ukiyo-e est théorisé par le romancier Asai Ryôi en 1661 dans son livre Ukiyo-monogatari Récits de la vie flottante. Le genre appelle à une philosophie de légèreté et à une certaine poésie populaire, optimiste et insouciante, entre nature idéalisée et prépondérance de la culture traditionnelle.
Le genre se caractérise par une technique d’impression japonaise en blocs de bois ayant connu son essor entre le XVIIe siècle et le XIXe, (1603-1868), correspondant environ aux 250 années plutôt pacifiques du règne des shoguns Tokugawa. Cette période fait de Tokyo, alors Edo, le centre du pouvoir politique. Ce courant artistique vit de nombreux artistes émerger tels que Torii Kiyonaga (1752-1815), Kitagawa Utamaro (1753-1806), Utagawa Hiroshige (1797-1858) ou encore le très célèbre Hokusai (1760-1849) et son travail célèbre La Grande vague de Kanagawa (publiée entre 1830 et 1833, première œuvre des » Trente-six vues du Mont Fuji « ).
La technique d’impression japonaise sur blocs de bois date du VIIIe siècle et vient de Chine. Elle servait, au départ, à l’illustration de textes religieux bouddhistes. C’est au cours du XVIIe siècle que la technique s’ouvre au monde des poèmes et des romans. Cette forme d’art représente la mise en avant de classes sociales auparavant invisibles dans la société japonaise. Les commerçants qui, malgré le fait qu’ils constituent les segments les plus riches de la population, sont encore au plus bas de la pyramide sociale traditionnelle (Guerriers, Artisans, Fermiers). Ces classes sociales commerçantes se tournent alors vers l’art et la culture, recherchant dans le perfectionnement stylistique un moyen d’obtenir la reconnaissance des autres classes, un statut culturel. Cette technique profite alors d’une visibilité qui s’accroît par l’essor économique de ces mêmes classes dans un contexte urbain (Tokyo alors Edo, Osaka, Sakai), jusqu’à devenir une forme d’art remplissant son rôle d’art populaire, préfigurant des consommations d’images massives, présentes aujourd’hui dans la société japonaise.
Les images à l’encre noire sur papier blanc vont peu à peu s’ouvrir à des palettes de couleurs. A la fin du XVIIIe siècle, l’impression se fait sur des estampes multicolores nommées Nishiki-e. Dans les productions graphiques, on retrouve des thèmes récurrents comme la nature, des situations culturelles féodales et traditionnelles teintées d’érotisme, classées sous le qualificatif « Shunga », parfois directement pornographiques. Au départ déconsidérée, cette forme d’art va peu à peu se populariser, devenir accessible et techniquement très sophistiquée. Elle inspirera également de nombreux artistes occidentaux.
Heisei Esthetism
Le Heisei Esthetism est le sous genre d’art Neo Ukiyo-e de l’artiste Takato Yamamoto : il y apporte une approche personnelle. Réalisant au départ des couvertures de romans et de nouvelles, Takata va peu à peu faire connaître son art, exposant pour la première fois en 1998 à la galerie Creation G8 à Ginza et portant le nom de son sous genre « Heisei Esthetics ». Il exposera également en Europe, remarquons son passage en 2005 à Rome à la galerie Mondo Bizzarro. Il publiera également plusieurs recueils ou illustrations de romans (Divertimiento for a Martyr 2006, Coffin of a Chimera 2010, Necrophantasmagoria 2012, Grass Labyrinth 2014).
Tout comme dans le Ukiyo-e, la dimension érotique est conservée, l’aspect noir remplaçant l’oisiveté et la douceur est toujours présent, mais sinistre. On voit des corps juvéniles, leur peau pâle suggérant une certaine innocence, mais également renforçant la sensation d’intrusion dans une intimité exposée et sexualisée, ceci dans une ambiance morbide et bondage. Dans ces dessins, les protagonistes ont quasiment toujours un regard vide et un visage stoïque, imitant l’aspect des morts.
Les thèmes rappellent les mythes du Vampire, des contes anciens de fantômes, la récurrence de la mort ou des ténèbres flottants, des yeux géants et gonflés, voyeuristes. Ce sont des dessins apaisants et en même temps anxiogènes : un paradoxe guidant le travail de Takato Yamamoto. Des scènes d’amour avec des squelettes font penser au film Necromantik (1987) de Jörg Buttgereit, à la limite du soutenable. C’est esthétique et repoussant à la fois, macabre. On note également une présence organique et gore très présente ou encore la présence de références bibliques mais également des allusions à la mythologie grecque. On retrouve notamment des titres d’ouvrages faisant référence à Chimère, Hermaphrodite, également Narcisse. De l’art japonais, aux influences multiples, notamment occidentales, innovateur, tout en restant fidèle à une riche tradition artistique séculaire.
C’est une œuvre complète qui nous pousse à nous interroger sur l’existence, la beauté qui fane, victime du passage du temps. Entre désir de vie et de chair. Décalage entre la jeunesse et la mort. Entre le froid et le chaud.
Article écrit par Paul Forero.